27 heures de perquisition au siège et dans les filiales du cabinet Mossack Fonseca au Panama et… rien sans doute. Les fichiers du cabinet sont répartis entre pas moins d’une centaine de serveurs. Rien, soit peu ou pas de suites judiciaires, mais le résultat n’est pas tout à fait nul. Le Panama sent désormais le soufre, et Malte ou les îles Samoa, ou d’autres, s’apprêtent à engranger les retombées.
C’est sans doute une arnaque. Comme des milliers, voire des millions d’autres Internautes, je reçois fréquemment des propositions de service du Kiya Group, soit la Shenzhen Kai Asia Enterprise Management Consulting Co., Ltd., de Hong Kong (et d’ailleurs). Mamzelle Vicky, peut-être Zeng de son patronyme s’il faut en croire le site kiyagroup.b2b.huangye88.com, dont les indications correspondent à celles figurant sur son prospectus de pourrie, suggère de créer une société anonyme britannique aux îles Samoa. Il n’en coûterait que 270 euros (1 980 CNY ou yuans chinois). Territoires polynésiens situés au large de la Nouvelle-Zélande, les îles Samoa sont un paradis fiscal.
Moins de 300 euros pour créer une société, y placer des avoirs présumés rémunérateurs et permettant d’échapper aux droits de succession, ce sans imposition, c’est peut-être trop alléchant pour être honnête.
Pour rejoindre ces îles lointaines, mieux vaut peut-être s’adresser à BNP Paribas, banque dont la filiale de Hong-Kong a créé des dizaines de sociétés sur place. C’était encore le cas en 2013 quand Le Monde, s’adressant à Jean-Laurent Bonnafé, dirigeant de la banque, qui déclina de répondre, obtint quand même l’indication que la moitié des sociétés créées à l’époque n’étaient plus actives et que l’autre, subsistance, était d’une part totalement d’origine asiatique (ne comptant aucun client européen) et d’autre part scrupuleusement identifiée et légale.
Pourtant, pourtant, Le Monde avait trouvé la trace d’un client grec, Empros Lines, un armateur aux richissimes propriétaires.
Même si les révélations de ces tout derniers jours ne concernent plus que des personnalités de second ordre ou des figures politiques de pays lointains, le cas de Malte subsiste. Ce n’est pas tant que Joseph Muscat, premier ministre maltais, soit épinglé, via des proches, qui importe. Car l’essentiel reste que Malte refuse de se plier aux injonctions de Bruxelles lui réclamant davantage de transparence financière. Question de souveraineté, a répliqué le gouvernement travailliste. Lequel pourrait, à l’instar du gouvernement néo-zélandais, changer d’attitude si la pression se renforçait.
Le ministère des Finances français, et quelques autres de ses homologues européens, n’auront sans doute plus trop besoin d’obtenir du Monde et de divers autres titres de presse la communication de l’ensemble du dossier. De très nombreux évadés fiscaux, redoutant que leur nom figure bientôt dans la presse ou s’exfiltre vers les services des respectives fonctions publiques, prennent les devants. Il n’y a sans doute pas que des clients du cabinet panaméen à rechercher une discrète conciliation. Et donc, ils livrent l’identité de divers intermédiaires, dont probablement celle d’une banque ou d’une autre ayant pignon sur nombre de rues européennes.
Le seul cabinet Mossack Fonseca, du nom de ses fondateurs allemand et panaméen, a recours à plus de 14 000 banques et intermédiaires, dont pas moins d’une centaine en France, d’environ 170 à Monaco. De quoi résorber quelque peu la dette de l’État (ces sociétés s’acquitteront de sanctions qu’elles récupéreront à la longue en augmentant leurs tarifs, notamment ceux visant les plus gros contribuables soucieux de fuir Panama pour des destinations plus lointaines ; mais malheureusement, s’il s’agit de banques, les petits déposants seront proportionnellement plus sollicités que les gros, le montant des frais se négociant en fonction de l’importance de ses avoirs).
Ce type de sanction n’influe jamais ou seulement très à la marge sur les rémunérations des dirigeants. Si c’était le cas, ministres ou hauts-fonctionnaires ne trouveraient plus, en fin ou en cours de carrière, autant de postes rémunérateurs dans le secteur financier.
Dans les cas de dirigeants nationaux étrangers, classifiés PEP (Politically Exposed Persons), ce qui est croquignol, c’est qu’ils se récrient : tout est parfaitement légal. Et de devoir, pour certains, lister leurs avoirs dont on se demande bien comment ils ont pu les constituer avec leurs seules indemnités de ministres ou parlementaires.
D’autres s’indignent. Ce sont des relations fort éloignées, des prestataires, qui sont seuls concernés et eux-mêmes n’y sont pour rien. C’est d’ailleurs ainsi que la parlementaire européenne Marine Le Pen se dit totalement étrangère à son père ou à ses amis, dont certains dotés de fonctions officielles ou occultes au Front national, qui sont ou pourraient être impliqués.
En sous-main, le FN fait donner ses divers relais et compagnons de route qui amplifient la réaction de Poutine : tout cela est une machination fomentée depuis l’étranger, soit depuis les Etats-Unis.
De fait, selon le premier ministre pakistanais, il s’agirait d’une « conspiration satanique ». La preuve en serait qu’aucune personnalité étasunienne ne figure dans les documents fuités. George Soros, et d’autres, auraient été à la manœuvre.
C’est faire peu de cas des 211 clients américains figurant dans les listings, ni du fait que le Delaware est plus proche et tout aussi peu regardant, ou des banques situées à Miami ou en d’autres villes nord-américaines sont pointées en tant qu’intermédiaires.
C’est surtout vouloir ne pas voir que le Panama, naguère envahi par les Marines (1989), a négocié, en 2010, un accord de transmission d’informations vers le fisc américain. Seuls des gens ne lisant pas du tout ou fort peu la presse financière américaine pouvaient l’ignorer.
C’est s’exposer peut-être au ridicule. Le rédacteur en chef du Süddeutsche Zeitung a sobrement répondu « attendez un peu la suite… ». Il y a de même relativement peu d’Allemands, hormis bien sûr le co-fondateur du cabinet panaméen.
Le Delaware, « home of tax-free shopping », mais aussi le Wyoming ou le Nevada, sont-ils les prochains sur d’autres listes ?
Il est difficilement niable aussi que la chanteuse « suisse » Tina Turner figure sur les listes, en compagnie de David Geffen, fondateur d’un obscur studio d’animation, Dreamworks, affiché toutefois au générique de dizaines de « blockbusters » d’entre les films pour la petite jeunesse.
Qu’à cela ne tienne, s’il s’agit de l’œuvre de Satan, rien, justement, ne tient, et tout le monde est aussi innocent que Poutine et ses potes. Car, c’est bien simple, il s’agit de miséreux tous aussi dévoués à leur pays que cette pauvresse de Marine Le Pen. CQFD. Un peu court, non ?