Il semble que, dans quelques heures (les débats débutant à 20 h locales), le parlement chypriote adoptera un plan C qui pourrait avoir l’aval de la « troïka ». Mais aussi fortement irriter la Russie, pour qui l’île, en tout cas sa partie occidentale, faisait figure de porte-avions pour les échanges entre ce pays et l’Eurozone ou l’Union européenne.
Vers quoi s’oriente-t-on à Chypre ? Vers un plan C, qui évoque fort le plan A « lite » (seuls les dépôts supérieurs à 100 000 euros seraient – plus lourdement – taxés (euh, non échangés contre des actions des banques chypriotes), s’assortissant de restrictions fortes sur les transactions banques et du remaniement de l’une des deux plus grandes banques chypriotes, Laiki.
Ce plan C exonérerait les petits déposants de tout prélèvement, mais pourrait porter celui visant les autres (dont beaucoup d’oligarques russes) à un taux approchant ou dépassant les dix pour cent (9,46, voire 11,50 %, ou même 15 % sont suggérés). L’argent des petits déposants alimenterait une « bonne banque », l’existante Banque de Chypre. Le sort de la Cyprus Popular Bank (Laiki) est encore incertain, mais son existence même est très menacée (8 000 emplois sont en jeu, soit un pour cent de la population : 800 000 habitants).
La banque Laiki serait restructurée. La banque de dépôts subsisterait (ou pas), celle d’investissement serait soulagée par une « bad bank » regroupant des créances risquées. Cela soulagerait l’État de plus de deux milliards d’euros à trouver. L’argent de la « mauvaise banque » serait gelé jusqu’à nouvel ordre, puis ses avoirs placés, laissant les employés sur le carreau.
Pour éviter que l’exemple de la Laiki – banque systémique selon son directeur – ébranle l’ensemble du système bancaire, nombre de transactions seraient très contrôlées et contingentées.
La seule bonne nouvelle du jour pour Chypre est que diverses banques grecques ont accepté de prendre en charge, en les rachetant, les filiales des banques chypriotes sur le continent (ou l’île de Crète, &c.). Le montant des compensations serait plutôt favorable à Chypre… La Pireaeus s’emparerait des filiales de la Bank of Cyprus et de Laiki Bank.
Ce plan C, qui alourdit encore la ponction sur les comptes des investisseurs étrangers, dont russes, semble être interprété en Russie tel un bras de fer entre Angela Merkel, et l’Union européenne, et la Russie. Dimitri Medvedev avait qualifié le plan A d’absurde, et ce plan C, qui en alourdit les conséquences pour les placements russes à Chypre, déplaira d’autant plus Moscou.
Cependant, même si les négociations entre Nicosie et Moscou ont échoué (et Bruxelles fut fort vexée de voir que Chypre préférait se rendre à Moscou – pour deux jours de négociations ayant avorté), le gouvernement russe ne voudrait pas voir l’île quitter l’Eurozone. Un assouplissement moindre qu’espéré du remboursement de la dette envers la Russie, ou des mesures d’étalement, voire des aides, resteraient envisageables.
La chancelière allemande, pour sa part, ne tolère plus le modèle financier chypriote, qui a fait de l’île une sorte de paradis fiscal, et veut le voir profondément réformé.
En Russie, le cas de Chypre évoque une véritable spoliation des avoirs étrangers. Les trois banques d’État de Russie, Sberbank, VTB et Gazprombank, ne veulent pas se porter au secours des chypriotes, et espèrent plutôt que des fonds seront rapatriés.
Le groupe l’Autre Russie a brièvement occupé la banque centrale russe, réclamant le rapatriement de tous les avoirs placés à Chypre en Russie. Mais le gouvernement russe n’y tient pas tant que cela. Chypre était devenue la plaque tournante de nombreux flux d’affaires entre la Russie et le reste de l’Europe. Une sorte de porte-avions commercial et financier.
Pour Moscou, nombre d’oligarques russes sont davantage attachés à Chypre pour les services qu’offrent les banques chypriotes que pour simplement placer de l’argent très peu imposé.
Pour le très libéral Moscow Times, Moscou ne doit pas céder au chantage de l’Union européenne. Les banques chypriotes ont perdu beaucoup d’argent en investissant notamment en Grèce, et ce n’est nullement la faute des investisseurs russes. Au contraire, ce ne sont pas les fonds européens mais les apports russes qui ont sorti Chypre du marasme. « Il semble que l’Allemagne veut refermer la fenêtre économique russe sur l’Europe (…) en ponctionnant les investisseurs russes », résume Dimitri Alfanasiev.
Lequel propose que les investisseurs se coalisent, ouvrent un front commun, tant pour faire fléchir la Troïka que pour se faire appuyer par le gouvernement russe.
Yulia Latynina, toujours dans le Moscow Times, est encore plus remontée. Des gouvernements laxistes, populistes, ont largement recouru au crédit en sachant fort bien que la dette deviendrait insupportable, et le jeu démocratique a largement permis aux populations européennes de demander et d’obtenir toujours et toujours davantage. L’Occident a été gouverné par « des crétins socialistes, des clowns et des politiciens corrompus ». Pour élargir leur base électorale, les partis prétendant gouverner ont ouvert la porte à l’immigration massive, ont toujours davantage appauvri les populations par des impôts et taxes, et amuser la galerie avec, par exemple, le mariage pour tous.
Les oligarchies européennes sont devenues des parasites populistes, les banques occidentales ont favorisé une ploutocratie, aux dépens des industriels et des investisseurs, des salariés, artisans, &c.
Pour Bloomberg, ce plan C vaudrait aux investisseurs des pertes de l’ordre de 40 %.
Selon des milieux informés, la Troïka souhaiterait que Chypre s’engage à trouver 900 millions d’euros supplémentaire pour apurer ses dettes, soit un nouveau total de 6,7 milliards d’euros. Débloquez près de sept milliards et vous en obtiendrez dix, remboursables, lundi, de la part de la BCE, tel sont les termes de l’« échange ».
De toute façon, le sort de Chypre ne sera pas enviable, même si l’issue est « favorable ». La dette continuera de représenter près d’une fois et demi le PIB et la chute du système bancaire tel qu’il existe entraînera de très nombreux licenciements ce secteur crucial. En Italie, le nombre des pauvres s’accroit d’environ 650 par jour : pour Chypre, ce sera moindre dans l’absolu, sans doute plus fort en proportion. Les conditions de la Troïka conduiront à une stricte austérité.
Dans l’attente d’un hypothétique revenu pétrolier (non seulement les perspectives de nouveaux gisements sont à approfondir, mais la Turquie pourrait en vouloir sa part, ce qui explique les réticences russes à s’engager sur ce profond terrain), l’économie chypriote risque très fort de se contracter avec des conséquences lourdes pour le revenu des particuliers, leurs dépenses, donc les profits, &c.
Le problème est plus large, vu de Russie et d’ailleurs. Si les restrictions sur les mouvements bancaires sont drastiques, que vaudra vraiment un euro chypriote hors de Chypre ? Il ne sert plus, de fait, qu’à se fournir sur le seul marché local. L’euro chypriote serait placé, de la sorte, en quarantaine.
La Russie pourrait manifester son mécontentement en relevant les tarifs gaziers, plus ou moins fixés à la tête du client (ou sa proximité avec la sphère d’influence russe, comme pour la Biélorussie, outrageusement avantagée à l’inverse de l’Ukraine ou d’autres pays). D’autant plus que la Chine est preneuse d’hydrocarbures et de gaz.
Mais, relâchez la pression sur Chypre serait, en particulier en Allemagne, considéré comme une aide indirecte aux détenteurs de fonds russes dans les banques chypriotes. Or, l’Allemagne votera dans un semestre. Un plan B prévoyait que Chypre puise dans les caisses de retraites en les nationalisant : l’Allemagne a refusé. Elle veut que les banques payent pour ce qu’elles ont engrangé puis cassé en acquérant des créances douteuses, surévaluées. Pour l’Allemagne, Chypre doit cesser de se conduire en paradis fiscal.
Les manifestants devant le parlement chypriote, parmi lesquels de nombreux employés des banques, ont brûlé un drapeau européen. Il pleut sur Chypre, mais les mécontents ne se dispersent pas. Le président Nicos Anastasiades a laissé entendre que le parlement devait tout faire pour se concilier l’Union européenne et la BCE.
James Salt (contributeur de Reuters), indique que, toutes choses égales par ailleurs, certains paradis fiscaux sont plus égaux que d’autres : on gagne sur les taxes sur le court terme, on risque gros sur le moyen ou long terme. Il laisse entrevoir une ère de « répression financière ». Car, « les problèmes de Chypre pourraient s’étendre mondialement » : les banques chypriotes ont misé sur l’immobilier local (domestique et touristique) et la Grèce. Les banques chypriotes rémunéraient à hauteur de 4,45 , bien davantage que les allemandes (1,5) et bien sûr que les britanniques (où le rendement, du fait de l’inflation, est très négatif). « Répétez après moi : il n’y a pas de gain supplémentaire sans risque supplémentaire, » assène James Salt.
Bien sûr, frauder le fisc, même en plaçant de l’argent qui ne rapporterait rien ou très peu, est toujours avantageux, selon son niveau de fortune. Mais tous les grands États sont aux abois et peuvent avoir recours à des mesures de rétorsion.
Selon Manos Giakoumis, le taux imposé aux détenteurs de plus de 100 000 euros pourrait approcher les 15 %. Dans ces conditions, sauf si l’argent provient d’activités qui ne peuvent absolument être transparentes, et ne peut donc être placé normalement, fuir l’imposition ou des taux de rémunération plus faibles devient désavantageux. Les Russes (mais aussi des Britanniques) ayant favorisé Chypre, pourraient considérer la mesure vraiment lourdement confiscatoire. Information confirmée par un responsable politique anonyme qui, vers 19:40 (Paris) évoque un taux supérieur à 10 %.
Ce vendredi soir, les marchés restaient confiants : une solution convenant à la Troïka sera trouvée et le risque de contagion (Italie, Espagne, Portugal…) s’éloigne. Chypre resterait dans l’Eurozone (avec de fortes restrictions quand à la valeur réelle des euros chypriotes), il n’y aurait pas de retour à la livre.
La réaction russe dépendra beaucoup de la réaction des oligarques : en fait, certains, comme Igor Zyuzin (groupe métallurgique Mechel), et d’autres, auraient pu fuir Chypre à temps.
Le débat parlementaire risque d’être long, cette nuit, et partiel : une décision pourrait être prise quant au sort de Laiki, mais celle sur le montant d’un prélèvement sur les dépôts reportée à demain, samedi.
Mais ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est d’abord que les gouvernements européens, plus que la Commission européenne (assaillie par les groupes de pression, mais aussi encadrée par les gouvernements) ont, comme l’estime Emmanuel Lévy, de Marianne, « laissé les banques faire n’importe quoi ». Exactement comme l’ancien gouvernement islandais. Les gouvernements se sont laissés prendre en otages par les banques ; pour la première fois, l’une d’entre elles est vraiment visée, Laiki. Il reste beaucoup, beaucoup de ménage à faire, un peu partout. On n’en prend pas vraiment le chemin, mais l’idée pourrait venir (c’est le cas pour les populations), et murir.
Les politiques chypriotes risquent gros. Ils avaient laissé faire, encouragé pour certains, et s’étaient engraissés. En ne s’attaquant pas aux petits et moyens déposants, ils ont repoussé le risque de se retrouver physiquement molestés. Cela pourrait faire réfléchir les autres, dans d’autres pays.
Non aux plans de renflouement
Non à l’austérité
Chypre pourrait être comme l’Islande le grain de sable qui fait dérailler la machine de destruction des peuples.
Soutenez le plan B avec la séparation strictes des banques afin de mettre les spécualteurs en faillite.
Signez la pétition : https://www.change.org/fr/pétitions/a-tous-les-députés-chypriotes-chypre-doit-scinder-les-banques-en-deux-catégories-bonne-mauvaise-banque
La nouvelle résistance contre le monde de la finance