Il n’est de champagne que de Champagne (la province française, et même pas à Champagne en Suisse) et la Catalogne, l’une des plus importantes régions productrices de vins effervescents (avec les vallées californiennes de Napa, Sonoma, et d’autres régions non européennes principalement), voit les ventes de ses cavas menacées au moins dans le reste de l’Espagne. À une semaine des élections catalanes, tout semble bon pour tenter de contenir des aspirations indépendantistes : accusations (démenties) d’évasion fiscale du couple à la présidence de la Generalitat, et bouderie des consommateurs du reste de l’Espagne qui préfèrent des cavas andalous, des espumos d’Extramadure, de Castille ou du Léon. 

Artur Mas, le président de la Generalitat catalane a dû démentir ce dimanche que lui-même ou son épouse détenaient des comptes bancaires secrets en Suisse ou au Lichstentein, de même que Jordi Pujol, l’un de ses prédécesseurs, a de même fait état de « calomnies » du même type.
Selon une information parue hier samedi dans El Mundo, la famille Pujol aurait planqué pas moins de 137 millions d’euros à Genève. « Mensonges » et action en diffamation pour graves injures et calomnie de la part de Convergencia Democratica de Catalunya (CDC) contre le journal.
Lequel aurait bénéficié d’une fuite selon laquelle les contributions des entreprises ayant soutenu le projet de rénovation du Palais de la Musique et sa privatisation via une fondation (Palacio ou Palau de la Musica Catalana, inscrit au patrimoine de l’Unesco) fileraient vers les comptes personnels de dirigeants indépendantistes.
Entre 25 et 31 millions d’euros destinés à l’Orféo catalan se seraient évaporés.
Si c’était vrai, on leur souhaite de ne pas avoir confié des fonds à GPF SA, où officiaient les frères El Maleh (affaires Lamblin-El Maleh d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent).

Pour le moment, la presse suisse reste muette et seul le catalan français L’Indépendant a repris, hors d’Espagne, que les familles des deux dirigeants détiendraient cinq comptes (ceux du père d’Artur Mas et de son fils, ceux de Jordi Pujol, de son épouse Marta et de l’un de leurs fils) en Suisse ou au Liechtenstein.

El Mundo « récidive » puisque, le 24 novembre 2010, quelques jours avant les précédentes élections remportées par Artur Mas, le quotidien avait déjà fait état d’évasion fiscale et de commissions occultes placées par le père de l’actuel président sur des comptes à l’étranger.

Commentaire hasardeux

Rafael Hernando, l’un de leurs opposants les plus en vue, a risqué un commentaire sur Twitter : les patriotes catalans ne cessent de dirent que l’Espagne les vole, mais « ils amassent des fortunes dans des banques suisses et non à La Caixa » (la banque catalane la plus connue).

Mas a répliqué que sa famille ne détenait que deux comptes bancaires, tous deux en Catalogne, et qu’il n’en dévoilerait les intitulés et numéros que « pour recueillir des dons ». Il a impliqué le ministre de l’Intérieur, Jorge Fernandez, qui lui aurait assuré ne pas être au courant des faits rapportés par El Mundo.

On se souvient que les attentats du 11 mars 2004 dans les gares de Madrid (191 morts) avaient été un peu vite attribués à l’ETA basque par le ministre de l’Intérieur de l’époque. José Maria Aznar, alors Premier ministre, à trois jours des élections générales, reprenait cette hypothèse, ce qui contribua à lui coûter une défaite dans les urnes. Les faits furent par la suite imputés à des islamistes n’appartenant pas à une organisation connue au préalable.

Boycott ?

Les accusations d’évasion fiscale feront peut-être long feu mais les partisans de l’indépendance catalane pourraient être sensibles aux menaces de boycott des produits catalans (financiers, bancaires et autres) dans le reste de l’Espagne. La menace a été ouvertement suggérée, voire parfois brandie.

Déjà en 2005, Barcelone critiquait la candidature madrilène aux Jeux olympiques, ce qui avait provoqué une nette désaffection des produits catalans vendus en Espagne. En est-il de même à présent ? Un indice est donné par les ventes en gros hors Catalogne de Freixenet et Cordoniu. Cordoniu détient des vignobles essentiellement en Catalogne, comme Freixenet, et tout comme les maisons champenoises rechignent à vendre en France leurs crus produits à l’étranger, ces maisons catalanes privilégient chez elles et en Espagne leurs productions locales.

Or, alors que même les cavas andalous à base d’oranges et non de raisins voient leurs ventes croître en cette fin d’année propice – malgré la crise économique – à faire sauter des bouchons, de même que celles d’effervescents produits hors Catalogne, les expéditions catalanes de cavas seraient (le conditionnel s’impose encore) exposées à un certain fléchissement, compensé par les ventes hors Espagne (et Catalogne ibérique).

Freixenet et Cordoniu démentent, mais, toujours selon El Mundo, d’autres maisons de moindre importance tiennent la menace latente pour sérieuse. Xavier Gramona, de la maison homonyme, en a fait part ouvertement à la radio catalane. « Nous sommes en première ligne et en Espagne, nous pâtissons d’une attitude très agressive ». Les ventes à Madrid seraient catastrophiques : « la situation y est dramatique », a estimé Xavier Gramona.

Les caves espagnols se rebiffent

Il est allé plus loin en estimant très significative cette désaffection qui pourrait toucher tous les produits catalans. La Caixa, banque catalane, est très implantée dans le reste de l’Espagne et elle symbolise, avec les cavas, ses origines (en espagnol, caisse d’épargne se dit caja de ahorros, et caixa d’estalvis en catalan).

Les cavas d’Almendralejo, en Extramadure, seraient les premiers bénéficiaires, et le burnaj andaloux, élaboré à partir d’oranges, plus ou moins selon des méthodes inspirées de la champenoise, ainsi que la dénomination de Valence Utiel-Requena, parmi d’autres, auraient les faveurs prioritaires des acheteurs espagnols.
Pour bien marquer le coup, El Mundo liste une bonne demi-douzaine de maisons ou d’appellations non-catalanes… À Valence, caisses et cartons d’Utiel-Requena seraient commandés par de nouveaux clients qui veulent déserter les cavas catalans.

La crise économique joue aussi : en-dessous de neuf euros, les cavas de Catalogne, dit-on, ne valent pas ceux d’autres régions, commercialisés moins cher en général. Le cava catalan risque donc de faire pschitt comme un vulgaire mousseux… au sud de Saragosse, Burgos, Léon et Ourense.

Sondages contradictoires

Selon divers sondage, la CiU (Convergencia i Unio), la formation d’Artur Mas, ne devrait pas l’emporter le 25 prochain. Les 62 actuels députés se retrouveraient entre 60 et 64 au mieux, ne pouvant former seuls la majorité nécessaire pour envisager un référendum.
Les Espagnols résidant en Catalogne s’abstenaient d’aller dans les isoloirs, mais ils peuvent voter et s’opposer cette fois. Certes, parmi eux, peuvent se trouver des Galiciens ou des Basques favorables à l’idée indépendantiste, mais guère enclins à voter Mas et ainsi approuver sa gestion. Lequel Mas a d’ailleurs admis que former une majorité lui semblait délicat. Il veut obtenir un vote exceptionnel, marginalisant les socialistes, mais n’est plus vraiment sûr lui-même de l’emporter au point d’avoir les mains libres.
Ces sondages récents contredisent d’autres, plus anciens, donnant une majorité à la formation de Mas, mais ils sont antérieurs aux révélations du Mundo. Ils marquent cependant un revirement ou l’usure de la CiU, qui est accusée de mettre en avant ses revendications d’autonomie pour masquer ses échecs et l’impact de ses mesures d’austérité.

De plus, selon une partie de la presse, El Mundo n’aurait pas dit son dernier mot sur Jordi Pujol, son épouse Marta Ferrusola et leurs fils Jordi et Oriol. Leur banque suisse serait Lombard Odier et proviendraient d’une commission de quatre pour cent sur l’attribution des tranches de travaux du Palais de la Musique. La famille aurait aussi investi aux États-Unis, en Argentine et au Mexique (dont un complexe résidentiel et hôtelier à Acapulco qui évoque fort les investissements de la famille de Michèle Alliot-Marie dans la Tunisie de Ben Ali).

Selon El Semanal Digital, El Mundo aurait encore des billes et d’autres « munitions ». En dépit des dénégations de Mas, un doute diffus subsiste. Le soupçon d’évasion fiscale intervient alors que le Trésor public espagnol vient d’interdire tout règlement en espèces d’une valeur supérieure à 2 500 euros. En cas de dépassement, le fisc pourra imposer des amendes tant au créditeur qu’au débiteur. Les contrôles renforcés du fisc ont révélé l’ampleur de la fraude fiscale globale en Espagne. Elle serait de l’ordre de cinq milliards d’euros pour la seule Catalogne.

Aux inquiétudes des industriels s’ajoute des divergences au sein de la formation. Convergencia est pour Mas, Unio, avec Antoni Dura Lleida, plus proche des milieux d’affaires, est très réticent à engager la Catalogne vers l’indépendance. Planeta, un important éditeur basé en Catalogne, a fait savoir qu’il se délocaliserait et que pour nombre de multinationales, Barcelone est stratégique en tant que porte de l’Espagne, et non par elle-même.

It’s the economy, stupid!

En fait, selon des calculs, même si l’Union européenne ne se rangeait pas du côté du royaume d’Espagne, obligeant la Catalogne a battre monnaie, en cas de sécession, la Catalogne pourrait perdre 9 % de son PIB. L’opinion catalane est pour une très large autonomie, voire l’indépendance, mais dans le cadre de l’Union européenne.

Mariano Rajoy a invectivé Artur Mas : ce dernier risque « de ne pas être pris au sérieux ». Il l’a tancé sur le mode « tu es bien trop petit mon ami » (dans un monde de grandes puissances) et lui a reproché d’avoir endommagé l’image internationale de l’Espagne. Le PSOE a de même estimé que le risque d’une Catalogne marginalisée ne pouvait être écarté. Le PP (au pouvoir à Madrid) catalan se positionne comme « le seul parti pouvant empêcher le séparatisme catalan ».