Abeilles et pesticides : les hésitations des pays européens

La France, pays autrefois exportateur, doit à présent importer du miel de Chine (gonflé au sucre courant, trop souvent).
Les cours d’eau européens sont à présent fortement pollués par les pesticides, et leur emploi très (trop) généralisé est la raison, selon les apiculteurs, de la disparition progressive des insectes pollinisateurs.
Diverses associations ont obtenu une sorte de moratoire de Bruxelles…
Mais ce serait en fait une entourloupe, selon l’association Pollinis.
Le but serait en fait, au bout d’une période de test de deux ans, d’établir qu’il n’y a aucun lien entre l’utilisation des pesticides, notamment les néocotinoïdes, et la disparition progressive des insectes pollinisateurs.

Le sujet reste délicat. En juin dernier, le Conseil national suisse s’est prononcé pour suivre les recommandations de la Commission européenne qui prévoit de restreindre les autorisations d’emploi de trois pesticides pour les cultures de maïs et de colza, à partir de décembre prochain, mais il a été une nouvelle fois soutenu, et majoritairement admis, qu’une interdiction plus globale n’était pas nécessaire. Au motif qu’il faudrait « relativiser » la nocivité des pesticides pour les abeilles, et qu’« aucun lien direct entre l’utilisation de pesticides et la mort des abeilles n’a pu être prouvé. ». 

Faire en sorte que cela reste ainsi, telle serait, selon l’association Pollinis, l’objectif de la mesure adoptée par Bruxelles.

Trois pesticides néonicotinoïdes se voient non pas interdits, mais restreints d’emploi pour deux ans. L’interdiction ne porte que sur certaines cultures et périodes de l’année. Alors que les substances employées peuvent rester opérantes dans les sols pendant trois ans. Par conséquent, les cultures non-traitées replantées sur un terrain soumis à l’interdiction resteront imprégnées de néonicotinoïdes.

« À la fin de la période-test de deux ans, les multinationales pourront prouver que les abeilles continuent d’être décimées malgré la soi-disant interdiction de leurs produits, et qu’ils n’y sont pour rien. Ils auront réussi à blanchir leurs pesticides et à maintenir leurs profits pour longtemps ! ».

Effectivement, si les insectes pollinisateurs continuent de mourir malgré la mesure d’interdiction temporaire, les firmes de produits chimiques comme Bayer ou Syngenta pourront arguer l’absence de cause à effet.

L’European Food Safety Authority a bien reconnu que les pesticides à base de clothianidin, thiamethoxan et imidacloprid présentent un risque très élevé pour la survie des abeilles. Mais pour les céréales hivernales, les cultures sous serre, les récoltes effectuées avant floraison, il est considéré que les risques sont inexistants. Admettons (ou faisons semblant de croire) que les serres ne soient jamais visitées par des abeilles, car totalement étanches, dotées de sas, &c.

Du 30 novembre prochain au premier décembre 2015, l’interdiction s’appliquera, ensuite, une évaluation décidera de l’opportunité de rendre ou non définitive cette interdiction.

Syngenta a d’abord critiqué les conclusions de l’Efsa avant d’asséner l’argument que l’interdiction entrainerait des pertes de 40 % de productivité pour le maïs, le blé d’hiver, les betteraves sucrières et les tournesols. Le lobby des semenciers a contre attaqué en proposant de planter des prairies fleuries pour accréditer la thèse que c’est la raréfaction générale de pollen qui provoque la mort des abeilles et autres pollinisateurs, et non les insecticides. Bayer, Mosanto, BASF, Dow, DuPont et Syngenta ont pratiquement tout fait pour limiter l’interdiction.

Mais les résidus se répandent. Ou subsistent, actifs, dans les sols, jusqu’à 6 900 jours, selon une étude américaine. L’imidacloprid avait été interdite en France en janvier 1999. Jusqu’en 2003, la substance était retrouvée dans 25 ruchers tests répartis entre cinq départements français.

Pollinis évoque donc « une gigantesque escroquerie », « un plan désastreux (…) diabolique (…) démoniaque…», et préconise le retour à un système de rotation des cultures. L’association met donc en ligne, en trois langues (français, anglais, espagnol) une pétition pour qu’il soit renoncé à l’interdiction partielle au profit d’une interdiction totale et définitive. L’objectif est de recueillir au plus vite un million de signatures (on en serait ce jour à la moitié).

La Confédération paysanne française relève que la France est le troisième consommateur mondial d’insecticides, après les États-Unis et le Japon et met en avant les mesures prises en Italie. L’interdiction avait fait reculer la mortalité dans les ruches de 37,5 à 15 %. Les céréales d’hiver couvrent cinq millions d’hectares en France. « Une suspension de deux ans est trop courte par rapport à la persistance très longue de ces produits dans les sols, » relève la Confédération.

L’utilisation de ces pesticides en hiver pourra aussi réduire la population des bourdons, qui résistent à des températures inférieures à celles supportées par les abeilles. Or, ce sont aussi des insectes pollinisateurs.

Mercredi dernier, le parlement wallon, qui avait depuis 2005 limité l’utilisation des pesticides, s’est placé, selon le ministre Philippe Henry, « dans une logique d’interdiction des pesticides dans les espaces publics », tout en admettant des dérogations jusqu’en 2019, rapporte la RTBF. L’utilisation des pesticides sera désormais soumis à licence.

Le ministère russe des Ressources naturelles et de l’environnement s’est opposé aux États-Unis sur ce sujet. Selon les études russes, les néonicotinoïdes sont nocifs, et les preuves en sont incontestables. Mais aux États-Unis, les protocoles des tests ont été calibrés pour satisfaire Monsanto et les autres industriels.La mise sur le marché, en 2003, s’était fondée sur une étude menée par… Bayer.

Voir aussi, sur Come4News, « les abeilles ont le bourdon ». La Chine a certes la main-d’œuvre suffisante pour polleniser manuellement, mais pas vraiment l’Europe. Ce qui n’empêche pas la pharmacopée traditionnelle chinoise d’être contaminée par les pesticides, comme la constaté une étude française de Greenpeace : sur 36 produits chinois, 32 contenaient entre trois et 26 traces de pesticides différents, dont certains (17) à des doses très dangereuses selon l’OMS et 26 à des niveaux supérieurs à ceux autorisés par l’Union européenne. Certains étaient même interdits en Chine. Car à présent, les herbes médicinales chinoises destinées au marché intérieur ou à l’export, autrefois cueillies dans la nature, sont cultivées intensivement.

Sur les cent premières cultures vivrières fournissant 90 % de la consommation alimentaire mondiale de produits céréaliers, fruitiers, de primeurs, &c., 71 sont pollenisés par les abeilles ou les bourdons ou d’autres insectes. L’organisation Avaaz avait lancé aussi une pétition qui a recueilli mondialement plus de 2,5 millions de signatures à ce jour. Une autre initiative propose d’envoyer un message au ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll (c’est ici). Avaaz espère recueillir 500 000 signatures. Ces initiatives ont certainement influencé pour partie la décision européenne, jugée à présent trop timide, et même fallacieuse.

Le fait du jour, c’est aussi la découverte de traces de pesticides dans les fraises françaises et espagnoles. Générations futures avait testé 49 échantillons, révélant la présence de pesticides interdits en Europe dans quatre. L’Association des organisations de producteurs Nationale Fraise (AOPn Fraise) a reconnu les faits et son président, Xavier Masse a relevé que l’endosulfan « se dégrade très difficilement ». Par conséquent, les producteurs ayant employé le produit avant l’interdiction peuvent fort bien produire des plants récents contenant des traces en quantités supérieures à ce qu’attendu. Sur les 37 molécules détectées, huit sont des perturbateurs endocriniens, qui se transmettent à sa progéniture, sur deux ou trois générations.

Ce qui vaut pour l’endosulfan (interdit depuis 2005) et le carbosulfan (depuis 2007) ne vaut-il pas pour les néonicotinoïdes ?

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

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