A l’heure où l’activité des trolls semble à son étiage, le moment est venu de tirer un bilan provisoire de l’actualité de ces dernières semaines.

 

Provisoire, car si le premier, qui disait viser notre salut, a finalement décidé de tirer sa révérence (« Adios amigos ») et si le second s’est mis en hibernation pour cause de « charrette », il n’est point besoin d’être grand clerc pour prédire que nous ne sommes pas prémunis de leur retour, et encore moins à l’abri de l’arrivée d’autres énergumènes, jusqu’alors inconnus de nous, parce qu’ils nous auraient (ou se seraient) ignorés jusqu’à présent. Sans basculer dans la psychologie de comptoir et de bas étage, on peut tenter de dresser le portrait robot de ces chevaliers à la triste figure.

 

Ce sont en général des gens intelligents et cultivés, même si leurs centres d’intérêt relèvent la plupart du temps d’une monomanie avérée. Quant à leur motivation, peu seraient en mesure de l’établir ou de la décrire, à part les intéressés eux-mêmes. Écoutons l’un d’eux : « lisez-moi, regardez comme j’écris bien moi le poète de C4N, j’ai envahit le site avec mes élucubrations, peu importe le sujet, je suis omniprésent je deviens omniscient ».

Omniprésent : leur première caractéristique, de toute évidence, est bien de disposer de temps, de beaucoup de temps pour se répandre à tout propos, peu importe le sujet. En cumulant ce qui leur est indispensable pour fureter de ci de là et pour composer ces commentaires au kilomètre (même si l’invention bénie par eux du copier-coller contribue à l’augmentation de leur « productivité »), on arrive aisément à un total de plusieurs heures par jour à devoir dédier à cette activité.

Cette disponibilité, qui n’est pas donnée à tout un chacun, peut résulter d’un grand nombre de circonstances, selon que le temps en question existe sui generis ou qu’il est prélevé sur une activité présumée principale.

Dans le dernier cas, le moins que l’on puisse en dire est pour s’étonner du laxisme de ceux qui rémunèrent cette activité supposée, à moins… A moins qu’elle ne corresponde à ce que l’on a coutume de nommer un « placard », une forme de harcèlement moral en entreprise beaucoup plus répandue qu’on pourrait le penser !

Lorsque ce temps n’est volé à personne, on a affaire à la catégorie dite des « inactifs », qui se ventile entre les oisifs et les faux chômeurs, (ceux qui disposent par ailleurs d’autres moyens d’existence). Mais son existence est rarement imputable à une situation positive et il faut compter avec ceux dont le temps disponible est d’origine médicale : insomnie, inaptitude au travail, maladie incapacitante (l’un d’eux n’écrivait-il pas : « vous êtes-vous déjà imaginé cloué à longueur de journée sur un lit d’hôpital » ?) .

Rares sont les vrais chômeurs ou les retraités à se laisser aller à ces égarements. Les premiers, parce qu’ils sont trop occupés (et préoccupés) par leur recherche d’emploi pour prélever sur le capital-temps qu’ils y consacrent ; les seconds, parce que les trolls sont en règle générale des êtres, sinon tout à fait jeunes, du moins dans la force de l’âge, très rarement du troisième et encore moins au-delà. Le point commun de toutes ces situations est donc de procéder d’évènements ou d’environnements hautement traumatisants.

Car, qu’il en soit franchement conscient ou non, le troll est avant tout une victime dont l’activisme à des relents de vengeance. Le problème est qu’il l’exerce tous azimuts d’une manière qui ne peut qu’engendrer successivement notre incompréhension, puis notre réprobation, puis notre colère. Révolte qui précède immédiatement les contre-mesures que nous serons inévitablement amenés à adopter pour assurer un minimum d’ordre et de sérénité. Et ces dernières seront fatalement considérées à leur tour comme des agressions, qui renforceront (sincèrement ou cyniquement) son sentiment de subir une injustice.

Un cercle vicieux accompli parce que cet activisme n’est en somme qu’une manière pour le troll de se prouver qu’il existe. Puisque là est son véritable enjeu, la seule manière d’en sortir par le haut serait de retourner son énergie (par analogie avec l’exemple des mafiosos repentis) au profit d’activités positives et valorisantes. Mais cette démarche supposerait un tel investissement en énergie initiale qu’elle restera pour longtemps du domaine de l’utopie.

Il faut donc trouver d’autres solutions.

La tactique du troll est connue : il procède par harcèlement des modérateurs (s’attachant à les noyer sous la tâche qu’il leur faut accomplir pour nettoyer le site, à la manière de Sisyphe) et de quelques auteurs devenus ses bêtes noires (ses têtes de Turcs) pour lui avoir tenu tête.

Il est pourtant condamné à l’échec, dès lors qu’il a été identifié, car les ressources du langage SQL permettent de construire des outils qui assurent méthodiquement et systématiquement la purge de toutes les entrées imputables au fauteur de troubles [DELETE … FROM … WHERE …].

On peut même faire en sorte qu’ils s’exécutent automatiquement, puisant leurs entrées dans des listes d’indésirables établies par les modérateurs et inverser de la sorte le déséquilibre de disponibilité qui est la seule arme des trolls : en mettant en œuvre de telles mesures, c’est leur propre « tâche » qui devient plus compliquée que celle de leurs opposants.

Seul l’établissement des critères du WHERE, ceux qui traduisent l’identité de l’intrus, requiert une compétence humaine ; mais celle-ci peut de même s’appuyer sur des outils mettant en œuvre la puissance de SQL (SELECT COUNT (…) FROM … GROUP BY …). On dispose ainsi en permanence et automatiquement d’un histogramme reflétant l’activité de toute personne enregistrée sur le site, apte à mettre en exergue des anomalies, quand elles sont aussi flagrantes que dans les cas qui nous intéressent ici.

Il est tout aussi élémentairement simple de connaître à tout moment les articles et les auteurs pris pour cible par ces tireurs isolés. Autant d’éléments qui pourraient s’avérer nécessaires si, dans des cas heureusement extrêmes, le processus devait évoluer vers un terme judiciaire ; ils auront permis, avant d’en arriver là, de les mettre en demeure de cesser leur manège répréhensible.

Plutôt que de détruire ces éléments, il convient d’ailleurs de les mettre en quarantaine en un lieu qui, en plus de faire place nette sur le site en éliminant la pollution, permette d’en conserver l’historique. Cette stratégie repose sur le postulat que puisque le troll se comporte en démiurge (ce qu’il manifeste par son déferlement non moins fantastique que son sentiment d’invulnérabilité), c’est par là qu’il finira tôt ou tard par se perdre lui-même en livrant des bribes qui, assemblées à la façon d’un puzzle, conduiront jusqu’à lui (ou elle, encore que le portrait-robot révèle une population essentiellement masculine).

Enfin, il est un dernier domaine, mais non moins important. L’arme absolue contre un troll, c’est le mépris et l’indifférence (plus ou moins dédaigneux) ; l’effet est comparable à la cigüe pour Socrate. On peut d’ailleurs, en jouant sur la tension de ce hauban, régler la voilure pour établir l’allure et le cap souhaités. Encore faut-il que deux conditions soient réunies.

La première est que le troll soit reconnaissable en tant que tel et plus spécifiquement par les nouveaux venus sur le site. De ce point de vue, un filigrane « TROLL » barrant le commentaire ne serait-il pas infiniment plus efficace que l’effacement systématique ?

La seconde est de ne pas troller soi-même, même à la manière dont Monsieur Jourdain faisait de la prose. Pour s’en convaincre, j’invite de nouveau les C4Niens à s’appliquer à eux-mêmes les tests du trollomètre ; ils pourraient être surpris de constater, ainsi que je l’ai fait moi-même, que rien n’est plus facile, avec pourtant les meilleures intentions, que de se laisser aller à cette dérive.

Par exemple, en confondant un fil de commentaires avec une messagerie privée où l’on entretient une conversation qui ne concerne et n’intéresse personne d’autre que les deux interlocuteurs, rigoureusement personne. Ou bien encore en se laissant aller à des propos d’exclusion, catégoriques, sans ouverture et sans nuances.

A cet égard, avant de presser la touche « Valider mon commentaire » (ou de manière plus générale, avant d’envoyer n’importe quel courrier électronique), ne serait-il pas opportun de s’imaginer pilote au moment d’un décollage en s’imposant de dérouler une check-list :

  • mes propos sont-ils inutilement blessants ?
  • même involontairement ?
  • intéressent-ils une infime minorité de la collectivité ?
  • ne concernent-ils qu’une seule personne ?
  • suis-je absolument certain de que j’affirme ?
  • n’existe-t-il pas le moindre doute ?

… ainsi que quelques autres de la même facture et de ne procéder à l’envoi que si aucune réponse à ces questions n’est « oui » ou simplement « peut-être ».

Bref, une autre façon de dire qu’il ne nous est certainement pas inutile de tourner notre plume sept fois dans l’encrier…