Selon le site Mediapart, le parquet de Paris vient d’ouvrir une enquête pour « blanchiment de fraude fiscale » (ce fut confirmé par la suite) confiée à la Division nationale d’investigations financières et fiscales (Dniff). Cela conduira-t-il à un enterrement de première classe de l’affaire Cahuzac ? Est-ce le signe que Jérôme Cahuzac, décidément trop bon débatteur (face à Jean-Luc Mélenchon lors de l’émission Mots croisés, hier soir), ferait de l’ombre aux ambitions de rivaux ? Allez, sachons raison garder, et laissons-faire les enquêteurs.

Jean-Luc Mélenchon, face à Jérôme Cahuzac lors de l’émission Mots croisés, avait su déjouer le piège. Soit il écartait d’un revers de main toute allusion à l’affaire du présumé compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, et il décevait celles et ceux qui le voient en redresseurs de torts, en fossoyeur du système, de la caste politique française. Soit il en faisait trop, tenait des propos outranciers, mettait directement en cause Mediapart (jusqu’à supputer, tel un Bernard Debré, de l’UMP, que le site ait tout inventé ?), et sa stature d’homme d’État en aurait pâti.

Il a choisi le moyen terme : « si c’est vrai, c’est terrible, mais si c’est faux, c’est ignoble ».
Qui n’en serait d’accord ?
Et si c’est faux, Mediapart aura été piégé, très lourdement, mais peut toujours plaider la bonne foi.

J.-L. Melenchon poursuivait : « Je demande que la justice ne traîne pas, que la garde des Sceaux fasse en sorte que l’affaire soit jugée le plus vite possible, parce que ça va pourrir la vie politique de ce pays. ». Eh bien, autant que les enquêteurs et la justice prennent tout leur temps, n’agissent pas avec une précipitation qui pourrait leur être reprochée. Et place au prochain scandale, jusqu’à ce qu’on puisse se faire une opinion mieux informée sur l’affaire Cahuzac.

Plusieurs sources

Il reste à savoir ce que recouvre cette décision du parquet, qui elle vise en particulier au juste. L’enquête préliminaire est ouverte à la suite de la lettre d’Edwy Plenel au procureur de la République, lettre qui met clairement en cause Jérôme Cahuzac.

30 décembre, le parquet recevait la lettre, 8 janvier, ouverture d’une enquête présumée relative à des faits connus largement depuis le 4 décembre dernier mais en fait bien avant de diverses sources de Mediapart.

L’enquête vise bien les faits dénoncés par Mediapart, et il sera intéressant de savoir, dans un premier temps, qui était au courant de ce qui ne sont pour le moment, juridiquement, que des allégations, et surtout depuis combien de temps. On constatera aussi si les prédécesseurs de Jérôme Cahuzac au ministère du Budget (MM. Woerth et Baroin) se verront ou non poser des questions.

Le ministre a nié en bloc et en détail, Mediapart insiste : il a démenti « sans jamais pour autant répondre en détail aux questions qui se posent, en bloc, face à sa défense parfois incohérente, souvent mensongère. ». Bref, on se souvient des réactions américaines après l’affaire Clinton-Lewinsky, l’ancien président des États-Unis ayant déposé sous serment. Ce n’est pas encore le cas en France dans cette affaire, le ministre s’étant toutefois exprimé sur le sujet devant des parlementaires.

Un présumé compte toujours existant ?

Selon Mediapart, qui n’évoque pas ce jour l’énigmatique Marc D., présumé employé d’UBS à Singapour, les avoirs supposés de Jérôme Cahuzac seraient encore en Asie. Rien ne permet d’affirmer que ce soit encore le cas à présent mais ils auraient été détenus à l’étranger antérieurement à fin 2000, en Suisse jusqu’en 2010, puis à Singapour.

Il a été admis par Jérôme Cahuzac qu’il s’était rendu en Suisse, à Genève, début 2010. Il était député alors, et aurait contacté « des informateurs secrets » à propos de questions d’évasion fiscale.

La question n’a jamais été soulevée, il est temps de l’aborder. Pourquoi donc des informateurs se confient-ils à un simple député, de surcroît d’opposition, tant bien même fusse-t-il spécialiste de la fiscalité ? N’avaient-ils point confiance dans les députés de l’UMP, en Madame Largarde, en Monsieur Woerth (ministre du Budget jusqu’en mars 2010), en Monsieur Baroin ?
De plus, qu’est-il résulté de ces contacts et informations recueillies ? Soit cela relevait du farfelu, du trop vague, trop général, et l’on peut concevoir qu’il était superflu, de la part de Jérôme Cahuzac, de s’en ouvrir à qui de droit, soit il s’est rendu complice d’une manière ou d’une autre (dont ne sait trop quoi, et n’accusons pas sans preuve). Toujours est-il que jamais, lors de la campagne présidentielle, il n’a trop été question d’évasion fiscale, en tout cas de la part du Parti socialiste. Occasion ratée ?
On relève aussi qu’Éric Woerth, François Baroin, ont largement eu l’occasion de converser, notamment publiquement (Baroin s’adressant à Cahuzac à l’Assemblée, fin 2011, au sujet de la loi de Finances). 0n se souvient aussi que, en 2011, François Baroin portait plainte, au nom de la France, contre la filiale française de l’USB. On sait tout le bien et l’estime que, personnellement, MM. Woerth et Cahuzac pensent l’un de l’autre. On sait aussi que Jérôme Cahuzac, contrairement à ce qu’il exprimait en 2010, avait ironisé sur la mesure proposée par Nicolas Sarkozy visant les exilés fiscaux.

On sait que Jérôme Cahuzac reconnaît à François Baroin « une forme d’élégance en politique ». Et vice-versa. Mediapart adapte désormais « élégance » en connivence.

Deux ou trois plaintes ?

De son côté, Jérôme Cahuzac a déposé deux plaintes contre Mediapart. « Et non pas trois », relève le site alors que Jérôme Cahuzac, par deux fois, a déclaré avoir déposé trois plaintes. Il y a peut-être confusion. Il est fort possible que le ministre ait déposé plainte contre X (qui pourrait être Michel Gonelle&bnsp;?) pour faux et usage de faux (l’enregistrement d’une voix qui lui aurait été trop vite attribuée). On attendra donc d’en savoir davantage sur cette troisième plainte.

Conclusion (hâtive ?) de Mediapart : « Avec l’enquête ouverte par le parquet de Paris sur le fond des faits, sous un intitulé peu commode pour un ministre du budget en exercice – “blanchiment de fraude fiscale“ –, la justice ne semble plus vouloir se satisfaire du simple démenti de façade du ministre. ».

Une chose est sûre : l’action du parquet ne peut viser uniquement Jérôme Cahuzac. Elle doit concourir à éclairer toute cette affaire. La nouvelle de l’ouverture d’une enquête par le parquet a été depuis confirmée par Le Monde. C’est bien la Dniff qui est chargée des investigations.

L’enquête prendra plusieurs mois sans doute, et précèdera le traitement des plaintes contre Mediapart, qui ne pouvaient porter sur le fond. « Compte tenu de cette situation, des faits dénoncés par Mediapart susceptibles de recevoir une qualification pénale et des démentis de Monsieur Jérôme Cahuzac, il appartient au procureur de la République de Paris, conformément à la loi, de faire procéder sans attendre aux vérifications relatives à la réalité et au contenu de l’enregistrement ainsi qu’à toutes auditions nécessaires pour parvenir à la manifestation de la vérité. ».

L’enregistrement est réel

De son côté, un expert a été contacté par L’Express afin de voir si l’enregistrement a été truqué ou non. Ce ne serait pas le cas, mais Bernard Gautheron ne peut attribuer la voix à Jérôme Cahuzac. De plus, il y a plusieurs voix dont l’une énonce « cela va en Chine ». Michel Gonelle dément toute manipulation. Il faut donc croire que, dès 2000, le transfert de fonds vers l’Asie était programmé. Mais les fonds de qui ? De quelqu’un de l’entourage proche de Jérôme Cahuzac ou non ? Pourra-t-il répondre à cette question ?

Jérôme Cahuzac a accueilli « avec satisfaction la décision du parquet de Paris d’ouvrir une enquête préliminaire (…) qui permettra (…) de démontrer sa complète innocence des accusations absurdes dont il fait l’objet ». Et sans doute ou peut-être de démontrer à qui appartient la fameuse voix. Peut-être pourra-t-on reprocher – à impair véniel, reproche véniel – au ministre de s’être mal entouré ?

Réactions des abonnés de Mediapart : « Je parie que l’affaire Cahuzac va être rondement Woerthisée à grands frais pour le citoyen. ». Ou encore : « Touchant de voir comme les journalistes font semblant de croire qu’un procureur va investiguer véritablement contre un ministre en exercice en France… ».
Mais encore : « Il n’ y a donc rien à redire ni de procès d’intention à faire, actuellement il y a simplement urgence d’aller au bout pour faire la clarté, un point c’est tout. ».

Un voyage en 2009

Pour L’Express, qui devait être sans doute au courant de l’ouverture de l’enquête, et a peut-être attendu qu’il en soit ainsi pour livrer ce qu’il avait de son côté découvert (l’ouverture de l’enquête donne en quelque sorte carte blanche pour creuser l’affaire et ne plus se contenter de suivre Mediapart), ce ne serait pas en 2010, mais en 2009, que Jérôme Cahuzac se serait rendu à Genève.

En fait, un second voyage n’est pas à exclure.

Ce qu’il a résulté de ce ou de ces voyages devrait intéresser les policiers enquêteurs. Les informateurs de Jérôme Cahuzac, depuis tout ce temps, auront peut-être d’autres choses à leur dire. De plus, ils confirmeront sans doute ce qu’ils confiaient à Jérôme Cahuzac. Lequel devra aussi dire qui, de son entourage, pourrait avoir été témoin de la conversation enregistrée. Sur la première question, on pourrait comprendre que le ministre ne s’exprime pas publiquement. Sur la seconde, il peut le faire à présent… Sans même attendre de se confier aux enquêteurs.

Les réactions

Pour le moment, l’opposition UMP ne réagit pas ou botte en touche : le ministre peut rester à son poste, on verra bien. Mais vous pouvez compter sur les marges de l’opposition (voire même celles du PS) pour se lâcher un peu.
Peut-être pas frontalement. Mais, dès hier, Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon, confiait à Nouvelles de France, « j’avoue que je m’interroge, notamment sur les finances du Parti socialiste. On a volontiers fait la chasse à Nicolas Sarkozy en raison de ses liens avec Liliane Bettencourt mais je pense qu’il serait bon regarder de plus près les financeurs du PS. ». Cela après une déclaration sur la teneur du gouvernement en francs-maçons (rappelons que Michel Gonelle et nombre d’élus UMP le sont aussi).

Autant dire que, au fur et à mesure que l’enquête avancera ou s’enlisera, les attaques contre Jérôme Cahuzac s’amplifieront. Déjà, Daniel Flasquelle (UMP) lance : « Jérôme Cahuzac doit aux Français toute la vérité ». Le Front national, par la voix de Florian Philippot n’attendait que la décision judiciaire pour se lâcher : « par bon sens, on ne peut que demander sa démission ». Pour Nadine Morano, la situation est intenable, Cahuzac doit démissionner : « François Hollande avait dit durant sa campagne qu’il ne s’entourerait pas de personnes qui ont eu à faire à la justice. ».

Attendez-vous à entendre d’autres responsables de formations politiques s’exprimer de la sorte. Ce n’est que le début. Laurent Wauquiez, dès le 6 décembre 2012, avait demandé une audition publique de Jérôme Cahuzac devant la commission des Finances. Il était bien seul. Le restera-t-il ?

La réaction de Matignon, qui se félicite aussi de l’ouverture de l’enquête, risque d’être critiquée si Jérôme Cahuzac n’est pas entendu, si l’entraide judiciaire n’est pas demandée à la Suisse. Jérôme Cahuzac risque de fragiliser tout le gouvernement. Si l’enquête ne débouche pas sur la désignation d’un juge d’instruction, c’est la chancellerie qui sera mise en cause, puis… « Cet élément supplémentaire permettra d’établir la vérité que Jérôme Cahuzac réclame », a-t-il été déclaré par les services du Premier ministre à l’AFP. Eh bien, souhaitons que ce soit en permettant de mettre un nom sur « la voix ». 

Patrice Arfi, de Mediapart, sur Europe 1, a commenté à propos de l’enquête « c’est une bonne nouvelle, mais une moitié de bonne nouvelle car l’enquête est dans les mains d’un procureur de la République, c’est-à-dire d’un magistrat soumis au pouvoir exécutif… ». Allons, ne préjugeons de rien, le passage par le parquet est tout à fait normal et ne saurait déjà laisser supputer la suite.

Ah, au fait, pour Bernard Tapie (sur BFM TV), l’ouverture de cette enquête, « cela vaut trois lignes, pas plus » (dans ses journaux du sud de la France, La Provence, Var-Matin, Nice-Matin, Corse-Matin). Très heureux de n’avoir pas été racheté, avec les meubles, par Bernard Tapie : j’aurais vite été poussé vers la sortie, comme sous son prédécesseur, ailleurs… En tout cas, Tapie ne vaut pas plus de quatre lignes…