Le fameux slogan d’une marque d’eau minérale s’enrichit d’un vocable dans la capitale du Nigeria, Lagos : « buvez, éliminez, électrifiez ». Cela grâce à l’électrolyse de l’urine. Des adolescentes d’une école de Lagos avaient, début novembre dernier, réussi à produire six heures de courant électrique en décomposant un litre d’urine (pas forcément de mérinos). Ce générateur artisanal serait, paraît-il, prometteur et susceptible de réduire la consommation de fuel dans des régions où l’électrification n’est que partielle ou inexistante. Cela reste surtout à vérifier et évaluer très soigneusement.

Tout d’abord, une remarque préliminaire : je ne comprends plus trop bien comment fonctionnent les agences de presse.

Récemment, une « découverte » anglaise remontant à environ deux ans trouvait enfin place dans les colonnes de la presse française : un chercheur originaire d’Afrique a réussi à convaincre divers hôpitaux de cicatriser des plaies avec du sucre en poudre.

Notez que dans certains autres cas le miel convient et que l’argile, fort peu chère, est aussi employée d’assez longue date dans des hôpitaux africains (et français) pour certains types de traitement.

Là, cette histoire de générateur fonctionnant à l’urine, dont la presse locale nigériane puis anglophone s’était fait largement l’écho tout début novembre dernier, finit par atterrir depuis hier sur les sites du Monde, du Parisien et d’autres titres, nationaux et régionaux. C’est semble-t-il une dépêche AFP en langue française qui a déclenché la reprise de cette info, certes sympathique.

Comment cela marche ?

Tout d’abord, ce n’est pas qu’une, mais quatre écolières (trois de 14 ans, une de 15 ans) qui se sont livrés à l’expérience.

Elle consiste, détaille la presse anglophone de l’époque, à séparer, par électrolyse, les composants de l’urine pour obtenir du nitrogène, de l’hydrogène (et bien sûr de l’eau et des sels divers). L’hydrogène est purifié (dans un filtre à eau de type purificateur pour chaudière) puis insufflé pour traverser du borax et le générateur d’électricité fonctionne à l’hydrogène.

L’idée de soumettre l’urée à un processus d’électrolyse est issue des travaux d’un laboratoire américain (celui de Russ College dans l’Ohio) avec pour objectif de faire fonctionner des batteries à l’urée.

Cette histoire de collégiennes serait peut-être restée confidentielle si le festival de documentaires Maker Faire Africa ne lui avait pas conféré une assez retentissante publicité.

Petit « détail », il est certes dit qu’un litre d’urine génère de quoi faire fonctionner un générateur d’assez bonne taille pendant six heures, mais il semble que ce dernier n’alimente qu’une seule ampoule. Autre « détail », l’électrolyse suppose un courant électrique. De plus, la puissance de l’ampoule électrique n’est nulle part mentionnée.

Du spectacle ?

Mais bon, quatre grandes gamines en uniformes d’écolières, c’est touchant. On ne dit rien du rendement du dispositif, des possibilités de le généraliser. Or, dès 2009 (voire auparavant), d’autres expériences du même type avaient été réalisées (consignées dans Urea electrolysis: direct hydrogen production for urine, dû au laboratoire du Russ College).

En fait, sans les sels contenus dans l’urine, l’opération ne produirait pas grand’ chose et obtenir de l’hydrogène avec de l’eau salée semble tout aussi prometteur.

Pissez, téléphonez serait sans doute plus adapté pour « cadrer » le procédé. Wire avait rapporté l’opinion d’un professeur de l’université de Manchester, Oliver Warr, doutant très fort du rendement du procédé. En sus, il pointait que l’urine ou l’eau salée ainsi traitée dégage de l’acide qui peut endommager le générateur.

Mais quelle conclusion un titre réputé sérieux comme Le Midi libre tirait de tout cela ? « Dans une mégapole d’au moins 15 millions d’habitants qui vivent au rythme des coupures d’électricité, le projet, encore au stade expérimental, étonne et suscite des espoirs. ». Et se fondant sur la dépêche, le titre méridional conclut qu’une habitante de Lagos « a pu allumer toutes les lampes, sa télévision et un ventilateur ». Admettons. Mais attendons de voir si l’ensemble a bien tenu six heures, et si l’électricité nécessaire au processus est bien largement plus faible que celle produite, et attendons aussi l’avis des producteurs de générateurs. Ce serait plus prudent avant que vous ne commenciez à stocker votre urine…

L’histoire a permis à l’AFP de produire une vidéo… laquelle a permis à de nombreux sites de vous faire visionner une publicité avant d’accéder au contenu informatif. Comme quoi, certes l’Afrique produit de très bonnes idées. Rentables pour les Africaines et les Africains ? Là, c’est une toute autre histoire…