Facebookpeut être étonnant… pour peu que l’on sorte de son groupe et qu’on aille au contactdes autres…

Quelle ne fut pas ma surprise quand, lors de mon premier échange avec M., celle-ci m’annonça qu’elle vivait dans une grande réserve, mais qu’elle bénéficiait quand même du droit de se déplacer à travers les Etats-Unis.

Tributaire des offres d’emplois occasionnels dans le secteur de la santé pour lequel elle travaillait, et dont la plupart l’obligait à des trajets harassants hors de la réserve, elle comptait sur son agent qui s’occupait de tout, sauf nourriture et vêtements qui étaient à sa propre charge…

Je ne pris pas tout de suite la mesure de ce qu’elle me disait. Pas totalement inculte, je savais que les natifs américains (c’est ainsi que se nomment eux-mêmes les indiens d’Amérique, les « Natives ») avaient été cantonnés dans des réserves au 19ème siècle, suites aux guerres indiennes.

J’étais loin de m’imaginais à quel point ce sentiment, mélange de dépit, de frustration et de ressentiment  à l’égard du gouvernement, était encore présent.

A première vue, l’intégration à  « l’American way of Life » était totale. A première vue, car derrière l’image d’Epinal de types en pick-up, portant stetson et bottes de cow-boy, se cachait, surtout chez la génération des 50-60 ans, un regret farouche des temps anciens.

Elle parlait encore le Navajo, participait à la cérémonie du Peyotl et aux divers chants de bénédiction, mais se désespérait de voir la jeune génération perdre peu à peu l’héritage des traditions, adoptant un modèle qui, encore aujourd’hui, ne les acceptait pas totalement. L’alternative était mince : quitter la réserve et vivre comme un déraciné à Las Vegas ou dans une autre grande ville, ou  rester et tomber dans la spirale de du chômage, du désœuvrement ou pire, dans l’alcool ou la drogue.

Je fus surpris, au départ, qu’elle me parle si librement de sa vie.

C’est alors que me revint en mémoire sa réflexion sur « le droit de se déplacer à travers les Etats-Unis. Elle m’expliqua que, américaine jusqu’au plus profond d’elle, elle vivait pourtant, d’une certaine manière en territoire étranger, en quelque sorte, étrangère sur sa propre terre. 

Plus nous échangions, plus il m’apparaissait que l’américaine avec qui j’avais établi le contact n’était pas si « américaine » que cela, que sous la couche, finalement assez mince, de cet « American way of life », se dissimulait, toujours vivante, toujours active, un fond autre, différent.

Se déplacer « même à travers les Etats-Unis », c’était, pour elle, quitter son territoire, la réserve, pour rentrer dans un autre qui, bien qu’étant son pays, ne l’était pas totalement.

Nous prîmes l’habitude, doucement et par petites touches, d’évoquer nos cultures réciproques. De ces rencontres, à la fois lointaines et si proches, est né en moi une fascination pour l’histoire de ce peuple.

Pour ceux qui seraient désireux de découvrir ce qu’est être « native » aujourd’hui aux Etats-Unis, je conseille vivement la lecture des romans de Tony Hillerman, parus aux éditions du Rivage/Noir .On y découvre, en filigrane, cachée derrière de passionnantes enquêtes, une peinture saisissante de la culture contemporaine des Navajos.