Lundi 17 novembre, de nouvelles sanctions économiques ont été prises contre la Russie, lors d’une réunion entre les ministres des Affaires étrangères de l’UE à Bruxelles. La liste des personnalités dont les avoirs sont gelés et qui sont désormais interdites d’entrée dans l’Union a été élargie. L’UE s’entête à ne pas écouter Arkadi Rontenberg, premier à avoir posé un recours auprès de la Cour européenne de Justice contre ces représailles économiques, avant d’être suivi par des banques et une société pétrolière russes. Pourtant l’argument principal de ces contestataires est imparable : aucune justification valable ne vient appuyer ces sanctions.
Des sanctions aberrantes sur le plan géopolitique
Protester contre l’annexion de la Crimée par la Russie, pourquoi pas, mais comment s’y prend-t-on ? Certainement pas par la force. Beaucoup trop risqué. Reste les sanctions économiques, dont le but, selon l’Elysée, serait double : « punir ceux qui sont responsables de l’annexion de la Crimée et décourager le pouvoir russe d’aller plus loin ». Autrement dit, l’UE ne croit pas une seconde que la Crimée retournera de sitôt dans le giron ukrainien. « Il n’y a aucun retour en arrière possible », admettait il y a peu un diplomate européen.
Et pour cause. « Même si le référendum avait eu lieu dans d’autres circonstances, il aurait débouché sur le même résultat, éventuellement avec des chiffres différents », semble-t-on estimer dans la plupart des capitales de l’Union. C’est-à-dire que non seulement les sanctions n’ont pas vocation à « faire lâcher le grappin à la Russie », mais qu’en plus Bruxelles semble estimer de façon sous-jacente que, Russie ou non, les habitants de Crimée auraient de toute façon fini par réclamer (et obtenir) leur indépendance.
Résumons. Quand l’UE souhaite « punir » la Russie, elle agit par simple orgueil, puisqu’elle n’attend par de rétropédalage de Moscou, mais veut juste « jouer au dur ». Par ailleurs, on est en droit de considérer qu’elle s’en prend aux mauvaises personnes, puisque les Criméens auraient de toute façon fait sécession, nonobstant la main mise de la Russie.
Reste la volonté de dissuader Moscou « d’aller plus loin ». Ah, oui, pas bête. Encore eut-il fallu que le Kremlin fasse part d’une telle ambition. Ça n’a jamais été le cas. En supposant que Poutine lorgne Kiev, on est dans la spéculation pure. En le punissant pour ça, c’est-à-dire pour quelque chose qu’il n’a pas commis et n’a jamais annoncé souhaiter commettre (au contraire, en fait), dans l’arbitraire pur.
… comme économique – le cas Arkadi Rotenberg
Peu après avoir été frappé par les sanctions européennes, Arkadi Rotenberg intentait un recours devant la Cour européenne de Justice, ouvrant le bal, succédé de peu par les banques russes Sberbank, Vnesheconombank et VTB et la société pétrolière Rosneft. Ce faisant, l’entrepreneur russe souhaitait attirer l’attention sur le manque de légitimité de ces mesures. Son cas renseigne bien sur le caractère ubuesque de ces sanctions, puisque l’homme possède deux maisons en Italie, y embauche des gens pour les entretenir, personnel qu’il ne peut plus rémunérer faut d’avoir le droit de transférer de l’argent dans l’UE.
Pour anecdotique qu’elle puisse paraître, cette absurdité logistique est assez emblématique de l’esprit qui semble avoir animé Bruxelles au moment de décider de la nature et du périmètre des sanctions contre la Russie. Rotenberg, dont l’implication dans la crise ukrainienne est somme toute improbable, n’aurait ainsi été frappé que parce qu’il est un « copain de Judo » de poutine. Les banques russes, elles, présumées coupables, ont été frappées d’embargo car on les soupçonnerait de soutenir Poutine.
On le voit, ces sanctions sont tirées par les cheveux, et le pire c’est qu’elles ne font pas de mal qu’à la Russie, mais aussi à l’UE. Une UE, rappelons-le, dépendante à hauteur de 30 % du gaz russe (jusqu’à 100 % pour les pays baltes). Mais ce n’est pas tout. Si les Russes venaient à retirer leurs avoirs des banques chypriotes, le pays s’effondrerait ni plus ni moins. Un gel des avoirs des oligarques et de leurs sociétés n’arrange en rien la City de Londres. De janvier à août 2014, les exportations allemandes vers la Russie ont baissé de 16,6 % par rapport à la même période un an plus tôt. Les éleveurs de porc français estiment quant à eux à 500 millions d’euros leurs pertes de février à août, etc.
On pourrait empiler les exemples à l’infini. Ils montrent qu’en plus d’être mal ajustés, et de viser les mauvaises personnes, ces sanctions sont catastrophiques pour les pays qui les émettent. Réagir par simple orgueil, ce n’est déjà pas très fin, le faire en plus à son propre détriment, ça devient carrément grotesque.