« La Religieuse », le film de Guillaume Nicloux, adaptation du texte de Diderot, nous transporte vers ce XVIIIe siècle, sous l‘ancien Régime où l‘ordre social était encore bien rigide : la toute puissance de l‘autorité parentale avec ses abus, ses dérives ; la suprématie des institutions religieuses, leurs hypocrisies, leurs faiblesses. 

Mêlant ironie et pathétique, le film s’en prend à ce monde corseté qui frappe de plein fouet certaines de ces naufragées de la vie venues, par un concours de circonstances, s‘échouer  dans ce lieu. Marie-Suzanne Simonin (Pauline Etienne) en est une : fruit secret d’un adultère, elle est la mystique benjamine d’une famille de trois enfants. 

Pour sauver financièrement sa famille et sans être dotée de cette vocation forcenée à la vie de religieuse, elle fréquentera un couvent ; son séjour va être amené de force, à jouer les prolongations. Pour la bonne cause, sous la direction de la bonne mère Ursule (Françoise Lebrun) et avec la complicité de ses parents, tous les moyens insidieux de pression, de chantage, seront mis en œuvre. 

Après un noviciat forcé, vient l’heure de la confirmation des vœux à laquelle Suzanne semble incapable de se résoudre malgré toute sa bonne volonté ; elle se bat pour s‘en soustraire et retourne auprès d‘une famille outrée par son comportement, jugé pour le moins indigne.  Devenue aux yeux de tous une paria, les efforts se conjuguent afin de la remettre sur le droit chemin.

Débute alors pour la jeune fille, la descente inexorable dans l’abîme vers laquelle tentent de la précipiter cette kyrielle d’aimantes coalisées : une mère illuminée qui cherche son salut par procuration , des religieuses soumises à une hiérarchie despotique, perverse, caractérielle selon les couvents. 

Il y a au milieu une pure Suzanne coincée entre les mailles du filet qui, animée d’un respect filial sans bornes, est prête jusqu’au sacrifice pour expier le pêché maternel. Un parcours haletant qui fera de ses jeunes années un combat éperdu pour la liberté. Les inépuisables obstacles à surmonter derrière les façades reluisantes du couvent joueront en sa faveur, faisant d’elle une révoltée définitivement déterminée à briser les chaines de l‘aliénation. 

Elle n’a aucune envie de ressembler à ces indésirables qui peuplent ces lieux où cohabitent, névrosées et perverses,  sadiques et lesbiennes ; il y a aussi les cachots, les persécutions ;  il y a les expressions rebutantes de la souffrance que sont  les syncopes, les évanouissement, les crises d’hystérie. 

La pesanteur du sujet est quand même contrebalancée par cette ironie qui sous tend certaines scènes :  la dernière des mères supérieures à laquelle Suzanne se trouvera confrontée est interprétée par Isabelle Huppert : haute en couleurs, la mère ne manque pas d’air ; elle trône dans un couvent huppé réduit en un lieu de plaisir où au su de presque tous, elle laisse libre cours à sa perversité ! 

Même si le film met la lumière sur les excès, fidèle au texte, il n’est pas anticléricale : Suzanne est animée d’une grande foi qu’elle entend vivre à sa façon en dehors de tout ce carcan étouffant et hypocrite qui lui est dicté. Elle entrera en rébellion et s’insurgera contre la pensée unique pour mettre fin à sa séquestration. 

Une belle mise en scène de cette ode à la liberté interprétée par de bons acteurs dans l’ensemble. Autres temps, autres mœurs, pas vraiment ! Je ne sais pas pourquoi ce film m’a vraiment fait  penser à cette respectable décision de justice qui est venue annuler le licenciement de l’employée voilée de la crèche. Suzanne ne voulait pas porter le voile ; l’employée veut porter le voile. A chacune sa liberté qui se doit d’être respectée. Le motif invoqué pour dénoncer le voile de la musulmane est aussi hypocrite que celui invoqué pour enfermer Suzanne ! 

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