Luis Barcenas, l’ancien trésorier du Parti populaire espagnol comparait ce jour devant un juge qui, selon toute vraisemblance, le maintiendra en détention. Mais selon El Mundo, le PP lui aurait proposé le marché suivant : « si tu parles, ta femme ira en prison, si tu te tais, on limogera Alberto Ruiz-Gallardon ». Lequel n’est autre que le ministre de la Justice… Hier l’opposition a réclamé la démission de Mariano Rajoy, le président espagnol. Des manifestations réclamant que le gouvernement se démette se sont déroulées dans diverses villes catalanes.
Le parti majoritaire s’enfonce dans le déni en Espagne. Après que l’opposition ait demandé hier, dimanche (voir notre article sur Come4News, hier) que le président Mariano Rajoy se démette, voire que le gouvernement démissionne et que des élections anticipées soient organisées, le PP a considéré que Luis Barcenas, son ex-trésorier, avait tiré sa dernière cartouche en révélant ses échanges épistolaires avec Mariano Rajoy.
Aujourd’hui, alors que l’ex-trésorier de son parti comparait devant un juge pour corruption et blanchiment d’argent en Suisse, le ministre de l’Économie, Luis de Guindos, a estimé que l’affaire n’aurait aucune répercussion, que les marchés et les investisseurs étrangers conservaient leur confiance dans l’Espagne. Bref, capitaux circulez, il n’y a rien à voir, le gouvernement espagnol est solide.
Mais ce lundi matin, le quotidien El Mundo révèle que le PP aurait mis en main un curieux marché à son ex-trésorier. Soit il parlait, et son épouse, Rosalia Iglesias, était à son tour incarcérée, soit il se taisait et le garde des Sceaux, Alberto Ruiz-Gallardon, qui avait mené des enquêtes internes au PP, se retrouvait limogé « lors du dernier conseil ministériel avant les vacances » et Barcenas sortait de prison « en septembre ».
L’échange de bons procédés aurait été relayé par l’avocat Javier Iglesias Redondo, considéré très proche du PP. Son client aurait refusé, pris un avocat pugnace, puis aurait fait fuiter vers la presse sa correspondance, notamment par SMS, avec le président Mariano Rajoy.
Le marché aurait été proposé la semaine dernière, selon El Mundo. L’avocat Miguel Duran, ancien président de Telecinco et ex-directeur de la Once, qui a depuis rejoint le mouvement citoyen Cuidadanos-Libertas (Cuitadans-Libertas), et sera tête de liste aux élections européennes, aurait aussi été chargé de transmettre le message de la part de Mariano Rajoy, poursuit El Mundo.
Il aurait ajouté que non seulement l’épouse mais aussi le fils de Barcenas seraient épargnés par les poursuites judiciaires qui se concluraient plus tard par un non-lieu et une totale relaxe. La destitution du ministre de la Justice aurait facilité une reprise en main du pouvoir judiciaire et ce singulier arrangement.
Luis Barcenas a refusé cet arrangement et communique au juge ce jour des centaines de documents originaux et un récapitulatif de comptabilité occulte du PP de 1990 à 2008. Y figurent des donations dissimulées d’entreprises auxquelles furent confiées des marchés publics, et en sortie, le montant des sommes en liquide dont auraient bénéficié des ministres, et Mariano Rajoy.
Miguel Duran a ce matin affirmé avoir rompu toute communication avec Rajoy depuis deux ans. Il dément donc totalement les sources du quotidien. S’il s’est rendu à la prison madrilène Soto del Real, par deux fois, c’était seulement à la demande de Barcenas, et nullement pour lui transmettre un quelconque message. Javier Iglesias Redondo a aussi démenti.
Pour la presse proche du gouvernement, les échanges entre Barcenas et Rajoy démontrent que ce dernier n’aurait pas cédé aux pression de Barcenas. C’est la thèse d’ABC.
L’avocat Javier Iglesias avait pourtant consigné, dans sa demande aux autorités carcérales pour s’entretenir avec le détenu, qu’il « représentait le PP ». Le PP aurait concédé aussi à son ex-trésorier qu’il puisse conserver le quart des sommes (48 millions d’euros au total) subsistantes placées à l’étranger. Ce montant est pourtant minimal car il est présumé que d’autres sommes, non répertoriées, puissent se trouver aux États-Unis ou en Amérique du Sud.
Le PSOE accuse le président de « couvrir un délinquant » et fait donner de la voix diverses personnalités exigeant la démission de Mariano Rajoy. Le gouvernement est accusé de «nbsp;pratiques mafieuses ».
La nouvelle ligne de défense de Barcenas consiste à alléguer que Mario Rajoy aurait aussi reçu d’un entrepreneur une somme de 300 000 pour le financement des campagnes électorales du PP. Selon El Pais, il s’agirait de faire jouer les dispositions sur le financement des campagnes et d’entraîner des sanctions d’inéligibilité. Les dons sont en effet limités à 60 000 euros. Cela constituerait aussi un délit fiscal. Selon El Pais, la comptabilité parallèle (dite B) du PP ferait état de trente dons dépassant le seuil autorisé, dont deux versements de 250 000 et 400 000 euros. Huit dirigeants d’entreprises font l’objet d’investigations.
Du fait de la prescription, de l’impossibilité de prouver que les entreprises ont concédé des dons contre l’attribution de marchés, la tâche de la justice et des enquêteurs sera malaisée, estime El Pais.
Pendant cinq ans, le PP avait maintenu que son ex-trésorier était présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Puis il a été qualifié de délinquant, d’escroc motivé par son enrichissement personnel. Pour le PP, les messages de Rajoy à Barcenas ne visaient pas à contrecarrer l’action judiciaire mais témoignaient d’une simple sollicitude humaine. Il ne saurait être question d’entraves à la saisine ou d’atteintes ou d’avoir fait obstacle à la manifestation de la vérité.
Le président Rajoy recevait ce jour son homologue polonais, Donald Tusk. Une conférence de presse devrait se tenir vers 15 heures.
L’opposition est unie pour demander la démission de Rajoy, mais ses composantes divergent sur la suite, l’opportunité d’une motion de censure (qui, en l’état du rapport de forces, serait rejetée) ou de manifester en vue d’obtenir des élections anticipées. En Catalogne, certains partis lient la possibilité d’appuyer une motion de censure à des concessions en faveur d’un référendum sur l’indépendance.
L’ONG Avaaz a demandé à ses correspondants d’envoyer des cartes postales à Barcenas en prison ou au domicile de son épouse, leur demandant de tout déballer, de ne rien cacher. 34 764 cartes postales ont été réceptionnés par l’établissement carcéral madrilène. Sur l’une, une jeune fille de 17 ans s’exprime ainsi : « je ne veux pas que ma génération vive comme les antérieures. Merci de tout dire. ».
Des voix dissidentes se sont élevées au sein du PP. Le président du PP catalan, Alejo Vidal-Quadras, vice-président du parlement européen, l’ancien parlementaire basque Santiago Abascal et le philosophe José Lui Gonzalez Quiros ont réclamé une réunion du parti au somme, considérant que la situation devenait « insoutenable » et qu’une « réflexion » s’imposait.
Barcenas aurait plaidé devant le juge Pablo Ruz qu’il n’avait que suivre les directives de son prédécesseur, Alvaro Lapuerta. Les versements en espèces ayant bénéficié à des personnalités du PP auraient été employées à couvrir des frais de représentation, d’achats de costumes ou tailleurs.
Il a été confirmé ce jour que le juge Pablo Ruz avait demandé à Londres que tous les comptes ouverts par l’ex-trésorier du PP et de son représentant, Ivan Yañez, soient bloqués.
Selon un tweet de Jaume Asens, de l’ONG Observatori DESC (droits économiques, sociaux et culturels), qui suit l’audience de Barcenas (mais n’est pas présent dans la salle), ce dernier met en cause Rajoy et la numéro deux du PP, Maria Dolores de Cospedal, et il devient probable qu’ils soient entendus en tant que témoins. Le prévenu aurait produit des copies de reçus délivrés à des donateurs mais aussi divers reçus des récipiendaires de la manne. Il se serait déclaré disposé à fournir d’autres documents, contenus dans des coffres en Suisse et d’autres établissements bancaires étrangers.
Les affaires Barcenas et groupe Gürtel (un holding du bâtiment et des travaux publics ayant fait scandale dans des affaires de marchés truqués) seront mieux coordonnées. Le juge Ruz pourra venir en renfort de celui traitant du volet Gürtel.
Le Diario Financiero révèle qu’au fil des années 1997-1999, « M. R. » (soit Rajoy) avait perçu plus de quinze millions de pesetas sous le manteau. Le ministre du Travail, Javier Arenas, touchait aussi des dessous de table de la sorte. Francisco Álvarez-Cascos, le chef de file de Foro Asturias aurait été le principal bénéficiaire, recevant au total 24 millions de pesetas pour ses « faux frais ». Quant aux principaux donateurs, il s’agirait, selon un tweet, de Villar Mir, S. Domínguez, G. Pozuelo, C. Caro, Fernández, de Rivero, Mayor Oreja y Vilella.
La presse proche du pouvoir tente de mettre en doute les déclarations de Barcenas. Puisqu’il avait menti auparavant, niant toute comptabilité parallèle, pourquoi, déclarant à présent le contraire, ne mentirait-il pas tout autant ? Ce serait un peu comme si, du fait que Jérôme Cahuzac avait nié détenir un compte en Suisse, ses aveux ne vaudraient rien.
The Times semble ne pas exclure un profond remaniement du gouvernement espagnol.
La ligne de défense du PP ressemble fort à celle de l’association des Amis de Nicolas Sarkozy. On voudrait détruire Mariano Rajoy, qui serait blanc comme neige.
La première question posée à Mariano Rajoy lors de sa conférence de presse avec Donald Tusk lui a donné l’occasion de réaffirmer son appui à une union politique européenne et à un plan en faveur de la production d’énergie (impliquant un relèvement des tarifs).
La seconde question a porté sur Barcenas. Rajoy a déclaré que l’État de droit « ne se soumet pas au chantage » et que le gouvernement collaborait avec la justice. Il n’y aura aucune pression, a-t-il insisté. Les institutions agiront en toute liberté. Pour lui, la question a été largement soulevée et débattue par le passé. Le gouvernement a d’autres choses à faire que de se préoccuper de ce qui se publie dans la presse.
L’État de droit ne se soumet pas au chantage, a-t-il répété. Puis il a insisté sur la stabilité politique et le programme de réformes. « L’Espagne est un pays sérieux (…) question suivante… ».
Une fort longue question est ensuite adressée au président Tusk… sur la protection des animaux. La suivante revient sur l’affaire Barcenas et la demande démission de l’opposition espagnole.
Rajoy réplique qu’il ne va pas rentrer dans les détails et il répète que l’État de droit, &c.
« L’Espagne est dans une situation difficile (…) je vais accomplir mon mandat (…) le gouvernement est stable, il va accomplir ses obligations… ».
Bref, Rajoy a esquivé les réponses qui étaient attendues par les deux journalistes espagnols, et la conférence s’est achevée sur l’affirmation que tout irait comme avant… L’opposition est libre de se comporter comme elle l’entend, mais cela n’influe pas sur la détermination gouvernementale.
Pendant ce temps, un responsable du PP, Carlos Floriano, indiquait que les comptes en Suisse et à l’étranger avaient été ouverts totalement à l’insu du parti et n’engageaient que la responsabilité personnelle de Barcenas. Pour lui, l’opposition se ferait rouler dans la farine par Barcenas, se faisant complice d’un escroc.
El Mundo dénonce la façon dont a été menée la conférence de presse du président, en indiquant que la formulation du journaliste d’ABC avait été concertée pour que la question induise la réponse élaborée à l’avance. El Huffington Post a relevé que Rajoy lisait le texte de sa réponse en le consultant à quatre secondes d’intervalle. C’est un peu exagéré (ce n’est pas vraiment ce qu’il nous avait semblé). Mais L’Huffington (.es) a revisionné soigneusement l’intervention : Rajoy a baissé la tête 70 fois en 4 min 30.
Le site Dialogo Libre a relevé que Rajoy n’a nullement démenti les révélations de Barcenas. Il a éludé le problème. Les questions avaient été sélectionnées, la plupart des journalistes étant contingentés dans une pièce annexe pour visionner la prestation.
Rajoy a-t-il oui ou non perçu, entre 1997 et 2008, 25 200 euros chaque année pour améliorer un train de vie plus que confortable alors que son pays compte à présent 27 % de chômeurs (selon les chiffres officiels) ? Ces sommes, si elles sont authentiques, n’ont en tout cas pas été déclarées au fisc. Que cela soit ou non le cas, cela ne change rien – pour l’instant – et il ne démissionnera pas. Pas davantage que Jérôme Cahuzac ne devait le faire ?
Cela reste à vérifier.
Mais en Espagne, il est évoqué déjà un plan B pour le PP. Confier la présidence à une troîka : Soraya Saenz de Santamaria en remplacement de Rajoy, secondée par Alberto Ruiz Gallardon et Josep Piqué… Tous trois ne se sont guère empressés de venir au secours de Rajoy.
À chacun son Fillon, après le filon…
Eternels problèmes en Espagne entre le PP et le PSOE…. gueguerre permanente mais aussi incapables à gouverner les uns que les autres…
C’est bien cela le problème ; la relève, Catalan66270, n’est pas vraiment en passe d’être assurée.
Barcenas aurait depuis déclaré qu’un avocat mandaté par Cospedal lui aurait proposé 500 000 euros en échange de son silence.
Sur Change.org
[url]http://www.change.org/es/peticiones/no-más-corrupción-en-españa-2-millones-para-que-rajoy-dimita-rajoyveteya[/url]
une pétition a été lancée pour obtenir la démission de Rajoy.
Elle en était à 1 243 171 signataires voici quelques secondes (183 au lieu de 171 au moment de finir de rédiger, et 202 à présent).