Nous n’allons pas revenir sur le déroulement des événements du 13 novembre, les médias s’en sont chargés. Ce 13 novembre, je l’ai passé dans un bar du quartier saint Michel, dans le 6ème arrondissement de Paris, c’est-à-dire à bonne distance des fusillades. Je n’ai jamais vécu à Paris, je n’ai donc pas l’habitude de l’atmosphère qui y règne dans ces moments là. Pour nous, en province, de tels événements paraissent lointains. Ils ne nous concernent pas directement dans le sens où il n’y a pas, chez nous, la sensation que ça peut arriver juste en bas de chez soi. Si j’avais passé ce vendredi soir en province, je n’aurais peut-être appris la nouvelle que le lendemain matin.
Jusqu’à maintenant, je n’avais pas conscience du fait que la panique pouvait envahir Paris à une vitesse stupéfiante et pousser les gens à faire des choses pas toujours rationnelles.

Nous avons appris la nouvelle de la fusillade, via les smartphones qui ont eu un rôle catastrophique en terme de propagation de la panique. Nous recevions en direct des bribes d’informations pas toujours cohérentes, parfois contradictoires. Les gens répétaient partout que "ça pétait dans Paris". Certains cherchaient à rentrer chez eux en taxi par peur de bombes dans les transports.
Les gens réagissaient comme si une guerre civile avait subitement éclaté et que ça tirait partout dans les rues. Diffuser ces informations en direct et sans attendre d’avoir des sources fiables et de comprendre ce qui se passe ne pouvait pas avoir d’intérêt en terme de sécurité. Les gens étaient dehors de toute manière et si il y avait eu un quatrième commando, il aurait pu perpétrer une quatrième attaque, que les médias communiquent sur les fusillades ou pas.
Il eût été préférable que les médias diffèrent, si possible de quelques heures, la diffusion de ces nouvelles.

Ces attaques auraient fait dans les 127 morts, chiffre qui fluctue selon les sources.
Un chiffre qu’il est bon de comparer avec les 700 morts chaque année par homicide, les 3 ou 4000 morts par an liés à la circulation routière, avec les 16000 morts par accidents domestiques, les 12000 morts par suicide, les 55000 morts attribués à l’obésité, etc.
Une mise en perspective qui nous rappelle une réalité : le terrorisme est un problème marginal et la peur qu’il inspire est totalement irrationnelle. Vous avez bien plus de chances de perdre un de vos proches par suicide qu’à cause d’un acte terroriste.
Un gouvernement soucieux de sa population concentrerait ses efforts sur les problèmes les plus mortels. Seulement, vous ne justifierez jamais un état d’urgence ou des taxes avec un plan de prévention contre le suicide ou les accidents domestiques, raison pour laquelle ces problèmes n’intéressent pas nos dirigeants.
Si il est fait autant de tapage autour de ce problème marginal du terrorisme, c’est parce qu’il permet de justifier bien des choses. C’est pour cette même raison que le problème mineur de la sécurité routière est, lui aussi, si souvent mis en avant.

Même dans un scénario catastrophe où ce genre d’attaques venait à se multiplier à raison d’une par mois, les terroristes ne parviendraient toujours pas à faire autant de morts que les accidents domestiques. Le terrorisme n’est donc pas une menace sérieuse pour la population dans son ensemble. Les attaques en elles mêmes ne peuvent pas remettre en question nos lois ou notre mode de vie. D’ailleurs, les terroristes quels qu’ils soient le savent bien et ils n’y comptent pas. Ce qui peut avoir des conséquences désastreuses, c’est la réaction du peuple à ces attaques, le fait que les gouvernements en profitent pour faire accepter des choses qui auraient été jugées inacceptables autrement et le fait que des partis d’extrême droite en profitent. Le vrai danger est là et c’est de cela qu’il faut d’avoir peur et non d’une voiture noire qui passe à proximité de la terrasse à laquelle vous êtes attablé.

Unité nationale
L’unité nationale consiste à faire marcher un troupeau de moutons dans le même sens sous prétexte qu’ils sont nés sur le même territoire, une propriété foncière conquise par 100 régimes différents et de 100 manières différentes. La France, c’est aussi bien Louis XIV que Napoléon, Jules Ferry, Clémenceau, Pétain, De Gaulle, Sarkozy ou Hollande. Je doute très fortement qu’il existe une seule personne en France qui se reconnaisse dans tous ces gens à la fois, et dans ceux que je n’ai pas cité.
La France, comme n’importe quel autre pays, ce n’est une coquille, remplie par des gens bien et des gens moins bien. C’est la raison pour laquelle l’unité nationale est une aberration. Je suis Français, né en France de parents Français, mais je ne serais jamais solidaire d’un élément d’extrême droite, qu’il soit mort dans ces attentats ou pas, qu’il soit Français ou pas.
Quand au deuil national… Les familles des victimes sont logiquement en deuil. Vous, je ne sais pas, mais pour ma part, des milliers de gens meurent chaque jour, je ne vois pas pourquoi je devrais être en deuil aujourd’hui plutôt qu’un autre jour.
Si ça vous amuse de jacasser sur la patrie et d’agiter des drapeaux bleu-blanc-rouge, je n’y vois pas d’inconvénient. Ce qui pose problème, c’est que cette unité nationale consiste à se rassembler derrière un chef d’état et à dire amen à tout ce qu’il fait. Personne ne se demande si, oui ou non, le nécessaire a été fait pour prévenir de ces attentats, ni si oui ou non, déclarer un état d’urgence est excessif ou pas.
En nageant à contre-courant, je serais d’ailleurs très certainement classé dans la catégorie des traîtres, insensibles, irresponsables…
Attentats ou pas, nos divisions demeurent, elles ne sont ni plus grandes, ni plus petites qu’hier.

L’état d’urgence : un remède inefficace et pire que le mal
Le plan vigipirate écarlate n’a pas permis d’éviter les fusillades. Il n’y a aucune raison pour que la loi martiale décrétée par le président soit plus efficace.
En quoi consiste cet état d’urgence ?
Il consiste ni plus ni moins qu’en la possibilité de liquidation pure et simple de l’état de droit et en l’abolition de la liberté d’expression, au moins temporairement. J’invite les sceptiques à consulter la page wikipédia consacrée à l’état d’urgence en France.
Le gouvernement aura donc les possibilités suivantes :

  • > Imposer des couvre-feu sur tout ou partie du territoire.
  • > Permettre aux forces de police d’effectuer des perquisitions de jour comme de nuit et sans le contrôle d’un juge, c’est-à-dire sans que personne n’en vérifie la légalité.
  • > Interdire toute manifestation, qu’elle soit ou non en rapport avec les événements du vendredi 13 novembre.
  • > Interdire de séjour dans un lieu donné « toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ». Formule extrêmement large, donc extrêmement permissive.
  • > Assigner à résidence toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics ». C’est là encore extrêmement vague.
  • > Préfets et ministre de l’intérieur peuvent prendre « toute mesure pour assurer le contrôle de la presse et de la radio ».

J’ai découvert avec effroi, dans la nuit du 13 novembre 2015, qu’un article pareil existait dans la constitution et que le gouvernement venait de l’appliquer. Rien ne justifie le contrôle de la presse et de la radio, rien ne justifie que des perquisitions puissent être menées sans le contrôle de la justice, ni maintenant, ni à aucun autre moment. Rien ne justifie des assignations à résidence sans décision de justice.
Cette loi sur l’état d’urgence donne beaucoup trop de pouvoirs au gouvernement, des pouvoirs qui remettent en question les libertés et qui n’ont pas d’utilité pour ramener l’ordre.
Secondement, la situation actuelle ne justifie pas de mesures de cet ordre, surtout pas sur l’ensemble de territoire. Qu’un couvre-feu puisse être décrété dans des cas d’émeutes dans certaines zones, soit. Sur l’ensemble du territoire, c’est une aberration.

Ces mesures constituent de graves violations aux libertés. Elles ne peuvent donc être justifiées que par une nécessité absolue, une menace directe, imminente pour le territoire et ses habitants, un péril à grande échelle. Par exemple une armée étrangère à notre frontière, prête à nous envahir, une situation insurrectionnelle déclenchée par une minorité avec des combats de rue, l’explosion d’une centrale nucléaire ayant irradié la moitié du territoire, ou encore une gigantesque catastrophe naturelle qui aurait provoqué un chaos.
Six déséquilibrés qui tirent dans le tas sur une terrasse de café et dans une salle de concert, c’est très triste pour les familles des victimes, mais ce n’est pas un péril grave et imminent pour l’ensemble du territoire.

Si la liberté d’expression et de circulation sont abolies, si l’état de droit est aboli, alors je ne vois pas très bien l’intérêt de combattre les islamistes. L’intérêt de vivre en France est de pouvoir s’exprimer librement et de pouvoir défendre ses droits devant une justice indépendante et impartiale.
Je me fiche royalement de la France, encore plus du drapeau et de la marseillaise, ce que je veux défendre, ce sont les libertés individuelles. Si ces libertés n’existent plus, alors il n’y a plus rien à défendre. Si c’est pour vivre dans une dictature et dans un état policier, autant laisser l’état Islamique nous envahir.

Le péril le plus grand n’est pas l’éventualité de nouveaux attentats. Le pire scénario en la matière serait que les barbus ne démolissent la tour Eiffel et ne tuent quelques centaines ou milliers de personnes. Le fait que des gens meurent dans de telles attaques est évidement très triste. Mais ce n’est rien à côté de l’instauration d’une dictature, de l’ouverture d’un Guantanamo à la Française pour y interner toute personne suspecte, ainsi que le souhaitait Laurent Vauquier, ce qui est, fort heureusement, expressément interdit par la loi sur l’état d’urgence, mais pour combien de temps encore ?