À peine circonspect à l’endroit d’Emmanuel Macron dans son pamphlet Ça sent la rose, Charles Duchêne, dit Charly, est encore plus retourné : son quinzième essai, Ça sent encore la rose, monte encore le ton. Préventions et réticences ne sont plus de mise, la défiance s’est muée en exécration…Décapant.

Pas de doute : pour Charles « Charly » Duchêne, Emmanuel Macron est bien l’ultra-président des richissimes. Et encore, faisant la récap’ des mesures marconiennes (depuis la présidentielle, donc n’abordant pas la vente d’Alstom à la CGE), au plus proche de l’actualité récente, Charly a balancé son pamphlet juste avant l’annonce de la suppression de l’exit tax. Soit une taxe instaurée par Nicolas Sarkozy, ne frappant, pour résumer, que les détenteurs d’un capital de 800 000 euros (et bien davantage) en actions. Bruno Le Maire a considéré que son rendement de 15 millions d’euros annuels équivalait à « quasiment rien ». Sauf qu’il faudra bien combler ce minuscule trou d’épingle budgétaire (comparativement aux 11 milliards annuels de la diminution de l’imposition des sociétés, passant d’un taux de 33,3 % l’an dernier à 25 % en 2022). Question « largesses », soit 250 euros annuels pour les rétribués au salaire minimal, les hausses de 80 à 100 euros pour la prime d’activité, les allocations pour les handicapés et les personnes âgées à l’ex-minimum vieillesse, on peut supputer qu’elles seront compensées par celles et ceux tout juste au-dessus des seuils de grande pauvreté, et les catégories intermédiaires. D’accord, les très grosses berlines et les bolides seront davantage taxés, mais c’est indolore pour qui peut les acquérir. Macron fait donc le pari fiscal de Trump : l’essor de l’activité économique devrait accroître les recettes fiscales. Sauf que, si la consommation intérieure baisse, seules les multinationales exportant massivement tireront profit des aubaines. Et si les États-Unis peuvent laisser filer leur dette, celle de la France alourdira son boulet. Énoncé ainsi, pas de quoi se précipiter sur le Ça sent encore la rose de Charly (et sa quinzaine de crobars de Delambre, du Canard enchaîné). Mais Charly prend tout cela par les deux bouts de la lorgnette avec une verve conversationnelle qu’il affûte d’un pamphlet à l’autre (une quinzaine depuis 2005, plus trois livres en-dehors de cette catégorie). Le tout s’agrémente de considérations fortement digressives sur un passé antérieur aux, ou contemporain des, Trente glorieuses, de coups de galurin (sur les stands des salons du Livre, l’auteur est désigné par le sobriquet de l’Homme au chapeau, qu’il ne quitte guère) aux restaurateurs plus qu’honnêtes et talentueux à tarifs vraiment abordables qui jalonnent ses tribulations d’un salon à l’autre. Bref, c’est du d’Ormesson canaille, un peu à la Frédéric Dard (enfin, surtout à la Dard, car d’Ormesson, quelles ribambelles de platitudes).

Au vitriol

Dire que le couple Macron le débecte, c’est faire dans la litote. Il reconnaît cependant un fort talent d’acteur (ou de bateleur-rembobineur, comme on emploie plombier-zingueur) à cet Emmanuel qui fit du théâtre avec sa Brigitte et applique la théorie du ruissellement (trickle down economics) aux travestissements de son arrogance dégoulinante. Charly fait dans le macro-Macron et le micro-Macron. Avec des démonstrations qui pointent les « détails » (250 000 euros mensuels pour écarter les fâcheux de la maison du Touquet, le budget de Madame Première, à 450 000 euros annuels, les piges des maquilleurs – près de 9 000 euros mensuels – et on ne sait si l’ex-coiffeur de François Hollande a repris du service – et encore, il n’évoque pas l’enveloppe retouche Toshop – Adobe Photoshop – de l’ex-candidat). Bref, avec 53 conseillers élyséens (contre 41 pour le prédécesseur), le jeune homme dispendieux mène grand train. Ah oui, mais lui, il travaille. Peut-être davantage que les récents retraités comme Charly qui se souviennent des 45 heures hebdomadaires rétribuées de leurs débuts (les non rétribuées en sus) et qui, du fait du chômage, et du calcul sur les 25 meilleures années (au lieu de dix précédemment), se retrouvent à payer de la CSG augmentée (comme la réalité travestie du discours de Macron), pour frôler les 1 200 euros mensuels, somme inférieure à celle de la retraite de leurs parents qui étaient simples ouvriers ou employés. Inutile de préciser aux lecteurs assidus de Charly qu’il est vent debout contre la limitation de la vitesse sur les départementales (la vitesse moyenne constatée sur un long parcours jalonné de traversées de villes et villages, de croisements avec des chemins de terre, de ronds-points, gendarmes assis, &c., chute déjà à moins de 50 km/h). Les enfers sont aussi dans les détails et le radar de Charly les repère et balise.

Nul véritable scoop dans cet opus (le 19 à l’oral d’allemand au baccalauréat de Macron intéressera cependant peut-être la presse pipeule d’Outre-Rhin), mais une recension éclairante de l’impact – négatif pour les moins riches et positif pour les plus possédants – des mesures de plus large envergure. Qui concourent toutes à laisser imaginer (foutaise totale) que l’argent des plus gros possédants alimentera l’économie réelle. Même se gaver de caviar – importé ou non – midi et soir, au lieu du steak haché hebdomadaire agrémentant le riz, les pâtes ou les patates, même en se faire portraiturer par une photographe en vogue accrochée vos basques et non en passant très occasionnellement au Photomaton™, ne relance l’économie. Tout passe dans la spéculation. Le ruissellement, c’est peut-être la progéniture claquant des sommes kolossales en stupéfiants à destination de l’économie parallèle. En fait, le gap des revenus, qui se creuse, ralentit la croissance économique. Charly n’énonce pas autre chose, mais sous sa plume, c’est largement davantage cocasse et tarazimboumant. Sans doute (le doute reste permis) s’illusionne-t-il en espérant qu’une Gauche de « Chez Gauche » fera germer une meilleure compréhension des enjeux. À l’approche de sa réélection, Macron saura faire valoir des mesurettes catégorielles qui lui vaudront, sinon des votes, du moins une bienveillante abstention. À moins qu’il ne cède galamment la place, assuré de ses arrières, à un produit médiatique similaire. Soit à un nouveau comédien rendant sur le mode doux-amer envisageable la tragédie du démantèlement des acquis du Conseil national de la Résistance. C’est à l’œuvre depuis le passage de Denis Kessler à la vice-présidence du CNPF (Medef) dans la décennie 1990. Depuis Lionel Jospin, et ses successeurs (à Matignon ou à l’Élysée), c’est ce qui s’amplifie. Autre point de divergence : l’Europe. Charly saute comme un cabri s’étant assis sur l’épineux européen… Qui n’est autre que l’émanation des chefs d’États et de leurs ministres des Finances. Plaider sans le proclamer clairement pour une sorte de Frexit au motif d’un déficit (entre les contributions de la France au budget européen et les retombées induites) est par trop réducteur, même si bien argumenté. Bon, il reconsidérera la question (ou pas) : je le vois mal s’arrêter sur sa lancée et ne pas enchaîner les pamphlets… C’est sans doute sa façon d’être (ou se considérer) moins marooned (coincé, abandonné, naufragé : comme les cochons – de payants – d’Animal Farm, de George Orwell-Blair). De nous faire sentir au moins aussi égaux que d’autres. Salutaire, néanmoins. Car moins dupes. Charly avait sorti Ça sent la rose pile pour le centième jour de la présidence Macron. L’odeur persiste au terme de l’An I de son règne…

Ça sent encore la rose, 142 p., éds JBDiffusion, 10 euros (disponible sur divers salons et via des sites de librairies ; ou Facebook : Charly Chapo)

P.-S. : aparté ; le macron, c’est le diacrité « accent plat », superposé ou inferposé, souscrit, avec de nombreuses variantes selon les langues. Puisque Charly se veut le sparadrap, la « bande Gauthier », de Macron, mode Affaire Tournesol, je lui suggère d’examiner la métaphore. Macron supra centre-droit ? Infra néo-conservateur ? Supra ultra-libéral ?