Non, cela ne s’est pas produit au Yémen, mais en Argentine. Une femme de 35 ans, violée à l’âge de 11 ans par son beau-père, « El Viejo », lui a « donné » dix enfants. Il a donc fallu 24 ans pour que cette femme se confie. « Je pensais que je n’avais aucun droit, que c’était normal. À la montagne, en campagne, c’est beaucoup plus courant que ce que vous pouvez imaginer », a commenté la jeune femme.

Est-ce finalement si « extraordinaire » ? Je me souviens de mon affectation à Niort, dans les Deux-Sèvres, département fortement marqué par des faits d’incestes et où d’ailleurs, crois-je me souvenir, les peines prononcées en cas de découverte sont généralement moins fortes que dans la plupart des autres départements français. Le Courrier de l’Ouest ou La Nouvelle République ne rendaient compte que des faits les plus spectaculaires (ce qui a progressivement évolué).
Au Courrier, nous n’avions guère de procès à l’agenda (le calendrier des événements annoncés par communiqués) et la « main courante » du commissariat ne nous renseignait que très rarement.

Déjà, en 1965, une chercheuse, Paule Jaffrezou, publiait une thèse sur « L’inceste dans la Vienne et les Deux-Sèvres ». Le dernier rapport national que je puisse connaître (L’Inceste en milieu rural, un collectif) remonte à 1977.

Selon un sondage Ipsos remontant à 2009, et un peu artificiellement extrapolé, environ deux millions de Françaises et Français (et même jusqu’à une personne sur dix en France, en fait) seraient de près ou de loin concernées, alors qu’une personne sur quatre aurait connu une personne victime dans son entourage.

Toujours est-il que l’association Aivi (ass. intl. des victimes de l’inceste) compte, actuellement, une demi-douzaine de « groupes de parole » en France (le dernier en date s’étant ouvert à Rennes). D’autres collectifs en animent.

En Argentine donc, dans une zone montagneuse du nom de Conchayo, une femme, violée par son beau-père, qu’elle surnomme El Viejo, a accouché dix fois des suites de rapports imposés. Le fils aîné a désormais 20 ans (il naquit alors que sa mère avait 14 ans). Tous les enfants ont été reconnus par leur père, deux sont morts en bas âge. La fratrie est dispersée, mais deux fils, les plus jeunes, restent auprès de leur mère qui a pu obtenir l’assistance de services sociaux. L’aîné à 21 ans, il y a trois filles de 15, 16 et 17 ans, et des adolescent·e·s ou pré-ados de neuf, dix, 11 et 14 ans. Les deux décédés le furent à la naissance ou à l’âge de neuf ans, rapporte El Liberal dans son édition de ce jour. La première grossesse se déclara alors que la victime, aussi de violences et coup comme sa mère et son frère, avait 13 ans. Le père interdit vite à sa fille de fréquenter l’école, de peur qu’elle se plaigne à l’enseignante. Le père avait conçu d’autres enfants (cinq) avec son épouse, l’un étant né à deux mois d’intervalle d’une demi-sœur, fille de la victime.

Conchayoj est une zone rurale proche de Santiago del Estero, dans la province de San Juan, proche de Lugones. C’est en Argentine, fort loin… Mais selon la victime, son cas serait loin d’être isolé.
Le quotidien local, El Liberal, a titré « Aberrante ». En 2010, cette fois à Taco Atun, la presse argentine évoquait un autre « padre monstruo ».

En France, hormis les plus spectaculaires, ces cas sont encore très souvent « criminalisés&nsp;» (soustraits de la cour d’assises), pour diverses raisons, traités à huis clos, ce qui se conçoit, et soustraits à l’attention de la presse.

Extrapoler est certes déplacé, mais les grands débats actuels sur l’insécurité ne semblent guère s’attarder sur le problème des violences familiales. Peut-être parce qu’elles touchent l’ensemble de la société et qu’il est difficile d’incriminer une composante particulière de la population, une catégorie sociale plutôt qu’une autre ?
Il est possible qu’au cours des rencontres et universités d’été des formations politiques, des tables rondes se penchent sur l’état des lieux. Cela n’attire pas trop la presse, c’est singulièrement absent des discours de clôture. Les plus virulents des opposants au mariage pour toutes et tous ont bien tenté, timidement malgré tout, de mettre le thème en avant, sans trop chercher à balayer devant leurs propres portes (certes, on a pu lire « l’interdit de l’inceste étant levé… », à la suite des propos du cardinal Barbarin, comme si cela allait de soi, comme si les cas d’incestes ne touchaient aucunement les couples hétéros mariés devant mère et prêtre ou pasteur ou autre).

De même, les suicides ou meurtres familiaux, dus à diverses formes de détresse, ne sont pas présentés, alors même qu’ils semblent devenir plus nombreux (ce qui n’est pas sûr, mais ils sont plus fréquemment rapportés par la presse qui doit fournir du contenu à ses divers sites), comme une caractéristique de la société française.

De même est-il de bon ton de fustiger les études de genre ou de les considérer entité négligeable. Ce sont pourtant ces études – parfois en cafouillant, ce qui est propre à la plupart des disciplines en gestation (qu’on pense à la psychiatrie, voici encore pas si longtemps et même actuellement) – qui ont remis en question la perception (ou, oui, construction) de l’inceste, de la maltraitance familiale. Avec bien sûr des outrances, des présupposés qui s’estompent (ainsi du fait que les femmes seraient naturellement plus pacifiques que les hommes, ce qui est de plus en plus battu en brèche).

Parfois, un fait-divers, vite, trop vite catalogué exceptionnel, et non significatif, réintroduit un questionnement. Mais comme il ne semble pas trop exploitable, l’accumulation des mêmes semble superflue. À quand une France orange mécanique de la maltraitance familiale ?