L’église orthodoxe d’Ukraine relevant du patriarcat de Moscou proteste contre le gouvernement ukrainien, en appelle à l’Onu et au Vatican. En cause, deux projets de lois dont l’adoption a été repoussée à la suite d’une grande manifestation de croyants…
Auto-administrée, mais non autocéphale (comme son homonyme relevant du patriarcat de Kiev), l’église orthodoxe d’Ukraine se rattache au patriarcat de Moscou et de toute la Russie. Elle compte quarante diocèses, et deux concurrentes, son homonyme et l’église orthodoxe autocéphale ukrainienne (11 diocèses). Mais protestants et surtout catholiques, ces derniers étant prédominants à l’ouest, dans les régions ou le polonais reste pratiqué, forment aussi la mosaïque religieuse ukrainienne. La religion israélite était surtout pratiquée à l’ouest et en Crimée, mais les exodes l’ont rendue très minoritaire. Kiev veut faire passer une loi « accordant » un statut spécial à « toute » église se rattachant à un « État agresseur ». Comprenez la Russie et la seule église orthodoxe restant attachée à Moscou. Nationalisme et religion font souvent bon ménage. Ainsi, lors du rattachement du Banat austro-hongrois (1918) à la Roumanie, Bucarest s’était empressé de faire ériger une grande cathédrale orthodoxe à Timisoara. La Croatie, qui a fini par inventer une langue croate pour la distinguer du serbo-croate, a favorisé son épiscopat catholique…
Après VKontakte, Yandex, &c.
Le gouvernement a banni des logiciels très populaires comme VKontakte (le Facebook russe), l’anti-virus Kapersky, Mail.ru, et le moteur de recherche Yandex, lui aussi d’origine russe. Cette fois, c’est l’église relevant de Moscou qui est en ligne de mire. D’une part parce qu’elle appelle à des manifestations pour la paix et la réconciliation, aussi en raison de l’emprise des organisations et partis de la droite et extrême-droite nationaliste. Lesquels ont déjà procédé à la fermeture d’une quarantaine d’églises « étrangères ». D’un côté, une telle loi pourrait mettre fin à ce type d’exactions, de l’autre, il permettrait au gouvernement de contrôler la circulation d’un clergé exogène de prêtres et missionnaires du patriarcat de Moscou, fréquemment invités à prêcher en Ukraine. On en viendrait à une sorte de concordat, les autorités exerçant un droit de veto lors de la nomination des métropolites et des évêques. Le patriarche Kirill en appelle donc à toutes instances internationales, dont l’Onu, au Vatican, au Conseil œcuménique des églises, pour émettre une condamnation des propositions de loi. Kiev avait précédemment prohibé de produire ou d’arborer le ruban de saint Georges (jaune et noir, ayant fourni le tissu de nombreuses décorations des armées blanches, et même d’une médaille soviétique célébrant le Jour de la Victoire). Ce ruban est aussi arboré dans les États baltes, en signe d’appartenance aux communautés russophones. Ce que recherche surtout Kiev, avec deux propositions de loi, c’est de faire en sorte que les paroissiens de l’église dépendant de Moscou votent pour se rattacher à l’une des deux autres églises « nationales » orthodoxes. Ce qui impliquerait aussi le transfert des œuvres, monastères, biens immobiliers. C’est donc une sorte d’Opa forcée. Les deux églises autocéphales orthodoxes ukrainiennes, très implantées hors d’Ukraine, ne sont pas considérées « canoniques » (reconnues par la majorité des autres). Mais cette majorité est fragile (les églises de Bulgarie, Géorgie, Antioche étant tentées par un rapprochement avec Moscou et Constantinople lorgnant sur le rattachement des églises ukrainiennes). Le gouvernement de Kiev est très peu apprécié par sa population mais le sentiment nationaliste, voire franchement russophobe, s’est très renforcé au-delà des mouvements de droite et extrême-droite. Aux exactions de la « clique du Donbass » répondent les « atrocités » de l’armée ukrainienne dans une surenchère de propagande plus ou moins solidement fondée sur des faits avérés. Sur le plan religieux, Kiev peut répliquer que le Kremlin s’appuie sur le patriarcat moscovite (200 églises seront érigées à Moscou), qu’il choie aussi financièrement, ce qui commence à se voir un peu trop en Russie. Ce alors que le patriarcat se crispe, notamment sur l’homosexualité et l’avortement : l’archimandrite Theothilactes a demandé à la Douma d’adopter une loi contre l’avortement (« un crime« ) et d’assouplir les dispositions sur les punitions corporelles, autorisant de nouveau les parents à s’y livrer sur leurs enfants (voire assouplissant aussi les sanctions sur les violences domestiques en général). À Kiev, alors que les députés devaient débattre, hier jeudi 18 mai, de ces projets, une grande procession, ponctuée de prières, a rassemblé près de 10 000 fidèles. Le bloc « Solidarité » du président Petro Porochenko a finalement « décidé que le projet de loi n’était pas prêt pour l’examen », rapporte Russia Today. Aucune date n’a été précisée pour sa nouvelle présentation devant la Rada (la chambre des députés).