Plutôt hostile au mariage – davantage par principe que de manière militante – je n’étais pas trop, voici peu, favorable au mariage pour tous. D’autant que, après tout, cela ne me concerne pas (ou pas encore… jusqu’à ce que, peut-être, l’une ou l’un de mes petits-enfants…). Mais l’assez forte mobilisation de ses opposantes et détracteurs m’a presque fait adhérer sans trop de restriction aux arguments de Virginie Despentes (pas trop favorable initialement, mais que ces levées de boucliers moralistes a fini par faire bondir). Patatras ! Voici qu’Adrien Abauzit, de Boulevard Voltaire, me fait retourner casaque : l’adoption du mariage pour tous contribuera à renforcer une homophobie haineuse, voire fanatisée, si ce n’est impitoyable. De ma faute d’idiot utile à des groupes de pression aussi fanatisés, mais homophiles ?
Adolescent, « les pédés », j’adorais : de loin. Deux homosexuels égalaient deux nanas plus accessibles, disponibles. En plus, je pouvais conserver mes illusions en cas de râteau, possiblement temporaire. À l’époque, aucune n’aurait osé me renvoyer dans mes cordes en s’avouant « gouine ». « N’insiste pas, je suis une gousse endurcie ! » : jamais entendu à l’époque.
À présent, je vois cela d’un peu moins loin. L’homosexualité masculine ou féminine m’est moins étrange, du fait de la fréquentation de copains, d’amies, voisines, de rencontres, de lectures, &c. Je veux fort bien leur reconnaître des droits, égaux aux miens, dont celui à l’indifférence. En sus, depuis les « bi » jusqu’aux autres « gendré·e·s diversement », je constate que les clichés, les présupposés, voire préjugés, ne peuvent absolument pas s’appliquer uniformément. Il y a de tout dans cet, ou plutôt ces, univers-là.
Bah, qu’elles et ils vivent en paix et comme bon leur semble, leur plait… quitte d’ailleurs à varier les plaisirs, comme certain·e·s effectuant des allers-retours. Mais j’admets ne pas avoir fouillé ces diverses questions : tant d’autres choses m’intéressent !
Quel talent !
C’est pourquoi j’éprouve comme un soupçon d’envie en lisant Adrien Abauzit, de Boulevard Voltaire, qui assène prestement, de manière enlevée, emportant l’adhésion à première (superficielle) lecture, que le mariage pour tous équivaut à une « Victoire pour le lobby gay, défaite pour les homos » (c’est le titre, c’est torché par après en huit courts paragraphes bien sentis, « efficaces »).
C’est vrai quoi : synthétique en diable. Au point de faire croire que son opinion est le fruit d’une analyse fouillée, d’une énorme documentation, d’un fastidieux travail de terrain de fort longue date, &c. Perso, je n’y parviens pas. Trop le nez sur les détails, les variances, les subtilités : incapable – sauf à me reprocher mauvaise foi et imposture, et devoir ciseler mon texte trop longtemps – de brosser de telles aquarelles en quelques tours de main. Emballez, c’est pesé, la cause est entendue.
34 courtes lignes… Là, j’ai déjà largement dépassé le quota.
La thèse, qui ne supporte pas d’antithèse, superflue, c’est que le « lobby gay », ultra-minoritaire, celui des associations LGBT (lesb, gay, bi, trans), va l’emporter, au prix d’une « forte augmentation de l’homophobie ». Car, c’est bien connu, la majorité, immuable, forcément immuable, monolithique, face à une minorité, quelle qu’elle soit (cruciverbistes ? naturistes ? supporteurs des clubs de foot ? amateurs de séries télévisées et de télé-réalité ?), ne la tolère que si celle-ci vit heureuse, car cachée, peu ostensible.
Ainsi, par exemple, sans doute, des protestants en terres catholiques, et inversement, des papistes en milieux réformés, à la Renaissance ? Quelle idée aussi de réclamer la liberté de pensée, d’expression religieuse : sainte Blandine, odieuse provocatrice, ne pouvait-elle pas tranquillement abjurer ?
« Qu’une minorité ne fasse pas naître l’ombre d’un soupçon et la voilà tranquille ». Les homos seraient comme les sorcières de Salem qui ont eu la malchance d’éveiller des soupçons. Conclusion : « victoire totale pour le lobby LGBT. Mais victoire à la Pyrrhus pour les homosexuels ». Qui vont morfler grave !
Comme les filles-mères, dis donc, naguère ! Les divorcés ! Les buveurs d’eau dans les terroirs viticoles ! Les négligents ayant oublié de nouer leur cravate et d’enfiler leurs manches de lustrine ! Et je ne vous parle même pas des grécoromains préférant la compagnie de femmes à celle de jeunes éphèbes. Ou des abolitionnistes de la peine capitale, des coloniaux épousant des congaïs (des Tonkiki-Tonkiki-Tonkinoises), de ceux engrossant des négrillonnes, fornicateurs faisant fi de la pureté de la race.
D’une part, je n’ai pas constaté de forte croissance des actes homophobes dans les pays ayant admis le mariage pour tous. Ou, du moins, ce n’est pas vraiment corrélé partout de manière identique et dans des proportions égales (mais pourquoi donc tant tenir à entrer dans de tels détails ? cela nuit à la démonstration comme à la réfutation).
Tenez, l’argument inverse : la mobilisation contre le mariage pour tous va assurément pousser des ados, rien que pour embêter leurs parents, à tenter des expériences homosexuelles qu’elles ou ils assumeront mordicus, s’enferrant dans des relations qui ne leur conviennent fondamentalement guère !
Si je vous le dis, c’est que c’est sûr, que cela a été constaté, statistiques à l’appui, partout, dans nos sociétés dites « occidentales » ou, récemment, le mariage pour tous a suscité de fortes oppositions. L’ennui, c’est que je n’en sais fichtrement rien.
Et je ne vous dis pas les descentes de hordes hurlantes dans le Castro, le quartier gay de San Francisco, les incendies et lynchages à Sitges et autres enclaves – désormais rasées, bien sûr ! – où s’affichaient homosexuels et lesbiennes ! On voit bien ce qu’à engendré la prétention à se faire remarquer.
C’est simple, les « pédés cuirs » (vous savez, avec les tatouages et les gros biscotos), les « bears » (les vieux barbus ventrus) vont raser les murs. Hou ! Hou ! Tirs à vue. Incapables, les pôvrets, de se défendre car ployant sous le nombre, la foule furieuse !
Retours aux sources
Dans les commentaires suivant l’article d’Abauzit, j’ai bien apprécié celui d’Osbern (un pseudo) qui consigne : « Jusqu’à saint Louis, les boîtes à partouzes (bains-restaurants) étaient tenus par des moines ou des sœurs qui n’hésitaient pas à mettre la main à la pâte… ». Non, toutes les étuves, où, dans le plus simples appareil, hommes et femmes se lavaient, conversaient, buvaient, et forniquaient, n’étaient pas majoritairement tenues par des congrégations religieuses. Nonnes et moines ne faisaient pas toutes et tous la vie qu’on leur prête dans les chansons. Et les établissements propriétés du clergé étaient parfois concédés à des laïcs, ou aussi à certains clercs, tonsurés ou non. C’était mieux avant ! Retour aux sources, aux racines, à la France éternelle. Oui, mais, laquelle ? Celle des mignons, fameux bretteurs, d’Henri III ?
Les « bougres » (homosexuels, « dépravés », &c.) furent tolérés, puis moins, puis peu, et les revoilà donc plutôt mieux admis à présent qu’au siècle dernier. Mais le mariage pour tous va assurément, c’est scientifique (en tout cas, on suppose en le lisant), selon Adrien Abauzit, entraîner un formidable retour en arrière, un terrible baklash.
Ben, comme à propos d’autres évolutions sociales, tant que cela n’a pas été essayé, il est bien difficile de préjuger des conséquences. Un peu comme pour les chemins de fer censés être, à l’origine, si nocifs pour la santé physique et mentale. Non ?
Attendez-vous donc à constater que les commères viendront, sur les parvis des hôtels de ville, déverser les contenus de leurs vases d’aisance et pots de chambre sur les couples gays et lesbiens et leurs invités. Adrien Abauzit tentera, en vain, de leur faire un rempart de son corps, de s’interposer.
Les protéger d’eux-mêmes !
Non, ne caricaturons pas : il est effectivement prévisible qu’une certaine crispation soit constatée, surtout si le projet de mariage pour tous n’était pas du tout amendé, que, ça et là, ce qu’envisage Adrien Abauzit puisse survenir. Au moins sur une période au terme indéterminé. Selon des modalités incertaines.
Il en serait sans doute de même de l’instauration du vote des étrangers aux élections locales : des réactions sont effectivement constatées, par exemple au Royaume-Uni ou en Belgique, deux royaumes qui ne sont pas déjà nonobstant tout à fait à feu et à sang.
Sur cette seconde question, par ailleurs, Adrien Abauzit considère qu’un tel vote aura valeur « d’électrochoc ». Rien que cela ! Admettons. Reste à en déterminer l’intensité. Autant que celui de « Monsieur 100 000 volts » (vous savez, l’effréné trublion qui faisait casser les fauteuils des salles où il se produisait : Gilbert Bécaud, qui interprétait des textes de l’anarcho-terroriste Pierre Delanoë ! ou encore ce zazou de Jean Sablon qui osait, « chanteur sans voix », avoir recours… au microphone !), au moins, si ce n’est pire !
Je dois être resté un ado attardé : rien que pour emm… Adrien Abauzit, si ces questions donnaient lieu à référendum, je serais très fortement tenté de voter pour. Ce serait stupide : il n’est évidemment animé que par sa sympathie à l’égard des homosexuel·le·s et sa xénophilie, son souci qu’étrangers et gays ou lesbiennes ne soient pas exposés à des désagréments. Bah, ce sont en fait encore un peu de grands enfants, il convient de les protéger contre eux-mêmes ! Tant de sollicitude ne mérite pas la moindre ironie…
[b] »Un peu comme pour les chemins de fer qui étaient censés être, à l’origine, si nocifs » aujourd’hui nous le savons pour le portefeuille, la promiscuité, le bruit, l’obligation de monter et descendre dans des gares éloignées des lieux que l’on souhaiterait, des trajets ennuyeux, des horaires figés et j’en passe. L’homoskecsuallité? je n’en sais rien … mais je doute docteur, je doute …[/b]