Lentement, mais sûrement, l’islamisme radical étend son emprise sur la Libye. Il suffit de menacer discrètement et de commettre quelques assassinats spectaculaires pour que chacun comprenne quelle attitude et conduite tenir. Seuls à présent à vraiment se rebiffer : les Toubous, Berbères et Touaregs, qui veulent bien s’accommoder des islamistes – ailleurs – mais exigent des garanties sur les droits des minorités.

Deux morts et quatre blessés à Zouhour, près de Tripoli, cela fournit matière à une brève. C’est le quotidien, tout comme les vols de câbles de cuivre, qui ne sont pas remplacés, de crainte que les véhicules de réparation et leurs chargements ne soient saisis…

En revanche, lorsque, à un jour d’intervalle, deux ex-colonels de l’arme de l’air en retraite, dont le traducteur du général « révolutionnaire » Younès, abattu en 2011, sont passés par les armes (par qui, de fait, de « droit », avec bénéfice de l’anonymat et de l’impunité), à Derna et Benghazi, sont liquidés, cela vaut avertissement. C’était lundi et mercredi derniers. Du coup, n’y voyez aucune coïncidence, bien sûr, la fédération libyenne de football a déconseillé fortement l’équipe nationale féminine d’aller, samedi, disputer des rencontres en Allemagne. Attention, ce n’est pas une interdiction et la presse étrangère ne raconte que des mensonges. Mais comme bien sûr, c’est certain, les femmes et jeunes filles de l’équipe allaient respecter le jeûne du ramadan, il ne leur était pas possible de disputer un match dans de bonnes conditions. Contrairement à leurs homologues de Palestine, Égypte, Liban, Jordanie, sans doute plus aguerries à jeûner et taper dans un ballon.

Le président et les cadres de la fédération de football n’ont absolument pas été intimidés, contrairement à ce qu’une fallacieuse presse étrangère aigrie a sans vergogne supputé.

Cela étant, tout va bien pour les entreprises étrangères, notamment celles liées à la sécurité, en Libye. Ainsi, l’imprimerie fédérale allemande a remporté le contrat des passeports biométriques. Les anciens resteront valides, les nouveaux délivrés par qui saura s’imposer, et leur intitulé dépendra de ce que décidera l’assemblée constituante : s’agira-t-il d’un État, d’une république, d’un royaume ?
On verra, le terme de califat n’étant pas pour le moment envisagé. Ce sera sans nous ont déclaré les six (autant que de députées pour l’ensemble du conseil constitutionnel) représentants des Toubous, Touaregs ou Berbères amazighs. Le futur califat de fait préconise un islam forcément fédérateur s’intéressant peu aux droits des minorités, par essence composées de croyants réunis par une même foi et n’ayant guère besoin d’exprimer des particularismes.

Contrairement à la France et au Royaume-Uni, les États-Unis ne s’étaient impliqués – massivement certes – que de loin dans le conflit. Ce qui les dispense de refaire l’erreur commise au Mali, soit de former des militaires aux convictions démocratiques incertaines. Il reviendra donc au Royaume-Uni de former des officiers, gradés et hommes de troupes libyens sur son sol. Un ancien camp d’entraînement de l’armée britannique sera remis en état à cet effet.

De temps à autres, les douanes libyennes saisissent des cargaisons de convois routiers ou de cargos, ainsi, à Benghazi, celle d’un cargo ukrainien transportant des véhicules destinés à la Jordanie. Pour les bateaux nord-coréens, on ne sait pas, Tripoli et Benghazi n’étant pas Panama.
Il faut dire que les douanes portuaires sont plus sereines que les frontalières terrestres. Pure coïncidence, un poste en bordure de l’Égypte a été détruit par des tirs de missiles et il a été allégué qu’un haut membre des Frères musulmans égyptiens aurait pu en profiter pour passer rejoindre ses amis libyens. Le ministre de l’Intérieur n’est au courant de rien et n’accorde pas crédit à de telles rumeurs.

Les fédéralistes de Benghazi ou de Misrata espèrent que l’assemblée constituante entérinera une sorte de dévolution renforçant les pouvoirs régionaux. En clair, créer des Kurdistans à la mode irakienne. Mais les Tripolitains veulent préserver leur statut de capitale. 

C’est la prochaine source de conflits. Les autres sont légion, la moindre étant le statut de Seif al-Islam Kadhafi, qui devrait être jugé en Libye s’il n’est pas assassiné lors de son transfert, comme le redoute son avocat. La situation reste incertaine à Syrte ou Bani Walid, anciens fiefs kadhafistes. Les libertés, certes, mais tant que, comme en Afghanistan, elles ne s’opposent pas aux traditions, à la culture, à l’islam. À la charia, donc.

Petite anecdote significative. Une avocate tripolitaine, défendant des mères étrangères opposées à leur ex-conjoint libyen ayant retenu leurs enfants se retrouve, à la sortie du tribunal, sommée de sortir de sa voiture par un homme. Le père de l’avocate tente une négociation, il est frappé et roué de coups par l’homme et deux de ses amis. Quand l’avocate sort de la voiture pour secourir son père, les témoins lui intiment de se couvrir la tête d’un foulard. Pendant ce temps, au vu des gardes, des témoins, le père est kidnappé par ses assaillants. Les procureurs, juges, avocats, sont constamment menacés, au nom de l’interprétation de la charia par les plaignants.

Les industries, dont la pétrolière, sont prises en otages. Pour obtenir des embauches, des groupes bloquent la production. En satisfaire l’un implique de s’exposer aux rétorsions d’autres. Les anciens combattants, ceux des dernières heures, minutes, voire secondes, donnent partout de la voix. Le port pétrolier de Zueitina reste bloqué depuis une semaine.

Les cibles sont multiples. La faculté de médecine et ses installations à Benghazi ont été la cible d’un attentat à la bombe heureusement avorté après la découverte, le 20 juillet dernier, de deux sacs remplis d’explosifs. Le ramadan n’a en rien interrompu les activités criminelles.

L’aide occidentale (ou asiatique) est parfois détournée pour financer l’envoi d’armes et de volontaires en Syrie, au profit des milices les plus radicalement islamistes. Le problème est aussi que, dans le sud-est, les combattants islamistes chassés par les troupes françaises et tchadiennes du nord du Mali se sont regroupés… Mais il ne faut pas compter sur un appel du « gouvernement » libyen pour les juguler : ce sont plutôt les autorités libyennes qui sont prises à la gorge, ou perverties.

Parés du prestige de leurs succès en Libye, les combattants islamistes radicaux libyens sont à présent le fer de lance de sortes de brigades internationales islamistes présentes en Syrie, Irak, Égypte, voire Tunisie. C’est peut-être cher payé pour régler des arrangements avortés entre la France de Sarkozy et la Libye de Kadhafi.