Brigitte Bardot a bon dos… Hormis les Angus, Galloway et quelques autres races écossaises, ou des îles britanniques, les vaches sans corne sont généralement mutilées : on leur cautérise les embryons de corne – les cornillons – vers six semaines ou, plus tard, on les écorne. Derniers argument des généticiens adeptes des OGM, créer des mutantes qui n’auraient pas à souffrir de ce type d’intervention. En fait, il s’agit surtout de faire en sorte qu’elles prennent moins de place à la mangeoire… 

Certains éleveurs y procèdent systématiquement, sur des vachettes, par des procédés thermiques ou chimiques. D’autres attendent que l’animal soit adulte, et non systématiquement pour certains (ils réservent l’écornage aux plus agressives). Mais bientôt, la vachette à cornes relèvera du folklore (basque par exemple) ou du zoo. Les mutations génétiques sont à présent systématiquement préconisées pour obtenir à terme des variétés sans corne. Mais avec les recherches menées en Écosse, en laboratoire, un nouveau pas sera franchi.

C’est déjà le cas pour les charolaises de l’élevage Riotte-Schrapfer qui diffuse en Europe et jusqu’au Mexique sa génétique depuis près de six ans. D’Angély, fils d’Ulla et de Vulcaindel, tous deux sans corne, est à présent passé reproducteur.

En Aveyron, déjà en 2008, on avait écorné près de 2 400 têtes, de manière hydraulique (découpe sous pression). En Suisse, c’est 200 000. Il s’agit bien sûr, pour les bêtes paissant plus ou moins librement, d’éviter les accidents ou attaques (entre elles, ou des charges contre des enfants ou adultes imprudents). Mais en fait, l’idée est surtout qu’elles accèdent à l’ensilage des mangeoires sans risque et en s’encombrant moins. L’autre avantage, c’est de prendre moins de risques de bagarres en stabulation libre, les dominés étant moins durement agressés.

Initialement, il était question de sélection et de croisements pour obtenir des variétés ou des individus sans corne. Pourquoi pas ? La vache primitive de la mythologie scandinave n’en arborait pas et si elle fut inventée sans corne, ce n’est peut-être pas pour répondre au souhait de son éleveur d’avoir une bête plus docile, moins exigeante. L’Union suisse des paysans explique qu’avec des vaches portant des cornes, « la charge de travail et financière ainsi que les risques sont plus importants en stabulation libre ». Un mode d’élevage qui, soulignons-le, convient mieux aux défenseurs des animaux.

Mais il n’est plus question de sélection à présent. Il suffit d’extraire de la DNA des bêtes naissant sans corne le gêne empêchant la croissance des excroissances. C’est à l’étude, de manière fort avancée, au Scotland Rural College, proche d’Édinbourg, et dans d’autres laboratoires de par le monde.

Le taureau Randy, un holstein, va donner 40 embryons qui seront exportés dans le Midwest (Illinois et autres États). Sa descendance sera dépourvue de cornes. Car si les variétés sans corne écossaises donnent une viande fort goûteuse, la production laitière laisse à désirer. Il n’en sera pas de même avec des holstein.

Autrefois, les cornes avaient une utilité : porter le joug, tirer la charrue ou à la charrette (ou le carrosse de nos rois fainéants peu enclins à se faire cahoter par des chevaux emballés). À présent, à quoi bon ? Fabriquer des cornes pour les touristes du côté de Roncevaux ?

Les polled (sans corne), voilà l’avenir. Auquel s’emploie par exemple KBS Genetic à Veyrac (Haute-Vienne), encore par accouplements ou surtout inséminations. Les salers polled sont une réalité depuis 2011. L’embryon de polled (génétique acère) vaut dans les mille euros.

Vaches, bœufs, taureaux qu’on ne prendra plus par les cornes, truies édentées dès la naissance, ou s’arrêtera-t-on ? Aux animaux sans pattes, carrés et empilables ? Les taureaux acères homozygotes devenaient déjà dominants. Avec les recherches en laboratoires, sachant que la durée de vie d’un taureau est de huit ans, considérez que vers 2020, la vache ou le taureau, ou bœuf à cornes sera une bête de fête foraine, exhibée comme antan un ours enchaîné.

Bertrand Martin, d’Orsennes, expliquait à La Nouvelle République que « la taille des exploitations s’agrandit et les éleveurs ont de moins en moins de temps à consacrer à chaque bête ». Les limousines de l’Indre, nées sans cornes, vêleront de plus en plus d’animaux en étant dépourvus. Les montbéliardes finiront par y passer tout comme les autres. 

Bien sûr, les éleveurs ayant été encornés sont pour. On les comprend. Mais pour les éleveurs de chèvres ? Eh, bien, c’est parti aussi. Ne resteront plus bientôt que les cocu·e·s à en porter.

Car en fait, les bénéfices attendus vont bien au-delà de la sérénité des bestiaux et de leurs propriétaires. On attend aussi des naisseuses au bassin élargi vêlant plus facilement, et de multiples améliorations productivistes.

Les bovins sont déjà totalement « technicisés », des êtres artificiels, et ils le deviendront de plus en plus. Il restera aux publicitaires à faire passer le message que les vaches n’ont jamais eu de cornes. Ou alors, en des temps très reculés, ou des animaux exotiques, comme en Inde. Avec quand même quelques animaux de salon (les races de conservation sont présentées dans les salons agricoles), ou nains et domestiques, appelés à figurer dans des concours, pomponnés, voire vêtus, colorisés.

Déjà, au siècle dernier, George Orwell écrivait « il se pourrait tout autant que l’on parvienne à créer une race d’hommes n’aspirant pas à la liberté, comme on pourrait créer une race de vaches sans cornes » (Recension : Russia under Soviet Rule). Pour la, les races bovines, c’est fait. Pour les éleveurs et agriculteurs, avec les OGM, c’est en passe de se réaliser. Ils suivent les programmes… Le banquier exigera des sans cornes, l’abattoir n’en acceptera plus de cornues, &c.

En attendant, si vous avez encore un souvenir quelconque en corne de vache (ou autre animal autrefois domestique), ne le vouez pas à la décharge. La moindre trompe ou corne d’appel, le plus humble olifant, naturel, vaudra bientôt autant qu’une cloche authentique de vache helvète (les imitations à bas prix foisonnent). Dépêchez-vous aussi d’aller voir les maraîchines du Poitou transportées sur les canaux du marais par leurs éleveurs sur leurs plates pour passer d’un pâturage à un autre. Le parc interrégional du Marais poitevin en préservera sans doute deux-trois à cornes, pour le bonheur des photographes, mais rien n’est sûr… en tout cas à terme.
La rustique maraîchine résistera peut-être, comme d’autres, ainsi de la pie noire bretonne, autre survivante, alors qu’il y avait jusqu’à 700 000 pie noir en 1900, sur des parcs naturels, mais il faudra peut-être autre chose que l’opiniâtreté de la petite chèvre de Monsieur Seguin pour leur conserver leurs cornes. Car la consanguinité les guette.  

Fut un temps où la seule vache sans corne dans un pré avait toutes les chances d’être un cheval. En attendant qu’on nous produise des licornes, peut-être serait-il temps de s’alarmer de la survivance des bêtes à cornes dans le cheptel bovin.