Le succès amplement méritée de son dernier film « Welcome »  dont l’intérêt n’est plus à démontrer, a quelque peu éclipsé les œuvres précédentes de l’excellent réalisateur qu’est   Philippe Lioret.

Nous lui devons pourtant plusieurs très bons films de ces dernières années , « Tenue correcte exigée », « l’équipier » «  Je vais bien, ne t’en fais pas », ou bien encore                              «  Mademoiselle »…sans parler de sa participation à de nombreuses réalisations antérieures en tant qu’ingénieur du son .

Né en 1955 à Paris, c’est en effet par la voie technique, celle du son, que Lioret  a abordé sa carrière dans l’univers du cinéma et s’est fait remarqué par ses futurs confrères pour l’excellence de son travail. Il a participé aux films de Mocky, Altman ou Deville avant de se lancer  lui-même dans la réalisation en 1993 avec la comédie douce amère  « Tombés du ciel », où le brio désinvolte du comédien Jean Rochefort faisait merveille.

Depuis ce jour, Philippe Lioret poursuit son petit bonhomme de chemin dans une œuvre cohérente  mêlant habilement analyse sociale, conflits de classe, études de caractère mais toujours au service de bonnes histoires telles que nous les aimons tous .

Mais revenons au vrai sujet de cet article ….

Parce que j’habite dans une « campagne isolée », peu couverte par les technologies modernes, et que mes finances ne me permettent pas les abonnements divers et coûteux, j’ai choisi de m’abonner à une formule de vidéos par correspondance, fiable et peu onéreuse qui me permet de visionner tous les films que je souhaite en toute légalité et liberté de choix..

Je dois vous dire que mes goûts cinématographiques sont très éclectiques…Formée à la rude école du ciné-club à l’ancienne où l’on débattait avec bonheur  pendant des heures des mérites comparés du western italien ou américain, de l’esthétisme de Bergman , de la rigueur de Melville ou du sens de la grandeur de Visconti, j’en ai certes gardé le goût  de la découverte mais surtout celui des bonnes histoires, celles qui ont un commencement et une fin , nous parlent de nos émotions et de notre vie , nous émeuvent et nous font rêver…

Certains diront que c’est un peu court, pas très branché, que l’art c’est autre chose et en particulier « le 7ème »…

Tant pis, j’assume  mes choix , car autant se faire plaisir  n’est ce pas ???

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C’est ainsi que presque par hasard, attiré par une courte présentation et des noms d’acteurs talentueux, j’ai découvert « l’équipier » réalisé par Philippe Lioret en 2004 , avec le concours de Philippe Torreton, Sandrine Bonnaire, Emilie Dequenne et Grégory Derangère.

Ce film est passé quasiment inaperçu à sa sortie en salle, pourtant il m’a touchée , remuée et apporté une réelle émotion et j’ai eu envie de vous la faire partager dans les colonnes de notre site , afin de lui rendre justice et peut-être de vous permettre à votre tour de l’aimer… Qui sait, C4N lui donnera peut-être une seconde chance grâce à son lectorat ???

De quoi s’agit-il dans ce film ?

Je crois que l’on pourrait dire que c’est un peu un mélodrame  à l’ancienne traité d’une façon moderne. Construit en flash-back  autour d’un secret de famille, le film aborde des thèmes variés, du rude quotidien des derniers gardiens de phare à l’univers viril autant que restreint, en passant par le rejet de l’étranger ( déjà…) propre aux communautés isolées, sans oublier les possibles ravages d’une  passion inattendue ….

Camille revient à Ouessant, son île natale, pour la vente de la maison de ses parents disparus. Une dernière nuit dans ce lieu de son enfance en compagnie de sa tante, sera pour cette jeune femme l’occasion de découvrir la vérité sur sa naissance  et le passage dévastateur d’un bel étranger à l’île, venu faire équipe avec son père alors gardien-chef du phare de la « Jument ».  C’est de la  confrontation entre la chronique toute simple de la vie quotidienne de l’ile bretonne et la force romanesque des rapports humains complexes qui se tissent entre les protagonistes de l’histoire qui donne  au film son balancement juste et touchant. Car l’équipier est un bel homme « au passé tragique qui éveille la méfiance des hommes et le trouble des femmes » comme l’exprimait la critique Marie-Noelle Tranchant dans le Figaroscope de l’époque …

Philippe Lioret résumait ainsi son film : « "Pour simplifier, disons que c’est l’histoire de deux rencontres croisées, un amour et une amitié, depuis leur naissance jusqu’à leur fin, assez tragique….. J’aime les films qui nous hantent longtemps après en nous ramenant à notre propre histoire…".  Car en effet quoi de plus banal que la rencontre de ces deux hommes, Antoine et Yvon ? Certes, elle n’était pas prévue, puisque Antoine va prendre la place d’un jeune îlien  et s’attirer ainsi les foudres  de la communauté… Mais la rudesse des conditions de vie sur le phare, les risques et la pénibilité du métier de gardien, la bonne volonté réciproque vont peu à peu faire naître l’amitié, la vraie, celle qui n’a pas besoin de mots,  entre les deux hommes, et cette amitié sera plus forte  que tout.Plus forte que la passion soudaine et brutale qui va brièvement unir Antoine et Mabé la femme d’Yvon, femme forte et fragile, frustrée dans son quotidien, solitaire mais pourtant solidaire aussi …Plus forte que son désir d’oubli d’un passé tragique et trouble ou que l’amour naissant d’une charmante jeune fille de l’île.Si forte sans doute, qu’à notre époque du «  on peut tout faire pour assouvir ses désirs », Antoine, lui,  choisira un départ sans gloire tandis qu’Yvon choisira d’oublier et de continuer…. Philippe Lioret a confié que le choix de Philippe Torreton pour le rôle d’Yvon a été évident, mais qu’il a été difficile de trouver un acteur pour tenir celui d’Antoine, finalement confié à Gregori Derangère : "J’avais envie d’une tête nouvelle, mais il fallait aussi qu’il ait le charme du mec qui vient d’ailleurs, et surtout qu’il "fasse le poids", qu’il soit charismatique, car l’Equipier, le rôle-titre, c’était lui. » Le jeune acteur doit son rôle à son côté «  James Steward » et à sa générosité naturelle qui lui permet de s’intégrer parfaitement à une équipe soudée. Emilie Dequenne , dans un second rôle, est toute de fraîcheur, un bien joli personnage, spontané et enthousiaste. Quand à Sandrine Bonnaire, déjà présente dans « Mademoiselle », son jeu tout en finesse et en retenue fait merveille et nous vivons intensément avec elle, sans avoir besoin de grand discours, les émotions imprévues qui bouleversent sa vie depuis l’intrusion de ce bel étranger.Mais le personnage principal du film est sans conteste «  le phare de la jument », phare de haute mer dit « d’enfer »  où la violence des éléments est extrême, le danger et la mort toujours présents. Tous les phares de mer sont aujourd’hui automatisés , il n’y a donc plus de gardiens de phares, ces sentinelles menacées… C’est la fin d’un monde. Il n’y aura plus de relèves, plus de ces gardiens qui passent parfois soixante jours enfermés dans leur tour parce que "temps permet pas" de les relever, des hommes que la folie guette, qui doivent à tout prix tenir la lampe allumée, malgré la tempête qui jette des vagues monstrueuses jusqu’en haut du phare qui tremble. Philippe Lioret a choisi de leur rendre hommage dans son film, de nous donner à comprendre leurs rudes conditions de vie et c’est vraiment un très bel hommage …Quelques mots sur le tournage : Si les scènes de relève et de tempête ont été tournées en décors naturels, au pied de la Jument, les intérieurs ont été construits en studio. Le cinéaste a justifié ce choix : "Il est absolument impossible de transporter une équipe de long métrage dans la folie de la mer d’Iroise. Impossible. De même, il était hors de question de tourner dans la lampe du phare et sur la coursive de cette forteresse imprenable. On a donc construit la réplique exacte des trois derniers étages de La Jument en haut d’une falaise près du Conquet : 15 mètres de haut, un immeuble de 5 étages, un vrai phare avec une vraie lampe, visible à plusieurs milles en mer (…) Ensuite, on a entouré l’édifice de gigantesques canons qui crachaient des centaines de milliers de litres d’eau, et on est monté dessus. Des vacances, quoi…"La bande originale de L’Equipier est signée de l’Italien Nicola Piovani, l’un des des plus grands compositeurs de musique de films actuels. Sa partition entre mélancolie et violence accompagne remarquablement  le romanesque  incandescent  des émotions comme le déchaînement de la nature . Une bien belle musique ….voilà, chers lecteurs de C4N, vous savez désormais (presque) tout de ce très beau film…Aurez-vous la curiosité de chercher à le visionner ?Si oui, n’hésitez pas à revenir partager votre avis avec nous …Cela me fera le plus grand plaisir et un beau débat en perspective !   allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18369657&cfilm=53527.html/allocine.fr