L’école – La petiote et la grandiotte
Le corps enseignant, intouchable s’il en est, le corps et l’enseignant, me détestera très vraisemblablement après avoir lu ce qui suit.
Corps prompt à remettre les autres en cause mais très rarement lui-même.
Petiots, tieutins et tieutines, moyens et grands lecteurs, de 7 à 77 ans, enfin si tant est que les jeunes sachent lire, ce qui n’est pas gagné, voici un grand moment de ringardise et de kitcherie.
Les petiots, tieutins et tieutines, ados et jeunes adultes ne voudront jamais croire qu’une telle époque ait existé.
Et pourtant … J’ai connu ce qui suit, pas très longtemps mais assez pour que je m’en souvienne.
Non pas que je sois un dinosaure mais peut-être avez-vous remarqué comme une accélération effrénée depuis les années 70. Quelqu’un a du appuyer à fond sur la pédale de l’évolution, du changement technologique, électronique et spatio-temporel.
Mais je m’égare …
J’ai connu l’école des tables individuelles en bois, tables souvent bancales sous les papattes desquelles il fallait glisser un bout de carton ou de papier plié en 4 pour les stabiliser. On les appelait des pupitres, ça fait bien pupitre, ça fait sérieux. Pupitres avec des sièges en bois très dur et indissociables de la table sur lesquels plus personne n’accepterait de poser son popotin aujourd’hui.
Sur les tables, les garnements gravaient des cœurs transpercés de flèches et des « JE T’AIME » enflammés, pour exprimer leur folle passion pour la gamine de la table d’à côté.
Aujourd’hui ils écriraient, si tant est qu’ils sachent écrire, ce qui n’est pas gagné, des IOU ou des JTM.
J’ai connu les blouses obligatoires de couleur bleu marine qui devenaient bleu marine très délavé par les lessives à répétition de man-man.
J’ai connu le retentissement de la cloche pour signifier le début de la classe avec, avant d’entrer en classe, la vérification par un sous-fifre du médecin scolaire des têtes des chenapans dans l’hypothèse où ils auraient des poux. Si tel était le cas, le pouilleux était immédiatement renvoyé au bercail afin d’éviter la propagation des bestioles dans les têtes des p’tiots camarades.
Le sous-fifre vérifiait également la propreté de nos mains et de nos ongles et si par malheur, ils étaient sales, nous devions filer rapidos au lavabo et revenir tout aussi rapidos pour ne pas manquer la parole sacrée du maître.
Nous étions alignés en rang et par deux pour ce contrôle hygiénique et il n’y avait pas intérêt à faire l’andouille, à parler ou bien à dépasser de peu la ligne du rang ainsi formée.
« Garde à vous ! »
J’ai connu les encriers en porcelaine blanche que nous remplissions avec nos flacons d’encre Pelikan, Waterman ou Parker Quink, les porte-plumes et les plumes métalliques Sergent Major pour écrire la langue de Saint-Exupéry. Selon la marque de l’encre et des plumes, nous savions qui était riche et qui ne l’était pas.
J’ai connu les buvards pour absorber le surplus d’encre sur lesquels figuraient des réclames pour des lessives, savons, chicorée, chocolat, biscuits, beurre, lait,… et on pouvait également lire des messages éducatifs nous enjoignant à nous laver les dents régulièrement, à laver nos mimines en nous brossant les ongles, à ne pas cracher, …
Nous vivions alors dans un pays de crasseux qui, majoritairement, ignoraient les brosses à dent ou bien ne les changeaient qu’une fois par an, n’achetaient jamais ou peu de savon et ne se lavaient qu’une fois par semaine. Il était de la plus haute importance d’éduquer, dès l’enfance, cette bande de cradingues et les buvards étaient d’excellents vecteurs pour des messages hygiéniques.
J’adorais ces buvards car on avait de l’imagination à l’époque pour la réclame. C’était amusant, créatif, original, très ludique et bien moins chiant que les pubs sophistiquées d’aujourd’hui qui, la plupart du temps, ne veulent plus rien dire ou qui sont parfois si conceptuelles, qu’on ne comprend plus où on veut en venir comme s’il fallait à tout prix diffuser un message subliminal pour vendre du « DiÔwrwr j’adÔwrwr ».
Il fallait sacrément s’appliquer pour écrire à la plume. Cela donnait de belles écritures soignées, régulières et presque calligraphiées mais impersonnelles. Introduire un peu de sa personnalité comme je tentais sans cesse de le faire, en formant certaines lettres différemment, relevait de l’anarchisme, que dis-je du nihilisme, et passible du goulag !
Cependant, écrire à la plume, pour votre humble chroniqueuse était une torture.
Il devait y avoir des bactéries en pagaille sur les tables en bois et des échardes en quantité suffisante pour générer de petites coupures aux doigts qui s’infectaient et créaient une infection abjecte : LE PANARIS. Environ 8 fois par an, j’avais des panaris aux doigts.
Je vous épargnerai une régurgitation très désagréable du café que vous buvez en lisant ceci et ne décrirai pas les méthodes de soins appliquées pour soigner ces abcès.
La récompense de ces soins douloureux, prodigués par ma mère, qui me faisaient pousser des cris et pleurer abondamment était la confection, par mon père, d’une artistique poupée au bout du doigt fabriquée avec des compresses et de la gaze, pour protéger le doigt le temps de la cicatrisation et de la résorption de l’immonde panaris.
Mon père avait développé une grande imagination pour renouveler ses créations et me faire rire et j’allais à l’école, fière comme Artabane, avec des doigts artistiquement emmaillotés.
De jolis nœuds noués en pétales de fleurs, ou se terminant en guirlandes fines, délicates et ciselées ou en spirales digne d’un tire-bouchon ou d’une queue de cochon ornaient le bout de mes majeurs, index et annulaires.
Toutefois, écrire à la plume avec des doigts qui portaient des vêtements à traînes ou à circonvolutions n’était pas prévu au programme scolaire et relevait de la mission impossible.
Immanquablement, les oeuvres de mon père se mêlaient à l’encre pas encore sèche, créant ainsi, d’horribles traînées, pâtés et tâches sur les feuilles blanches, rendant illisible la plupart des mots.
Je me faisais taper sur les doigts, à la règle, par des enseignants bêtes à manger du foin qui se contre-fichaient de mes tribulations manuelo-doigtières et accentuaient la souffrance de mes petits doigts déjà bien souffreteux avec leur instrument de punition.
Mes parents, régulièrement, se fendaient d’un mot au maître ou à la maîtresse pour exprimer leur totale désapprobation avec de telles méthodes archaïques ou bien se déplaçaient pour expliquer mes mésaventures « panaresques » et les conséquences regrettables mais inévitables qui en découlait.
En vain, le règlement, c’est le règlement et pas d’exception : « votre fille doit écrire comme tout le monde ses leçons et ses devoirs de manière lisible et de plus, elle doit écrire comme on le lui apprend et non pas de la manière dont elle a envie de former les lettres de l’alphabet», « elle doit s’ap – pli – quer monsieur, madame ! ».
Pauvres crétins. Les enseignants, pas les parents !
En plus des coups de règle sur les doigts, on me punissait également en me demandant de rester debout face au tableau devant tout le monde, humiliation extrême – aujourd’hui j’aurais droit à la cellule psychologique – ou en me privant des images distribuées pour bons résultats (cela m’était égal car leurs images étaient vraiment trop moches) ou en m’envoyant en colles interminables surveillées par un surveillant qui n’avait rien à faire de tout et où je passais mon temps à rêvasser. Ou encore on m’obligeait à écrire des centaines de lignes, exercice stupide s’il en est et qui ne faisait qu’accroître pâtés, tâches et traînées sur le cahier d’école.
De la connerie enseignante ou comment soigner le mal par le mal.
Je n’aimais pas l’école, pas seulement à cause de mes mésaventures mais parce que globalement, je m’y ennuyais ferme.
Je n’aimais pas l’école, comme 95% de mes petits camarades mais après de telles punitions, je nourrissais une détestation viscérale pour ces enseignants, abrutis congénitaux, raclures de bidet, incapables de compréhension et n’ayant aucun sens des réalités médicales.
Par la suite, les panaris furent remplacés par une autre calamité : les appareils dentaires que je portais pendant plusieurs années.
Et les enseignants de penser : « ce n’est pas possible, elle le fait exprès ou quoi ? »
Les appareils de l’époque n’avaient rien en commun avec ceux d’aujourd’hui, discrets et légers. Les miens comportaient un faux palais en haut et en bas qui occupait presque tout l’espace d’une bouche naturellement étroite et une très décorative barre, genre de fil de fer bien épais qui parcourait la dentition horizontalement et en son milieu. Un esthétisme digne de Frankenstein.
J’étais affublée de zozotements intempestifs et incontrôlables, d’incapacités à prononcer certains mots et je manquais régulièrement la classe pour aller à de nombreuses consultations dont le but était de vérifier que tout se passait bien, de resserrer ou au contraire de desserrer les appareils, bref de les adapter sans cesse à un âge où on change vite, de changer une pièce détachée, …..
Le dentiste qui s’occupait de moi était une femme, une rareté à l’époque, Vietnamienne de surcroît. Une extraterrestre. Elle portait un nom très répandu dans ce lointain pays, NGUYEN, et je pensais qu’avec un nom pareil : « on est Vietnamien deux fois ». Je me réjouissais, plusieurs jours à l’avance, à l’idée de revoir, ce qui à mes yeux était terriblement exotique : une femme de ma taille version adulte, aux yeux bridés, à la peau cuivrée, aux cheveux de jais, qui parlait français avec un très bel accent, aux doigts très fins et agiles, douce et rassurante.
Il n’y avait pas d’étrangers en cette époque lointaine dans la minus ville de la grande région parisienne où nous habitions et cette Vietnamienne attisait ma curiosité naturelle et accentuait une propension naturelle à la rêverie.
Mais je m’égare …
Les enseignants me sermonnaient sans cesse pour mes zozotements et difficultés à articuler et reprochaient à mes parents mes nombreuses absences.
Le règlement c’est le règlement : « votre fille doit ar – ti – cu – ler, monsieur, madame ! », « votre fille doit assister à tous les cours ».
Pauvres crétins. Les enseignants, pas les parents !
Je me vengeais de leur connerie patentée en obtenant les meilleures notes et en les reprenant devant tout le monde dès qu’ils faisaient une faute ce qui arrivait bien plus souvent qu’on ne pourrait le croire. Ils devenaient alors cramoisis, verts ou blancs d’avoir été pris en défaut par une gamine qui ne leur créait que des problèmes.
Pour ne pas perdre la face, ils me remerciaient d’avoir relevé leurs erreurs, la mâchoire crispée comme un certain ex premier ministre, bouillonnant de rage et furibards et s’empressaient d’ajouter qu’ « heureusement que quelqu’une était attentive dans cette classe ».
Je jubilais.
Je ne nourrissais aucun complexe physique à cause des appareils dentaires, bien au contraire.
J’exploitais autant que je le pouvais la présence de ces envahisseurs buccaux en accentuant zozotements et autres postillons pour attendrir les adultes et obtenir quelques faveurs sous la forme de bâtons de réglisse, roudoudous, guimauves et sucettes.
J’étais une excellente élève, je ne semais jamais la zizanie en parlant au voisin, ne fabriquais jamais de cocottes en papier, n’envoyais jamais de boulettes ou de fusées en papier sur la tête de quiconque, je ne me battais avec personne, ni n’insultais les p’tiots camarades et je faisais, la plupart du temps, semblant d’écouter ce qui se disait.
L’apprentissage consistait à répéter de très nombreuses fois les mêmes choses, ce qui était lassant et usant. Je faisais donc l’effort d’écouter, histoire de ne pas être prise en défaut, puis je partais dans mes voyages intérieurs : je rêvais à ma trottinette, aux pains aux chocolats, croissants et chaussons aux pommes que j’affectionnais, je pensais aux vêtements dont j’habillerais ma poupée, je dialoguais avec mon hamster, mon mainate, mon canard, mon chat et mon hérisson. Je pensais aux photos que je découperai en rentrant à la maison dans les magazines lus par mes parents, « l’Express », « le Nouvel Observateur » et que je collerais dans un cahier en inventant des commentaires sous les photos. Je pensais aux fleurs que je planterais et que je regarderais pousser dans le petit carré de jardin qui m’était réservé. Je pensais aux oiseaux et à la nourriture que je déposerais dans les niches fabriquées par mon père et qui ornaient les arbres du jardin.
Je vivais une vie bien plus intéressante et intense dans ma tête que celle proposée par l’éducation nationale.
Le Jeudi, c’était relâche et je pouvais faire ce que je voulais.
Après avoir expédié devoirs et autres contraintes du même acabit, je pratiquais de nombreux loisirs : piano, peinture, tours de magie, poterie, mosaïque, confection de bougies après qu’on m’eut offert un de ces coffrets en kit vendus en magasin de jouets qui permettait de fabriquer tout aussi bien des bougies, que de la limonade ultra chimique ou de s’adonner à des expériences grâce à « Chimie 2000 » et risquer de faire sauter la baraque.
Je lisais également beaucoup et découvrais les musiques en tous genres.
Nous n’avions pas encore de téléviseur, trop onéreux à l’achat et qui arriverait bien plus tard dans notre foyer.
Mon plus grand plaisir se trouvait dans mes cahiers secrets remplis d’images amoureusement collées de pays exotiques, de leurs monuments, des visages des autochtones, des paysages.
La grande muraille de Chine, les steppes Mongoles, la toundra et la taïga, le Machu Picchu, les pyramides Egyptiennes, les lignes de Nazca, les menhirs de Stonehenge, mille visages si différents et si beaux, mille paysages m’incitaient à voyager, plus tard, quand je serais grande, et je me promettais à moi-même de voir, la grande muraille de Chine, les steppes mongoles, la toundra et la taïga, le Machu Picchu, …..
J’étais très pressée de devenir grande et j’accélérais le mouvement pour y parvenir en déboulant en classe de 6ème avec une année d’avance.