L’enquête publiée en parallèle de la dernière Conférence Nationale des Métiers du Journalisme, n’est pas sans expliquer la crise que traverse actuellement la Presse. Cette dernière garde quelque chose de vital pour l’évolution de la société, de la civilisation, au nom de la liberté. Elle porte le lien de la Pensée qui se partage, du personnel au collectif, le fil de l’Histoire. Son évolution ?
Poser sur la Presse un regard bienveillant n’interdit pas d’analyser certains travers possibles, ceux d’une époque, ceux d’un système, dont chaque citoyen ou lecteur participe. Mais, la Presse n’a pas à être le bouc émissaire d’une démocratie en crise, confrontée à la marchandisation croissante de tout, et de tous ? Prétendre à comprendre la Presse, pour le moins quelques aspects, exige beaucoup de soin, et d’humilité.
Ainsi, 400 journalistes répondirent courant 2013 à ce questionnaire établi par deux étudiants de l’ESJ-Lille, Lucas Roxo et Agnès Chareton. Comme observation préliminaire notons que « 40% des étudiants en journalisme sont issus d’une famille de cadres ou classe supérieure intellectuelle » et qu’a contrario « la presse hebdomadaire régionale est le média qui compte le plus d’ex étudiants boursiers.». Le clivage socioprofessionnel et géographique serait-il à la base du désintérêt croissant de « la France d’en bas » qui fonde la chute des ventes toujours plus constatée des journaux ?
Le renfort de l’état ayant sauvé l’Huma et envisagé pour Libé, n’est pas non plus sans signification. Une Presse de la Capitale pour une frange plus aisée de la population et qui en serait largement issue ? Et une Presse provinciale plus proche de la société réellement représentative et issue du peuple ? La culture ou formation initiales des étudiants ou journalistes en fonction illustrent d’autres tendances.
Selon la même Étude, Il semble que Sciences Po soit la voie royale pour entrer en école de journalisme, chacun sachant le milieu social aisé qui caractérise l’origine majoritaire des étudiants de cet établissement de renom. Une noble profession s’il en est, mais qui interroge toute une société dont elle peine à rendre compte ? Chacun sait le rôle majeur de l’École. Cela serait valable pour tous les types d’enseignement.
Notons que pour prétendre à cette activité en théorie assez littéraire, les ex étudiants en Lettres ne représenteraient que 10,4 %, les Langues et le Droit se situant aux environs de 5 %, face à 18 % sortant de Sciences Po, et 30 % d’un cursus en Info-Communication. Ceux qui regrettent, à tort ou à raison, une qualité d’expression marquant par la régression ou la dominante de la « com pour la com » sans fond ou presque, trouveront dans ces chiffres leur part éventuelle d’explication. Les ex étudiants en Histoire s’évaluant autour de 10 %, les interprétations que certains trouvent de plus en plus hâtives ou superficielles des faits d’actualité sauront ainsi justifier une ignorance des leçons du passé, chez les plus jeunes de la profession. Une sorte de cloisonnement culturel réducteur « de base », qu’il s’agisse de formation ou de provenance sociale et géographique, fonderait le divorce entre la Presse et son lectorat potentiel ? Les chiffres ne répondent pas à tout, d’autant que certaines variations demeurent, notamment entre les hommes et les femmes, là comme ailleurs. Gardons que "les journalistes" que l’on réduit souvent à une entité uniforme pour mieux les discréditer sans nuance, ne sont pas en question en tant que tels, seulement un circuit de formation, de même que "la démocratie" n’est pas responsable des votes extrêmes. La Presse et la Démocratie structurent un même chemin de liberté. Toujours s’en souvenir.
Tout comme la population dans son ensemble, toujours est-il que la durée de formation des journalistes ne cessa de s’accroître ces dernières années. Les jeunes journalistes sont de plus en plus diplômés. Seulement 2% des étudiants en journalisme ont poursuivis 2 ans d’études, près de 10% parmi les journalistes plus anciens en activité. Environ 40 % ont un niveau Bac+5.
Les dénonciateurs de l’élite oligarchique ne tarderont pas à voir leurs appréciations parfois obsessionnelles attestées au regard de tous ces chiffres. Reste que la sélection financière à l’entrée n’est pas sans être avérée par le coût élevé des formations privées reconnues. Comme le reflète le Rapport de l’Observatoire des métiers de la presse, les concours d’accès aux écoles de journalisme sont très sélectifs.
Pour plusieurs milliers de candidats postulant chaque année auprès des 13 écoles de journalisme reconnues par la profession, seulement 440 places sont proposées. Selon la Conférence nationale des métiers du journalisme, 3,3% sont admis par le Celsa, 6% par le CUEJ, 8,8% pour le master Journalisme de Sciences Po-Paris, 5% pour l’École de journalisme et communication de Marseille, et 7, 5 % pour l’École supérieure de journalisme de Lille. Une telle sélection ne favorise pas la nécessité de s’adresser à une population diverse et logiquement fort différente de la petite minorité en charge de l’information. La domination de Sciences Po comme socle de la profession renvoie t’elle en parallèle au divorce qui marque la relation entre les élus et le peuple ?
L’information et l’élaboration des Lois se ferait en cercle restreint et largement consensuel. Qu’une pensée unique creuse autant la tombe de la Presse que celle de la démocratie ?
Que ces derniers temps l’État ait eu à sauver de façon sonnante et trébuchante l’Huma semblait solder une énième fois la disparition de la presse de conviction (justifiée ou dépassée…), laquelle aura précisément permis les grandes heures autant journalistiques qu’électorales.
Bon nombre d’observateurs font remonter la prise de conscience majeure de cette double crise démocratique et médiatique au référendum de 2005 sur l’Europe durant lequel 80 % de la Presse invita au même vote, une part égale de l’échiquier politique se comportant alors pareillement. La fin de la Presse, plusieurs fois annoncée mais heureusement non vérifiée, irait-elle de paire avec celle de l’espérance Politique ? Une Presse unique pour une pensée unique, en stade terminal d’une réelle démocratie ?
Derrière ce qu’il est souvent convenu de nommer à Paris « le populisme », chacun sait désormais la révolte, légitime ou pas, qui ne cesse de grandir à l’égard de ce qui est ressenti comme le règne absolu d’un réseaucratie médiatico-politique. Cette approche fût longtemps celle d’une toute petite minorité de la population, les deux partis définis comme extrêmes rassemblaient environ 5 % de la population. Ici comme ailleurs la population majoritaire était portée par de fortes convictions et croyances dans la force du Politique pour améliorer la condition citoyenne. Les grands journaux étaient ceux qui savaient faire le mieux écho à la « voix du peuple », quelle qu’elle soit. Les grands journalistes trouvaient souvent leur légitimité dans leur parcours personnel idéologique plus que dans leur formation. Démocratie et Presse écrivaient l’Histoire, au mieux. L’école de la vie prenait sa juste part.
Le mur de nombreuses illusions serait tombé parallèlement à celui de Berlin ? Aussi en matière vive d’information.
Le fil du dialogue se serait progressivement interrompu entre les supports de presse de plus en plus proches niveau éditorial et les lecteurs citoyens. La publicité n’aura pas été sans remplacer certaines rubriques longtemps attendues par les fidèles abonnés. Une partie de la Presse aurait-elle été contrainte d’apprendre à faire illusion ? En parallèle des aides de l’État devenues plus indispensables que jamais.
La nouveauté du Net semble ouvrir un espace provisoire de liberté parfaite. Bon nombre de citoyens paraissent pour le moment y contourner les publicités qui envahissent pourtant les écrans numériques. Le voyeurisme des « révélations » de poubelles semble remplacer pour un temps la recherche passée des vrais débats. Le Net fait sensation. Jusqu’à quand ? Pourra t-il jouer le rôle de réel catalyseur des espérances et attentes de la population ?
Un monde civilisé sans la « vraie » Presse est-il possible ? Le retour du Politique au sens le plus noble conjointement à celui d’une vraie joute en presse de conviction reste encore possible, et vital.
Au dernier classement relatif à la liberté d’expression établi par Reporters sans Frontières la France occupe donc le 39ème rang. Par l’argument sécuritaire, arme et vieille ficelle de la Peur jadis tant usitées par l’Urss, la Grande Bretagne et les États Unis ne cesseraient de restreindre cette liberté chérie. Le rôle du Politique et la mission si noble de l’Information verraient donc leurs destins scellés, pour le meilleur en urgence, ou pour le pire ?
Alors que Métronews fête encore son nouvel eldorado de fumée de l’Internet et que le journal historique, que l’on partage ou pas sa ligne éditoriale, qu’est Libération, semble voué à la même mutation numérique de surface, il n’est pas exclu que le rôle de l’État repose sur son exigence la plus héroïque.
La disparition progressive de la Presse, autant dire de la Pensée prenant encore le temps de vraiment se manifester, pourrait constituer l’ultime offensive de la micro société marchande, souvent aussi virtuelle que le Net. Que le peuple, l’État qui en émane, et les serviteurs d’une vraie Information, doivent au plus tôt renouer le lien à même de les sauver tous trois ?
En permettant par son soutien le retour d’une plus grande et réelle diversité d’expression éditoriale, loin de se fragiliser, l’État pourrait en réalité revivifier ses fondements, par la renaissance de la conviction et intéressement citoyens. En favorisant l’accès à l’exercice du journalisme à des profils beaucoup plus divers, le peuple renouerait avec l’engagement, dans un lectorat multiple reconstitué. La Presse et la Démocratie participent d’un même système de valeurs, pour peu que l’une et l’autre puissent s’alimenter mutuellement.
Bien sûr, à l’image de ce qui fut fait lors de l’admirable création de l’Événement du Jeudi ou de Marianne, faciliter ou encourager (le cas échéant fiscalement) le soutien citoyen direct à la Presse reste un modèle et même, un idéal. Pareillement pour les sites les plus exemplaires et indépendants du Net, dont C4N.
Contribuer à la restriction de la pensée, et donc de la démocratie réelle, en fondant uniquement ses espoirs dans la course rapide au supermarché du Net interroge toute une transmission, et mission, de civilisation. La recréation de la Presse papier, incarnée, porte un modèle de société auquel il ne faut pas renoncer. Défendre une Presse multicolore n’est pas moins que de s’assurer l’air indispensable à vivre dans la plus grande liberté de conscience, possible. En parallèle de prolongements numériques. Le vrais progrès ne fait jamais table rase.
Pour peu que la peur du peuple soit écartée et que l’exercice de la politique et de la presse redevienne plus ouvert, la démocratie peut encore l’emporter sur la Loi et pensée unique marchandes.
Pourquoi la Presse papier garde de très beaux jours devant elle ? Parce que le retour annoncé du peuple va régénérer le besoin d’une expression réelle et induire de fait le retour à des supports appropriés au temps de la réflexion. Le temps rapide du web reste pour l’essentiel inscrit dans celui de la consommation. Pour peu que les journaux s’ouvrent à nouveau (Tribunes libres ou autres) au dialogue citoyen, la dimension incarnée et quasi "charnelle" du rapport à un journal fera le reste. Lire un journal participe d’un rapport irremplaçable à soi, aux autres, ainsi qu’à la société. Le numérique ouvre un champ des possibles parallèle, mais non réellement concurrentiel. Quand la démocratie sortira de sa confusion marchande actuelle, la Presse en redeviendra (quitte à faire évoluer les formations journalistiques, etc) le vecteur naturel.
La Presse papier réduite ? C’est alors la Démocratie qui recule, et le peuple d’autant plus limité. Il faut raison garder, et la confiance dans l’émulation d’une liberté retrouvée. Aux citoyens de la vouloir et ainsi permettre. La survie de la Presse papier est dans sa "substance" citoyenne. Et c’est tout à l’honneur de la si noble profession du Journaliste, serviteur indispensable d’une vraie démocratie.
Guillaume Boucard
Sciences Po est la voie royale non pas pour faire du journalisme en presse régionale, mais pour encadrer des journalistes en presse régionale et faire en sorte que les directives patronales soient appliquées.
Soit prendre le lectorat dans le sens du poil et ne pas faire de vagues.
La plupart de ces profils ne font que le strict minimum sur le terrain (et parfois, même en stages d’études, ils se retrouvent affectés au secrétariat de rédaction). Ils sont sélectionnés sur leurs profils de contremaîtres et futurs chefs de service.
Au national, c’est quelque peu différent. L’embauche se fait sur le carnet d’adresses.
La presse papier va finir de mourir de sa belle mort comme elle est née, ici même nous en avons la preuve, seules quelques feuilles de choux subsisteront ici et là …
Quant à la démocratie, a-t-elle vraiment existé un jour ? Les intérêts et humeurs des êtres humains sont si contradictoires et inconciliables … Contentons nous de notre pseudo-démocratie actuelle qui me semble avoir toutes les apparences de la moins mauvaise, quant à la meilleure … rêvons, rêvons !
quand la presse recule, l’agitation augmente.