Si Mediapart est crédible après les aveux de Jérôme Cahuzac, Michel Gonelle l’est tout autant. C’est pourquoi Frédéric Ploquin, de Marianne, l’a rencontré. Il ressort de l’entretien que l’Élysée n’a pas trop voulu hâter la démission de l’ex-ministre du Budget mais aussi que la droite au pouvoir, vraisemblablement début novembre 2006, si ce n’est auparavant, n’ignorait rien du compte à l’étranger de celui que Nicolas Sarkozy adouba président de la commission des Finances.
Certes, en pratiquant une politique d’ouverture et en offrant à l’opposition d’alors la possibilité de détenir la présidence de la commission des Finances à l’Assemblée nationale, Nicolas Sarkozy a d’une part bien fait, mais d’autre part ne s’est sans doute vu imposer un titulaire dont il ne voulait absolument pas.
Souvenez-vous des cohabitations : Chirac n’imposait pas un ministre à Mitterrand, Jospin de même à Chirac.
Pour Michel Gonelle, « on ne comprend rien si on ne prend pas en compte la relation entre Éric Woerth et Jérôme Cahuzac qui dira du premier, en dépit de toutes les affaires judiciaires en cours, qu’il est un parfait honnête homme… ».
On ne va pas, ici sur Come4News surtout, qui en a rendu largement compte, « en bloc et en détail s;», refaire l’affaire Cahuzac. D’autant que Frédéric Ploquin se livre à l’exercice, et que son article est en accès libre sur le site de Marianne.
Mais il reste des éléments qui valent précision, d’autres, périphériques, que Frédéric Ploquin a débusqué.
Ainsi, quand, en octobre 2012, l’appartement de Jérôme Cahuzac est cambriolé et qu’une collection de garde-temps de grand luxe que lui envierait Julien Dray (non, je n’écris pas que Julien Dray soit le commanditaire) lui est dérobée, que fait le ministre ? Il expédie l’un de ses avocats à Singapour.
Michel Gonelle avait, à l’issue des aveux de Jérôme Cahuzac, indiqué qu’un haut fonctionnaire des Douanes, spécialiste de l’évasion fiscale, par ailleurs adjoint aux Finances d’une mairie du Val-d’Oise (et non de l’Oise), avait rédigé une note mentionnant le compte Cahuzac. Ce fonctionnaire existe, n’est aucunement une invention : il se refuse à toute déclaration… Mais Bercy pourrait le libérer de son devoir de réserve et là, on attend…
En fait, Bercy n’a aucune envie de revenir sur le sujet, en connivence d’ailleurs avec la droite, qui a fait un peu de battage, qui a sans doute laissé des initiatives hasardeuses de parlementaires moins au parfum du dossier se mettre en avant, avant sans doute qu’il leur soit signalé l’opportunité de ne pas aller trop loin.
Mais revenons sur l’épisode Bruguière. Le magistrat se présente aux législatives à Villeneuve-sur-Lot. Bien sûr, il va chercher chez Michel Gonelle des angles d’attaque pour sa campagne. C’est le 12 novembre 2006.
« On parle (…) de ce train de vie hors du commun, de cet appartement de l’avenue de Breteuil, de cette activité de chirurgien dont il ne parle jamais », se remémore M. Gonelle. Et croyez-moi, quand on sait le train de vie très confortable de l’ancien député-maire et bâtonnier, un train de vie hors du commun, à ses yeux, ce n’est pas rien. Puis M. Gonelle évoque le fameux enregistrement.
Petite précision du juge alors : « j’ai des techniciens capables d’améliorer le son ».
Par la suite, Bruguière jure tel un Cahuzac n’avoir jamais écouté cet enregistrement. Mais Gonelle produit un « long courrier » de remerciement de sa part. Cette lettre est à présent aux mains de la police judiciaire.
Autre élément : les bonnes relations, sous le gouvernement Jospin, entre Cahuzac et le ministre du Budget d’alors, Christian Sautter, qui couvrira les premières mises au placard de l’inspecteur Rémy Garnier dans l’affaire d’une coopérative de pruniculteurs du Lot. Question : dans les fonds planqués en Suisse puis à Singapour, aucune petite gratification de la part de ces coopérateurs ? Quand le ministère passe à droite, personne ne se souvient plus de rien ?
Ajoutons que J. Cahuzac ne partage pas que des amis ou lointains cousins par alliance avec l’extrême-droite depuis dans la mouvance du Front national. Il a aussi en commun avec Nicolas Sarkozy l’ancien gestionnaire de fortune Hervé Dreyfus, le demi-frère de Dominique Reyl.
Jérôme Cahuzac « tient », comme sans doute Éric Woerth, beaucoup de monde… Ils ont sans doute conservé des photocopies de leurs dossiers.
Ce qu’on ne peut pas reprocher à l’Élysée ou au gouvernement Ayrault, c’est d’avoir tenté de freiner Michel Gonelle lorsqu’il cherche à savoir quelles pourraient être les suites judiciaires. Il est incité à s’adresser à la justice, il le fait, et c’est sans doute le véritable déclencheur des aveux qui vont suivre.
Lorsque Christian Barbier avait interrogé François Rebsamen en ces termes, « la droite a un peu étouffé ça, comme la gauche ? », ce dernier avait sobrement répondu « oui ».
Mais « un peu » est une litote.
La justice suit son long cours. Daniel Vial, un ancien employeur de J. Cahuzac du temps où ce dernier œuvrait pour des laboratoires, a été perquisitionné.
On voit les suites. Au fait, de combien les fonds rapatriés en France depuis Singapour ont-ils été ponctionnés par Bercy : on aimerait savoir. Il y a-t-il eu transaction ? Saisie et mise sous séquestre ou quoi ?
On voit aussi que seuls les députés des Verts se prononcent pour la transparence totale pour les députés. Tous les autres, à quelques exceptions près, du Front de Gauche au FN, sont contre… Effectivement, si tout à coup, un Cahuzac un peu poussé à bout, qui a fait venir des masses de déclarations fiscales dans son bureau de président de commission, se mettait à balancer (enfin, à évoquer…), cela pourrait faire bizarre.
Le Premier ministre pourrait user de l’article 49-3 pour forcer les députés à la transparence, faire en sorte que les déclarations soient contrôlées : on attend…
On attend bien sûr aussi une commission parlementaire pour entendre conjointement Éric Woerth et Jérôme Cahuzac sur leurs relations, leur nature exacte : on peut attendre…
La Tribune de Genève s’interroge : hormis Jérôme Cahuzac, aucun ministre n’aurait donc la moindre montre suisse de valeur dans son patrimoine ? Or, bizarrement, selon Business Montres, Pierre Moscovici aurait une Patek Philippe (la marque ne communique jamais sur les prix, sauf sur ceux atteints – faramineux souvent – par des modèles anciens lors de ventes publiques). Pas besoin de les déclarer, ce sont des œuvres d’art. Or, certaines montres valent à elles-seules tout le montant avoué par Cahuzac à Singapour : 600 000 euros.
Déclarations, oui, sur l’honneur, sans doute, mais si l’on confrontait les déclarations sur l’honneur aux fiscales ? Un seul tableau de maître, une seule montre suisse de valeur, et que se passerait-il ?
En tout cas, l’affaire fait tache d’huile : en Italie, il est question de la démission de Vittorio Grilli, dans l’affaire de la banque Monte dei Paschi di Siena. Il est aussi ministre de l’Économie. Ce n’est pas Mediapart, mais Bloomberg, qui l’a pincé. Il avait acquis, en 2004, sur la prestigieuse avenue romaine San Valentino, un appartement largement sous-évalué… pour seulement 1,07 millions d’euros. L’affaire Cahuzac est invoquée pour demander sa démission.
[b]Mais nous le savons tous que dans notre ripoublique tout le monde tient tout le monde par la barbichette, et ce, depuis des lustres ![/b]