Anticor, Taubira et le favoritisme

L’association Anticor, après avoir obtenu des poursuites visant Patrick Buisson et ses sociétés de sondages et de relations publiques très sollicitées par l’Élysée sous Sarkozy, vient de porter plainte contre le maire de Menton, qui a fait appel à l’un des émules du dit Patrick Buisson, Guillaume Peltier, chef de file de la motion UMP La Droite forte. Problème ( ?), Christiane Taubira, garde des Sceaux, siègerait encore au comité de parrainage d’Anticor. Et alors ? Depuis quand, en France, une ministre de la Justice est-elle supposée imposer ses vues à la magistrature et dicter jugements ou verdicts ? Mais, effectivement, cela soulève un point qui n’est guère de détail, et il faut en étendre le plus largement la portée…

Souvenirs, souvenirs… Chargé de créer le service de presse et de communication de la Ville de Belfort, passée à gauche en 1977, il m’avait été suggéré d’élargir le tour de table pour choisir la régie publicitaire (et de réalisation technique des divers supports municipaux). Survient un dénommé Haddad, qui trustait divers bulletins municipaux de villes plus « socialo » que « communistes », les bras chargés de gadgets frappés du sigle du PS. Au moins avions-nous prospecté diverses sociétés de la région… Mon souci était la proximité afin de pouvoir surveiller les phases de maquettage, montage, avant de délivrer les bons à tirer.

Nous avions débuté la presse municipale « socialo-communiste » (ce que je me refusais à ce qu’elle soit, hors contributions des groupes municipaux en tribunes libres) avec un imprimeur de la ville, catalogué proche de l’opposition municipale, qui avait fini par jeter l’éponge : trop lourd, rentabilité faible…
J’ai fait valoir qu’une agence de publicité belfortaine avait toute la capacité nécessaire tant pour recueillir les annonces que pour superviser la réalisation. À l’époque, la quadrichromie était chère, l’Internet n’existait pas, élaborer un mensuel et un gros trimestriel, en tentant de coller à l’abondante « actu » (la mise en application d’un lourd contrat de « Ville moyenne » qui allait bouleverser – en l’améliorant fortement – l’urbanisme, le plan de circulation, &c.) n’était pas une mince affaire. En sus, il me semblait à la fois éthique et judicieux que les plus petits commerçants ou artisans puissent avoir recours à ces supports pour des annonces moins onéreuses que dans la presse locale. Mon point de vue prévalut, exit le missi dominici publicitaire du PS, et les sociétés extérieures à Belfort.

J’avais aussi eu recours à un sondage sous forme de questionnaire ouvert à tous les habitants. Antérieurement, ayant participé à une enquête dite non-directive pour l’implantation d’une nouvelle piscine à Angers (Maine-&-Loire), j’avais trouvé la procédure certes valable, mais lourde, longue, onéreuse.

Je fis donc appel à mes anciens professeurs de sociologie de l’université de Strasbourg qui, tout juste défrayés de leurs frais de transport (seconde classe Sncf) et de bouche (un petit resto local), voulurent bien élaborer ce questionnaire très technique, portant sur des questions d’aménagement. Le dépouillement fut effectué sans qu’il soit besoin de le sous-traiter…

C’était une époque où l’intérêt de savoir si une adjointe au maire gagnerait à apparaître enceinte ou non (sondage élyséen à propos de Rachida Dati) semblait si subsidiaire, ou inexistant, que prendre le pouls de l’opinion, y compris au jugé doigt mouillé sur les marchés ou les cages d’escaliers, ne venait pas à l’idée.

On sait ce qu’il en fut lors du quinquennat Sarkozy et ô combien les sociétés de Patrick Buisson, conseiller élyséen, ont pu prospérer. Au point de voir l’association Anticor (plutôt classée à gauche ou centriste, admettons) porter plainte.

Nouvelle plainte

Cette fois, c’est la mairie de Menton, et en particulier le député-maire UMP, Jean-Claude Guibal, qui est visé par une plainte d’Anticor pour « délit de favoritisme ». En cause, deux sociétés, l’une dirigée par Guillaume Peltier (mention La Droite forte de l’UMP), Com1+, l’autre, Bygmalion, par Bastien Millot, très proche de J.-F. Copé.

Tiens, pourquoi ne s’être pas adressé directement à l’Ifop, sans passer par l’intermédiaire de Com1+, pour effectuer un fort singulier sondage portant sur la satisfaction des habitants quant à la tenue des engagements municipaux ? Que l’on sonde sur le stationnement, les transports, la fluidité de circulation (et là, des mécontentements ont pu s’exprimer à Menton) est sans doute utile… à condition de proposer des solutions alternatives. Là, c’est l’indice global de satisfaction qui a surtout été déterminé : qu’on se rassure, il est excellent, avec 94 % de Mentonnais « satisfaits de leur cité ».

Mieux, 84 % considèrent que la municipalité a accompli « du bon travail ».

Je n’entrerai pas dans les considérations techniques d’élaboration d’un sondage ou questionnaire (redondance de questions, questions destinées à conforter la cohérence, &c.). Simplement, dans une ville pas trop moche, pas trop envahie de pigeons, nids de poule, &c., un tant soit peu agréable, je me fais fort d’obtenir de tels scores… en sachant bien choisir les formulations. Peu importe. Dans un tel cas, nul besoin d’Ifop ni de sous-traitant.

Selon Marianne, le contrat de Com1+ s’élèverait à 14 800 euros, à 200 en deçà du seuil obligeant à une mise en concurrence via un appel d’offres ouvert. Pour Bygmalion, ce fut à 300 euros près.

Mais on se demande surtout si la mission globale d’audit de la communication municipale n’a pas été saucissonnée, soit fractionnée entre les deux sociétés « amies » (l’une de l’autre, et de la municipalité). D’ailleurs, pour présenter les résultats du sondage, personne de Com1+ n’a jugé utile de se déplacer (ce qui se conçoit), mais un cadre de Bygmalion fut dépêché sur place.

Bygmalion se justifie en arguant qu’elle travaille aussi pour la municipalité communiste de Bagnolet. Certes, mais il s’agissait là de création graphique (et très sérieusement, le résultat, d’une facture visuelle convenable, aurait pu être obtenu par une graphiste facturant moins de 600 euros sa prestation globale) : un logo, des dépliants pour une opération de rénovation du centre-ville de Bagnolet.

On ne sait pas d’ailleurs, qui, chez Graphipro, qui semble être le sous-traitant de Bygmalion, s’est tapé le boulot.

Quoi qu’il en soit, et sans se prononcer nullement sur la légalité de la prestation de service, son montant, ou la passation du marché, on ne voit pas vraiment pourquoi une société de Menton ou de Nice n’aurait pas été capable d’assurer la même qualité de service à des tarifs comparables. Ce n’est quand même pas le désert entrepreneurial en ces domaines, les Alpes-Maritimes.

Accusée Taubira, levez-vous

Il se trouve que Christiane Taubira n’aurait pas jugé utile ou nécessaire de se retirer du Comité de parrainage de l’association Anticor. C’est quoi, un comité de parrainage ? Essentiellement une liste de noms connus d’un public particulier qui vont figurer sur des invitations, par exemple. Un peu comme n’importe quels spectacle, manifestation, exposition, raout, pince-fesses, gala, peut être placé sous l’égide de telle ou telle personnalité qui fera ou non une rapide apparition. Je ne compte plus les invitations de présidents de la République, Premiers ministres, ministres, secrétaires généraux d’Instituts divers, que j’ai pu accumuler (et poubelliser).

Mais, selon l’ineffable Me Gilles William Goldnadel, avocat de Patrick Buisson, elle « devra en répondre ». Devant les hommes puis Dieu ? De quoi donc ? Rien de moins que « d’avoir dévoyé les devoirs de sa charge en favorisant publiquement l’une des parties avec laquelle elle est en lien au détriment d’un citoyen qui a le droit à un procès équitable. ».

Combien de fois a-t-on entendu des présidents, ministres, parlementaires, &c., déclarer qu’il fallait laisser la justice se prononcer dans des affaires impliquant un collègue, ami, collaborateur, connaissance ? Tenez, sous cette Cinquième République, on a même vu un ancien garde des Sceaux, Albin Chalandon, cité dans l’affaire de la faillite des frères Chaumet, orfèvres de la place Vendôme. Les Chaumet jouaient le rôle de prêteurs sur gages (un dépôt de pierres précieuses), versant des mensualités de 500 000 francs au garde des Sceaux (un peu comme si « ma tante », le Mont-de-Piété, réglait en plusieurs fois), et son fils, Fabien, s’est vu impliqué dans l’affaire Visionex (une histoire de bornes de paris en ligne). Qu’entendit-on ? Qu’il fallait que la justice se prononce. Albin Chalandon lui-même fut placé en garde à vue voici deux ans, mois pour mois. So what?

On a vu aussi des personnalités du PS se retrouver en garde à vue. En février 2011, alors que Michèle Alliot-Marie était garde des Sceaux, on vit Patrick Buisson débouté d’une plainte contre l’universitaire Alain Garrigou, qui l’avait publiquement mis en cause dans cette même affaire de sondages de l’Élysée. Et là, c’est un ministre, Arnaud Montebourg, qui est condamné récemment à verser une amende pour « avoir porté atteinte à la présomption d’innocence du sénateur PS Jean-Noël Guérini ».

En fonction des instructions données au parquet par Christiane Taubira ? Les faits étaient antérieurs à la nomination de Montebourg au gouvernement, mais ne sont-ils point du même bord ?

Jean-Pierre Kucheida, maire (élu sous l’étiquette PS) de Liévin, est mis en examen. Robert Navarro, sénateur de l’Hérault, ancien de l’équipe de campagne de François Hollande, aussi.

C’est de même un adhérent d’Anticor qui avait déposé plainte pour prise illégale d’intérêts contre Joël Marion, maire communiste de Compans (Seine-et-Marne).

Membre du Comité de parrainage d’Anticor, Christiane Taubira n’a jamais assisté à la moindre assemblée générale ni à aucun conseil d’administration. Potiche elle était, potiche elle semble vouloir rester. Un peu comme, sans doute, Éric Alt, du Syndicat de la magistrature, ou Yann Wehrling, du Modem. Que l’on sache, ce n’est pas Éric Alt qui est saisi du dossier Buisson…

Si l’on comprend bien l’argumentation de Me Goldnadel, du fait que la garde des Sceaux resterait à ce comité, toutes les affaires intentées par Anticor devraient être remises sine die, au moins jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par une ou un autre à son poste ?

Du cas particulier à l’intérêt général

Pourquoi le seul cas de Patrick Buisson devrait-il de ce fait retenir l’attention ? Allons, Maître, un peu de cohérence, « l’affaire d’État » que vous dénoncez ne s’applique pas qu’à votre seul client.

Pour toutes, à l’exclusion d’aucune, les plaintes déposées par Anticor, Christiane Taubira n’aurait-elle point « un intérêt moral et politique à voir s’ouvrir une instruction où elle est juge, partie et bénéficiaire », comme le soutient Patrick Buisson ? Assurément ! Ou alors, on ne comprend plus.

Il va falloir aussi éplucher toutes les instances des multiples associations qui ont pour membre d’honneur ou adhérent un conseiller constitutionnel, d’État, ou membre de la Cour des comptes… Ô combien de Taste-vins, de membres de confréries gastronomiques et vineuses à récuser dès qu’un viticulteur aura mouillé son vin ou un charcutier mis trop de lard de cochon dans ses pâtés !

Car il ne faut absolument pas en rester à ce stade minimal, primitif, édulcoré, et il est urgent d’étendre la vigilance aux greffiers ! Imaginez un greffier cyclotouriste par lequel transiterait une affaire d’ivresse au guidon, surtout si le dit officier de justice est membre de l’Ordre international anysetier (auquel Michèle Alliot-Marie se dit « heureuse d’appartenir »).

Chevalier du Boudin blanc de Rethel (titulaire d’une indication géographique protégée) moi-même, je m’interdis strictement d’écrire la moindre ligne sur tout autre boudin blanc que du Rethélois, même pour le louer, fusse-t-il catalan d’au-delà des Pyrénées ou liégeois d’outre-quiévrain (que les Compagnons de celui d’Essay n’en reçoivent pas moins mes confraternelles accolades).

Je vous rejoindrai volontiers, Cher Maître, dans votre combat, lorsque nous en serons là : traquons toutes ces appartenances certes honorables, mais qui seraient susceptibles, même au moindre degré, d’influer sur le cours de la justice. Tant qu’à faire, délocalisons toutes les affaires : une Parisienne ne serait-elle point encline à faire preuve d’indulgence à l’endroit d’une autre Francilienne ? Un Alsacien au profit d’un voisin lorrain ? Un Nordiste buveur de bière à l’encontre d’un Navarrais amateur de vin ? Récusons, récusons hardiment ! Délocalisons, à Saint-Pierre ou Miquelon au besoin (quoique, pour couvrir des audiences, Mayotte aurait ma préférence).

Vous vous revendiquez de la « droite sauciflarde », je me sens plutôt proche de la « gauche boudiniste », mais qu’à cela ne tienne : étranglons résolument le dernier preneur d’intérêt avec les boyaux farcis du dernier… euh, quoi donc ? farfelu polémiste ? plumitif besogneux ? Dans ce cas, agissons sans hâte, ni précipitation : point de justice expéditive !

Je crois que le mieux serait de créer un comité… Connaîtriez-vous un Théodule pour le parrainer ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Anticor, Taubira et le favoritisme »

  1. on a bien vu dans le dossier du 1% logement du CIL Habitation française les avocats des prévenus (Gaubert et Smadja) exiger le remplacement de la Juge Mme Isabelle Prevost Desprez contre l’avis des parties civiles… ce qui revient à dire que les prévenus auraient la possiblité de …. choisir leur juge ???!!!….ce qui serait là aussi très incompréhensible en l’état… non ???

  2. TOPE-LA !!!!
    Dans un document de deux pages et demi adressé
    aux 40 procureurs généraux et aux 160 procureurs
    de France le 9 janvier dernier, la Garde des
    Sceaux, Christiane Taubira, préconise
    « d’aligner le régime des récidivistes sur celui
    des non-récidivistes en matière de réductions
    supplémentaires de peines (RSP) « ….
    En d’autres termes, il s’agit de placer sur
    un pied d’égalité le récidiviste et le primo-
    délinquant.

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