C'est un glissement sémantique qui s'est opéré au fil du temps, dans le discours du gouvernement comme dans celui des journalistes. En l'espace de quelques années, le délinquant est devenu un jeune, le jeune une victime, puis l'actualité a révélé la dangerosité de l'automobiliste,  l'automobiliste est devenu un délinquant de la route, une sorte de voyou de la pire espèce. Il n'avait pas d'excuses, même pas le statut de victime de la société.

 

De fait, il fallait surveiller plus attentivement cet individu dangereux, avec force radars et contrôles de police. On ne laisse pas ainsi un délinquant en puissance, en liberté, sans le surveiller un peu, de prèt ou de loin. Les chiffres de la délinquance n'étaient pas bon, il fallait rassurer l'opinion, et l'automobiliste, lui, courrait toujours, à défaut, il roulait encore… et mal! 
 
Les forces de l'ordre (contre le chaos routier) ont fait du bon travail. Les morts sur la route ont baissé mais cela n'a pas été sans mal : il fallait, nous disait-on, une prise de conscience, de la part de l'automobiliste, ce qui n'était sans doute pas faux, même si l'état des routes n'a pas été examiné.
 

Tout porte à croire qu'à Bordeaux, le message a été entendu, comme ailleurs. Mais on y a trouvé pire engeance que l'automobiliste, en la personne du cycliste! Une dizaine d'entre eux a subi un contrôle à l'éthylotest, contrôle positif, ce qui les a conduit en cellule de dégrisement, dans la nuit de jeudi à vendredi dernier.

 

 

Emmenés au commissariat pour quelques verres de trop, ils ont pu être fouillés au corps, contraints de se déshabiller, puis ont été interrogés par des agents plutôt agressifs selon les témoignages, les soutiens gorges ont été confisqués tout comme les ceintures et les lacets, puis ils ont dû passer toute la nuit en cellule de dégrisement. Bien sûr, les sacs ont été fouillés et détaillés par des agents scrupuleux de bien faire régner l'ordre, mais l'ordre républicain, s'ilvousplait!

 

Un de ces "délinquants" aurait même été contraint, après avoir traversé la ville dans un camion de police direction le commissariat, à plus de 70km/h, toutes sirènes dehors, à ôter, selon lui, son caleçon… 
Suite à cette folle nuit, ils se sont vu remettre une convocation pour une mesure de composition pénale. A Bordeaux, il ne faut pas trop abuser du vin, même en vélo! 
 
Une de ces cyclistes revenait d'un congrès et avait privilégié le vélo, sachant bien qu'elle boirait un peu, comme chacun le fait dans ce type de réception, à l'image de cette chargée de communication qui avait bu, selon elle, cinq verres de vin uniquement.
 
La mairie de Bordeaux a réagi, expliquant que les deux roues sont particulièrement victimes d'accident de la route, ce à quoi Didier Fénéron, le président de l'association Vélo-Cité, pour la promotion et la défense de l'utilisation du vélo, a répondu  "Il y a un amalgame entre les deux-roues motorisées et les cyclistes".
 
Ces arrestations sont assez effarantes, tout autant que la déclaration du patron des policiers girondins, qui rappelle que même un piéton en état d'ivresse, contrôlé par la police, tombe sous la responsabilité des agents, ce qui est compréhensible et fait suite à la triste affaire d'un piéton, mort noyé, alors que la police l'avait rencontré en état d'ivresse puis laissé repartir. Mais de là à organiser la "prohibition" comme ce fut le cas aux États-Unis, il n'y a qu'un pas. Si vous buvez un coup, restez sur place! On ne sait jamais : dehors, la police rôde!
 
Le plus pathétique de l'affaire est certainement le discours qu'a tenu l'une des contrevenantes sur la radio RMC. Elle explique bien "ne pas contester" son contrôle. Son cas est pourtant simple : elle avait un peu bu et, très certainement, pour ne mettre personne en péril avec son véhicule, elle a pris son vélo. Il y a tout de même plus répréhensible. Autant parler du syndrome de Stockholm!
 
Ne jetons pas non plus la pierre aux agents de police, quelques uns se sont dits écoeurés selon les témoignages, on parle de pressions de la hiérarchie vers les résultats escomptés. Des policiers se plaindraient de la mauvais image qui ressort de la police et considèrent sans doute que leur rôle est ailleurs.
 
Est-ce la fonction de la police qui est dévoyée par le gouvernement? Est-il bien normal que les services de police soient soumis à résultat, avec objectifs? N'y a-t-il pas comme un glissement vers une forme de surveillance et d'oppression (même légère) du français moyen? Si cette nouvelle a été diffusée par la presse, l'a-t-elle été assez? Et enfin, comment les policiers sont-ils recrutés?  
 
Que le lecteur se rende sur les récits faits dans la presse, notamment celui du journal Sud-ouest, pour des informations bien plus complètes.
On peut lire les différents articles parus, ici, ici, ici, et
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