A propos du coming out de Roger Karoutchi

Le secrétaire d'état des relations avec le parlement Roger Karoutchi a évoqué son homosexualité dans le magazine l'Optimum.

Quelle vogue pour cette action au cours de laquelle une personnalité, célèbre ou obscure,  déclare son homosexualité sur les ondes, le petit écran, face à sa famille et à ses amis réunis ! Roger Karoutchi l’a relaté dans le magazine l’Optimum ; il n’a pas dérogé à ce comportement poussé, dit-on, par son parti, mais aussi parce qu’il en brigue l’investiture pour les régionales franciliennes. L’homosexualité de Roger Karoutchi n’était qu’un secret de polichinelle, si tant est que secret il y eut. Les motifs de ce coming out me semblent parfaitement diplomatiques ; ce qu’on met en avant n’est pas forcément une réalité transmissible aux autres qui souvent la reçoive chargée de fantasmes.
Qu’est-ce qui pousse les tenants de l’homosexualité à sortir du placard ? Est-ce que les hétérosexuels font leur coming out ? A partir de mon comportement sexuel qui dépend de mes pulsions et de mon désir, pourquoi aurais-je à justifier de ma position ? Serait-ce un accord implicite, une reconnaissance bénie, une soumission sous-jacente à l’ordre socio-culturel que je rechercherais ? Le coming out est entaché d’un aveu qui le lie à la culpabilité, qui place l’homosexualité dans un espace à la fois transcendant et dévalorisant. Est-ce qu’un homme de couleur s’avance pour déclarer qu’il est noir ? Il l’est de fait et c’est irréversible. Ainsi l’homosexualité est de fait. Elle est ce qui est tissé, ce qui est la trame et de ma chair et de mon âme et de mon sexe. Je n’ai ni à en faire un fer de lance, ni un secret honteux, ni à la livrer en pâture à la chose publique, ni à la sublimer dans l’action politique, ni à la ravaler dans l’homophobie. Dans quelle mesure, en tant que sujet homosexuel, ai-je besoin de la compréhension du monde, de l’assentiment de ma famille, de l’égalité des droits, toutes choses extérieures à mon intimité qui n’a pas besoin de lever le doigt pour obtenir l’autorisation de s’exprimer puisque cette expression s’exerce en dehors de ma volonté ?
Qui plus est, quel est le partage des eaux entre homosexualité et hétérosexualité ? Cette frontière est devenue très élastique à en croire les personnes bisexuelles. L’apparente libération dont jouit plus ou moins le monde homosexuel est similaire à celle dont jouissent soi-disant  les femmes, à savoir un leurre. Pourra-t-on jamais extirper des cerveaux les stéréotypes, les idées reçues, les croyances, les codes que porte l’idéologie hétérosexuelle depuis des siècles et qui saturent aussi l’idéologie homosexuelle ? Le fantasme le plus courant est d’affirmer qu’homosexualité et féminité sont assimilables. La représentation des hommes homosexuels est liée aux folles, ce qui traduit un double rabaissement : le mépris des femmes que redouble le mépris des homosexuels. Ce fantasme continue à sévir dans le septième art, à travers des films comme La Cage aux Folles, Pédale Douce, Poltergay, etc. René Crevel, écrivain surréaliste, dans un œuvre datée de 1925, La Mort Difficile, où il met en scène l’amour qu’il éprouve pour un peintre avait déjà fustigé cette attitude dénigrante : « Tant que les tiers croient à un vice, tant qu’ils en espèrent des spectacles bien montés, ou même à la rigueur un éparpillement de gestes qu’ils se réjouissent de juger aussi coupables et aussi rares que les orchidées d’Oscar Wilde, respectueux intérêts. Mais vienne la souffrance que ne révèle aucune cocasserie, que ne grossissent ni les persécutions sociales, ni le cachot, ni l’attirail du pire esthétisme, vienne la souffrance sans mot et qui ronge silencieusement, ceux qui avaient espéré de curieux décors, des anecdotes piquantes, des chroniques scandaleuses ne pardonnent point à la passion sa douleur trop simple ».
Le lesbianisme est mieux toléré dans la mesure où l’homme, hétérosexuel bon teint, se prétend capable d’intervenir pour recadrer les femmes dans la sacro-sainte voie hétérosexuelle. A ce sujet, Kimberley  Peirce a tourné un film admirable, Boys don’t cry, à partir d’une histoire authentique où la jeune Teena Brandon —qui inversa nom et prénom pour s’apparenter à un garçon— est violée et sodomisée par deux hommes qui prétendent ainsi en rectifier l’orientation sexuelle, qu’ils “rectifient” d’ailleurs jusqu’au meurtre.
L’exigence des associations homosexuelles passe par l’obtention de droits égaux à ceux des hétérosexuels : accéder à des postes-clés sans discrimination, se marier, adopter des enfants ; si l’état n’a pas accordé le droit d’adoption aux couples concubins, c’est parce qu’il savait que derrière ces couples se profilaient les couples homosexuels et que l’accorder aux premiers aurait fait jurisprudence pour les seconds. Chacun doit avoir à cœur d’envisager sa vie selon les règles et les désirs qu’il met en place. Que des couples homosexuels aspirent à se marier, qu’ils se marient ! Qu’ils souhaitent adopter des enfants, qu’ils les adoptent !

La question fondamentale que l’on se pose est la suivante : pourquoi le monde lesbien, gay, bisexuel, transsexuel s’est-il polarisé sur le modèle hétérosexuel qu’il a déplacé sur lui-même et auquel il s’identifie ? Ces sexualités naguère méprisées —voire actuellement sur un mode plus sournois—, rabaissées, marginalisées, conspuées, persécutées, clandestines, lorsqu’elles viennent au jour ne peuvent-elles créer autre chose que le fiasco hétérosexuel ? Dans Une Saison en Enfer, Arthur Rimbaud écrit : «Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l’aliment du mariage aujourd’hui. Ou bien je vois des femmes, avec le signe du bonheur, dont, moi, j’aurai pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d’abord par des brutes sensibles comme des bûchers… »

La relation au corps, la jouissance, l’accompagnement par la parole, le regard, la présence, le soutien, tous ces éléments sont à réinventer dans une approche originale et créatrice de l’amour homosexuel. Il n’y a pas à reproduire un modèle hétérosexuel qui s’alimente de ses propres impasses : rivalité, jalousie, tromperie, exclusivisme, possession, pseudo-fidélité, reprise des rôles parentaux et ancestraux. Dans Les Ombres Errantes, Pascal Quignard écrit : « Toutes les communautés recherchent la reconnaissance sociale comme un signe lancé de plus loin que l’espace externe, de plus loin que l’air atmosphérique, en amont de la naissance : signe d’appartenance. Ours, alouettes, femmes, homosexuels, malades, errants, musiciens, peintres, écrivains, saints, ne vous signalez pas aux pouvoirs politiques.

Ne réclamez pas de droits au tribunal ni de sens à l’état.
Tel est le deuxième argument : l’État par définition est sans fondement comme le droit lui-même.
Un mort par violence le fonde comme la victime émissaire fait le dieu.