Plus de 300 000 comptes ouverts depuis sa création, et un objectif raisonnable du double pour la fin de l’année, soit en deux ans seulement. Cet essor accéléré doit tout à une formule simple, un réseau préexistant (celui des buralistes), et à l’impression, en partie fondée, qu’ouvrir un compte Nickel revient moins cher que de s’en remettre à une banque classique. Mais pourquoi donc le secteur véritablement mutualiste ou coopératif n’y a-t-il pas songé ou ne prévoit pas la mise en place d’un dispositif similaire ?
Les fondateurs du compte Nickel, Hugues Le Bret et ses associés, ne sont nullement des philanthropes. Mais leur système bancaire, qui simplifie au maximum l’obtention d’une carte de débit et d’un RIB permettant de régler des retraits automatiques ou de faire virer un salaire, des rétributions, s’inscrit dans le droit fil des initiatives du mouvement mutualiste des origines.
La plupart des compagnies d’assurances ou bancaires dénommées encore mutualistes n’ont pas un comportement si différent de leurs homologues privées. Les assurances mutuelles rémunèrent très généreusement leurs directions et opèrent sur les marchés financiers de la même manière, pour la plupart, que le secteur privé. Les banques populaires et Natixis préfèrent investir dans la publicité et les parrainages (sportifs, culturels et autres) leur assurant de la visibilité plutôt que de tenter de convaincre la clientèle populaire par des tarifs réellement différents de ceux de la concurrence. La caisse centrale du Crédit mutuel est devenue le plus important patron de presse national en étendant sans cesse son emprise sur les quotidiens régionaux… mais n’accorde guère plus de facilités aux particuliers qu’une autre banque.
Le compte Nickel investit dix fois moins en marketing qu’un établissement bancaire (banques à guichets ou en ligne réunies). Le bouche-à-oreille et la commodité pour ouvrir un compte ou obtenir de l’argent (dans les bureaux de tabac ou des distributeurs de billet une fois le compte ouvert et crédité) sont ses meilleurs atouts de croissance (très) accélérées.
Les frais de gestion sont réduits, le personnel ne dépassera sans doute pas la centaine de personnes l’an prochain alors que se met en place un dispositif s’adressant au TPE, voire au petites PME. Le coût le plus important est constitué par la rétribution des buralistes (cinq euros par ouverture de compte, pourcentage sur les dépôts d’espèces – facturés 2 % du montant – et les retraits à 0,50 euros par opération). Pour ce service, facturé 20 euros annuellement, on dispose d’une carte Master Card (soit deux fois moins chère que son équivalent en banques classiques, celles en ligne la fournissant le plus souvent gratuitement).
Les inconvénients sont limités. Il reste malgré tout plus facile de trouver un débit de tabac ouvert tard le soir qu’une agence bancaire et il s’en trouve encore à ouvrir le dimanche. Les dépôts en liquide sont plafonnés à 750 euros, ce qui, hormis pour de toutes petites voitures de location, ne couvre pas la garantie exigée. En cas de paiement à l’étranger, il n’est pas prélevé de commission. Cependant, ne pouvoir émettre ou encaisser de chèques peut constituer un réel désavantage, en dépit du fait que les virements Sepa se généralisent.
Est-ce pour autant beaucoup plus avantageux qu’un compte bancaire traditionnel (ou ouvert en ligne). Difficile de comparer puisque le compte devant toujours être créditeur, certains frais ne s’appliquent pas. Le magazine Capital s’est adressé au comparateur Panorabanques (.com), qui n’inclue pas Nickel dans son panel de 26 banques (dont cinq en ligne), pour établir une estimation raisonnable en étudiant les tarifs de 158 banques.
Il en coûterait à un client Nickel moyen (la plupart ont un revenu mensuel médian avoisinant les 1 400 euros) près de 80 euros par an, soit les deux-tiers de ce qu’il verserait à une banque (près de 125 euros). Ce, sur la base de six retraits d’argent par mois (trois en débit de tabac, trois en distributeurs) pour un montant de 54 euros, cinq retraits et deux paiements hors zone euro (5 euros, ce qui est fort peu, mais ne concerne pas la majorité des clients de Nickel).
Mais c’est, pour le même type d’opérations, près de six fois plus cher qu’en ayant recours à une banque en ligne (Boursorama, B for Bank, Fortunéo…). Et même bien davantage si retraits et paiements à l’étranger, facturés beaucoup moins par les banques en ligne que par les classiques, étaient exclus du comparatif.
Cela étant, Hugues Le Bret, l’un des fondateurs, considère que le coût annuel moyen de ce compte est de l’ordre de 35 euros (sur la base de 18 retraits annuels, dont neuf en distributeur, facturé 60 cents par la banque détentrice et un euro par Compte Nickel) et rarement plus de 45 pour une large majorité de clients. Cet ancien communiquant de la Société générale, et de sa filiale Boursorama, dont le livre sur l’affaire Kerviel n’avait pas plu à son employeur, qui l’a remercié, a donné un entretien tout à fait édifiant au site Les Crises. Il décrypte le fonctionnement et les abus tarifaires des banques classiques.
C’est véritablement très instructif.
On le constate plus globalement, être pauvre est relativement plus coûteux, en tous domaines, qu’être riche. Cela vaut d’ailleurs aussi plus fortement pour les frais bancaires : plus vous déposez ou épargnez, mieux vous pourrez négocier des tarifs inférieurs, voir obtenir des libéralités (sur le montant de la cotisation pour les cartes bancaires, par exemple).
Nickel ne se rémunère pas sur les crédits puisqu’il n’en accorde pas. Il est vrai que les taux sont faibles, fortement encadrés, et que la clientèle des particuliers n’est plus fortement rémunératrice pour les banques sur ce poste. Mais Nickel ne tient pas non plus compte des dates de valeur (vos débits sont immédiats, mais vos crédits de même), qui permettent aux banques de faire travailler votre argent dans l’intervalle. Pourtant Nickel est tout à fait rentable pour ses fondateurs et actionnaires.
Dans un domaine voisin, complémentaire, celui du cobanking, qui facilite les transactions, les prêts entre particuliers, et permet de constituer des cagnottes à plusieurs (qui peuvent être employées sous forme de crédit participatif), le secteur mutualiste, hormis peut-être la Banque populaire occitane, n’a guère fait preuve d’innovation. Payname et Prêt d’union, en France, vont sans doute se développer en s’orientant sur de nouveaux modèles de banque collaborative.
Toutefois, le Crédit mutuel Arkéa, la caisse bretonne du CM, a mis la main sur Leetchi fin 2015. Une société proposant la création de cagnottes ou de crowfunding qui prend, selon les montants, près de trois ou quatre euros pour effectuer un virement (ou rien si l’emploi des fonds sert à des achats de marques partenaires). CM Arkea est d’ailleurs aussi le partenaire du compte Nickel, les dépôts étant consignés sur un compte dit de cantonnement (Arkea ne peut l’utiliser pour des transactions boursières ou autres).
Natixis (groupe Banques populaires & Caisses d’épargne) s’est associé à Bolden (.fr) qui propose aux particuliers et entreprises de prêter à pour des projets sélectionnés (le rendement brut moyen serait de 7 %).
En France, il n’y a plus guère que l’UNGMS (Union nationale des groupements mutualistes solidaires, en matière de complémentaires maladie) à préserver l’esprit d’origine du mouvement mutualiste. Elle reste très minoritaire et loin de couvrir l’ensemble du territoire métropolitain.
Dans le secteur des fonds d’investissements, une société allemande, Slock.it, propose déjà un schéma participatif pour investir dans des sociétés, surtout technologiques ou innovantes, choisies par les investisseurs eux-mêmes (par votes) et non par un panel d’experts rétribués (ou bénévoles comme dans le cas des business angels qui répondent ou non eux-mêmes aux appels de fonds). Ce n’est plus ce qui s’observe dans le secteur mutualiste dont les adhérents ou sociétaires n’ont plus qu’un rôle vaguement consultatif dont, à son gré, le conseil d’administration tient ou non compte.
Qu’on ne se leurre pas, la finance évolue, mais reste la finance… Les avantages ou réductions et exemptions de frais concédés en phase de lancement, le plus souvent rendus possibles par la contraction des frais salariaux (surtout en bas et milieu des échelles salariales), et pour contrer une concurrence qui s’élargit, risquent d’être progressivement rognés pour accroître les profits.
Ce qui pourrait conduire à une désaffection… Se passer de banque reste théoriquement possible en poussant « l’ubérisation » plus loin encore. Mais cela comporte des risques pour les particuliers et les entreprises (ainsi du système Bitcoin). Leur mutualisation permet de les réduire.
Elle permettrait aussi de mieux sécuriser la nature des transactions qui ne seraient pas revendues à des sites marchands ou des agences de mercatique. Le data mining permet de déterminer les habitudes de consommation de tout un chacun et de cibler publicités et offres promotionnelles. Déjà, les banques dissèquent votre budget et catégorisent vos dépenses (loisirs, voyages, dépenses alimentaires…). N’est-ce bien qu’à usage strictement interne ?
Bonjour Jef. J’ai repris contact avec C4N hier et je découvre aujourd’hui ce papier que je vais de ce pas poster sur LinkedIn.
Je suis toujours admiratif envers ceux qui écrivent au kilomètre bien que sur le fond je n »en partage pas le bien fondé sur le Web, ceci dit chacun fait comme il veut et c’est bien documenté.
Le sujet des banques en ligne et les déclinaisons, c’est un sujet sur lequel je me penche rédactionnellement depuis le début de cette année.
J’ai bien peur que pour trouver la perle rare mutualiste recherchée, il va te falloir encore patienter. Il y a NewB en Belgique qui démarre doucement, en France des initiatives intéressantes existent, comme La Nef, Tookam, ou Payname (cité et qui va bientôt se transformer).
Nickel, qui est loin d’être parfait, bénéficie de relais Presse nationale et surtout locale, pour chaque ville, hop un papier !
Amicalement.
Cela ne marche pas le lien sur LinkedIn. Dommage.