Michel Cymes, médecin animateur de France 5 a récemment publié Hippocrate en enfer, un livre qui défraie l’actualité, mais indirectement… Les activités du « docteur » August Hirt, lorsqu’il « exerçait »au camp du Struthof, y exécutant 86 déportés en vue d’alimenter le « musée [anatomique] du sous-homme » dont il rêvait… en sont le sujet.

Suite à sa publication, une polémique s’est engagée à l’initiative de responsables de l’université de Strasbourg qui se sont indignés qu’on l’y accuse d’avoir conservé jusqu’à nos jours des restes de ces suppliciés.

Or, Michel Cymes affirme n’avoir jamais proféré une telle accusation, ce que confirme la lecture de son ouvrage !

 

Cet enchaînement m’interpelle, car il survient au carrefour de sujets dont j’ai traité, plutôt longuement au demeurant (voir Seconde guerre mondiale : Huis-clos, les mains sales … la nausée ! et Oradour : souviens-toi !). C’est dans le premier de ces articles que je découvrais l’existence en Alsace du Struthof (ou Natzweiller-Struthof), seul camp de concentration créé par les nazis en territoire français annexé ; dans le second, je rappelais entre autres qu’en raison de cette annexion, de jeunes alsaciens (les Malgré Nous) avaient été enrôlés de force dans la division Das Reich, à laquelle est dû le massacre d’Oradour perpétré le 10 juin 1944. Treize d’entre eux ayant été condamnés lors du procès de Bordeaux en 1953 (puis amnistiés quelques mois plus tard), une polémique avait à l’époque vivement opposé, aussi, l’Alsace et le Limousin.

Le rapprochement des polémiques survenues en 1953 et en 2015 me conduit au constat que la région Alsace semble durablement marquée par une susceptibilité à fleur de peau et tellement affirmée qu’elle peut se nourrir aujourd’hui de ce que Michel Cymes n’a pas écrit au sujet de l’université de Strasbourg, tout comme la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace avait pu s’indigner de ce que l’historienne américaine Sarah Farmer n’avait pour sa part pas écrit non plus (ou du moins pas suffisamment) que la responsabilité d’Oradour incombait aux (seuls ?) Waffen-SS allemands…

Il n’entre pas dans mes compétences, analysant cette troublante persistance, d’en déterminer les ressorts intimes. Pourtant, elle fait remonter en ma mémoire un incident survenu il y a peu, le 25 janvier.

Certains habitués de C4N auront pu être surpris du laconique commentaire déposé ce jour là par mes soins sous mon article « L’homme est un loup pour l’homme » ; il tenait sobrement en neuf lettres et trois points de suspension, une concision pas trop à ma manière, en vérité. C’est qu’il venait en réponse à une décapitation quasi daechienne perpétrée sans la moindre sommation :
« JPL 007 Relisez tous vos commentaires, ils sont inondés d’autosatisfaction et de bienpensance …
Qui nourrit le terrorisme ? Ce sont les gens comme vous qui ne veulent pas voir la vérité en face, qui minimisent les dangers …
Malheureusement il faut des évènements graves pour prendre des mesures … plus homéopathiques que draconiennes …
Difficile de dénaturaliser des terroristes ? , difficile d’expulser les radicaux ?
Allons donc »

Quel crime payais-je donc ainsi ? Deux, probablement :

1.      avoir publié, sous la forme d’un innocent fabliau, un article invitant à réfléchir sur la responsabilité que nous prenons indiscutablement vis-à-vis de la vie en société en choisissant de privilégier la vie ou la haine (« inviter » et « réfléchir » étant parmi les détonateurs qui font exploser certains),

2.      avoir aggravé mon cas par une remarque un rien désabusée : « Je n’en suis qu’à moitié surpris, mais aucun des commentateurs ne semble avoir remarqué que le loup qui gagne, c’est celui que l’on nourrit !…
Je ne suis hélas pas trop surpris, non plus, de constater que sur C4N, il y a encore des "Oui mais" (message privé à la médiation). Mais un peu déçu quand même …
 »

J’avoue que les effets combinés de sept heures de décalage horaire et de l’inconfort de n’avoir à disposition que le clavier virtuel d’un smartphone expliquent la forme hautement lapidaire de mon envoi. Cinq semaines s’étant écoulées depuis l’incident, je n’ai pas la naïveté d’espérer des regrets, ni du butor, ni du site qui l’accueille non sans une certaine complaisance ; pourtant, on peut se demander si une pincée de sympathie (en messagerie privée, pour ne courir aucun risque de jeter de l’huile sur les étincelles) ne serait pas reçue avec un certain soulagement.

Si j’éprouve aujourd’hui le besoin de revenir sur cette forme, elle présentait cependant la « vertu » de résumer au strict essentiel l’esprit de ma réaction. Je n’hésite pas à le redire, je ressens comme une forme de compliment d’être traité de bien-pensant. Car ce mot est formé de « penser » et de « bien », deux origines qui ne me paraissent pas être des tares et moins encore lorsque le mot est dévoyé par ceux qui, faisant leur miel de Charliser et de bisounourser autrui sans vergogne et à tour de bras du haut de leur suffisance, ne semblent considérer le bien que comme une notion tellement étrangère et surannée que l’invective semble, selon toute apparence, le seul moyen qu’ils aient trouvé de paraître penser.

J’éprouve même, sans la moindre fausse modestie, une certaine satisfaction (j’irai même jusqu’à parler de fierté) à tout mettre en œuvre pour ne pas figurer dans ces rangs là. Une fameuse litote, car mon parti-pris résolu (au vu de cette monstrueuse turgescence dont le danger m’apparait bien trop clairement) est en réalité de les combattre sans répit afin, en particulier, de tenter de distiller un contrepoison aux ravages mortifères qu’eux et leurs semblables infligent aux jeunes sensibilités (et dont d’éminents experts mesureront peut-être un jour la contribution au vertigineux taux de suicide de nos infortunés adolescents …)

Mais peut-être, volontairement ou non, mes contempteurs entendent-ils bien-pensant, « insulte » devenue le totem des droites extrêmes, au sens de « personne dont les convictions religieuses ou politiques sont conformes à l’ordre » pour mettre ces convictions en opposition avec les leurs, dont la déviance ne serait donc pas « conforme » ?

Sous le titre « Un moustachu déchu », le Canard Enchaîné du 28 janvier 2015 développe ce qui suit : « Ach, lustiger Kerl ! Si on ne peut même plus se marrer en contrefaisant Hitler, avec sa raie sur le côté et sa moustache… Lutz Bachmann, 41 ans, fondateur du mouvement allemand Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), a dû démissionner fissa, le 21 janvier, quand la quotidien Bild a publié les charmants clichés avec mèche et moustache qu’il avait mis en ligne, l’Hitler de rien, sur Facebook et Twitter …
C’est sur ces mêmes réseaux sociaux que Bachmann a lancé, à l’automne, Pegida, en appelant à défiler dans les rues de Dresde contre l’arrivée de réfugiés étrangers, mais aussi contre les « politiciens » et la « Lugenpresse » (« presse mensongère »), une expression créé par les nazis dans les années 30 (« Le Monde », 23/1)… Bild fait sûrement partie à ses yeux du complot de la « Lugenpresse », car le journal révèle aussi que Bachmann traitait, dès septembre 2014, les étrangers de « bâtards » et de « bétail ».
Un vocabulaire et des manières de voyou nostalgique du IIIe Reich ? Bachmann, qui prône la « tolérance zéro » pour les immigrés commettant des délits, est lui-même en liberté conditionnelle après avoir été pris en possession de 40 grammes de cocaïne. Condamné à 3 ans et 8 mois de prison, il avait auparavant fui en Afrique du Sud avant d’être extradé et de purger 2 ans en Allemagne.
Tête haute, bras levé et passé sale…
 »

C’est à ce genre de détail que l’on mesure la « malagissance » de ceux qui n’ont pas hésité à prôner, dans le pré qu’ils se sont réservés sur ce site, la création de leur « SFP » (Section Française de Pegida) ! Je ne doute pas qu’ils n’étaient probablement alors guère mieux informés que d’autres sur l’intimité de ce maître à panser (ce n’est pas une coquille…) ; mais à moins camper sur leurs incertaines certitudes, ils auraient pu, au prix d’une prudence minimale et accessible, éviter de lui être comparés. Ma reprise de volée ne doit donc pas être entendue ad hominem comme l’était son incidente, mais elle se répartit très équitablement envers tous ceux que démange (ce n’est pas une coquille non plus, même si elle parait les déranger, aussi) ma « bienpensance » réputée, fussent-ils en « tas », en « tus », en « tron » ou en toute autre terminaison.

Il se trouve que les hasards de la vie m’ont fait naître à une quarantaine de kilomètres au sud-est d’Oradour-sur-Glane à peine 3 ans après son martyre. Peut être ma jeunesse y a-t-elle subi l’influence des cendres encore fumantes dont les vents dominants s’évertuaient à maintenir la trace dans les mémoires. Dans toutes les mémoires, c’est-à-dire dans celles des familles des 642 victimes, tout comme dans celles des treize Malgré Nous enrôlés de force dans la panzerdivision Das Reich de la Wafen SS et de ce fait impliqués dans le massacre.

Mais aussi, pour ne pas dire surtout, dans celles de l’entourage de l’engagé volontaire, qui, lui, avait traduit à sa manière et au mot près, le slogan « à la mode » à l’époque (« Plutôt Hitler que le Front Populaire ! ») ; à l’instar de celles des Miliciens qui prêtèrent la main au forfait (sans que personne ne songe à leur réserver la place qu’ils méritaient au tribunal de Bordeaux, en 1953) ! Afin de les encourager à penser, et autant que possible à penser bien, c’est-à-dire en se renseignant, en réfléchissant, en pesant le pour et le contre sans céder aveuglément à des pulsions épidermiques dont le fait qu’elles soient à la rigueur explicables ne suffit pas, tant s’en faut, à les justifier.

Ce hasard de naissance me détermine à combattre avec opiniâtreté, encore et toujours, à lutter contre l’obscurantisme malsain qui se débride de nos jours à qui mieux mieux, sans pour autant que ce tsunami ne génère, même à doses homéopathiques, les réactions qu’on serait raisonnablement en droit d’attendre. Un obscurantisme qui est le même, quelles que soient les étiquettes dont il s’affuble : Desouche ordinaires, Tea Party, UKIP, Ligue du Nord, Partij voor de Vrijheid, Nouvelle Démocratie, Flamme de Lugano, Jobbik, Pegida, Front National, Aube Dorée, Vlaams Blok ou Vlaams Belang ; j’en oublie…)

Que l’on ne s’y trompe pourtant pas : ce qu’ils disent aujourd’hui n’est pas nouveau, mais exprime le strict continuum de leur idéologie de toujours à propos de laquelle ils se montraient naguère discrets. La nouveauté, c’est que l’apathie et la mollesse de nos réactions les encourage désormais à s’en réclamer et à le clamer haut et fort !

Struthof – Oradour – indolence contemporaine ; même combat !

Bien cordialement à toutes et à tous, cette fois encore. Je n’ose espérer vos réactions …

En conclusion, j’oserai  ce modeste mais ferme codicille :
« Je suis pleinement responsable de ce que je dis ». Mais « Nous sommes coresponsables de ce que tu comprends » (si tu as mal interprété, peut-être n’est-ce que parce que je me suis-je mal exprimé).
En revanche, « Tu es indiscutablement seul responsable de ce que tu en déduis » …