Lord McAlpine, cité à répétition sur des sites ou des réseaux sociaux comme étant l’un des divers pédophiles ayant abusé de jeunes garçons placés dans une institution du nord du Pays de Galles, a crevé l’abcès. Non, il y a méprise, ce n’est pas lui le conservateur haut placé en cause. Du coup, même si son nom n’avait été cité par aucun média considéré « responsable », sauf pour réfuter implicitement qu’il soit impliqué (dans le cas du Guardian), la BBC et l’ensemble de la presse sont sur la sellette. 43 députés ou lords conservateurs demandent que les médias soient davantage responsabilisés. Ce en établissant une fumeuse norme lorsqu’il s’agit de traiter d’informations d’intérêt public.
Ne revenons pas sur le scandale Jimmy Savile et ses suites qui ont été largement exposés sur Come4News. Après le défunt présentateur de la BBC, c’est assurément Peter Morrison, lui aussi décédé, ex-membre du cabinet de Margaret Thatcher, dénoncé par l’une de ses ministres, Edwina Currie, dans ses mémoires publiées en 2002 tel un pédophile, ainsi que l’ancien Premier ministre, feu Edward « Ted » Heath, qui sont considérés avoir participé à des réseaux de ballets bleus ou roses.
Mais aussi au moins trois ou quatre membres éminents du parti conservateur, dont l’identité reste inconnue, qu’un présentateur d’ITV, lors de l’émission This Morning, avait dénoncés, sous la forme d’une liste tendue à l’actuel Premier ministre, David Cameron, qui en pris connaissance.
L’une des victimes, comme l’avait révélé The Guardian, avait admis s’être trompé sur l’identité de son agresseur. D’une part, il ne s’agissait pas de lui, mais d’un homonyme, décédé, lui aussi.
Mais dont la ressemblance avec une photographie de l’agresseur est très loin d’être établie, alors que la police l’avait présentée à une victime en suggérant un nom.
Comme le résume le Daily Mail, rien n’indique que ce parent ait jamais abusé de jeunes enfants.
Mais ces tergiversations, contradictions, embrouillaminis, relatives à des cas particuliers, ne doivent pas encombrer l’appréciation du phénomène général.
Il n’y avait semble-t-il pas de contacts étroits entre Jimmy Savile et consorts et les quatre ou cinq personnalités du parti conservateur suspectées restant anonymes, même si des rencontres ou contacts formels aient pu se produire : Jimmy Savile était un peu partout, et adorait se faire photographier en compagnie d’officiels, de membres de la famille royale, de dignitaires et même chefs d’État étrangers.
De même, dans l’affaire Dutroux, en Belgique, il a été fantasmé qu’un réseau étendu, voire démesuré, forcément couvert par la police et la justice, avait des ramifications jusqu’aux plus hautes sphères du royaume.
Taire, entretenir, réfuter ?
Arrive un moment où, comme dans l’affaire DSK, naguère avec celle de la rumeur d’Orléans, les médias se voient contraints de faire état au moins des faits, si ce n’est de communiquer des noms, pour s’éviter l’accusation de couvrir, dissimuler… Et ce n’est guère la première fois, ni très certainement la dernière, qu’il leur sera aussi reproché d’entretenir une rumeur, de déraper.
Définir l’intérêt public et celui des personnes pouvant être injustement victimes de rumeurs est l’une des tâches les plus difficiles qu’il soit, et l’illusion de critères immuables, constants (admis par tous), tranchés, est l’une des plus pernicieuses.
Laisser courir la rumeur sans en faire état, pour la réfuter si elle est infondée, l’étayer et l’exposer si cela se doit, c’est tout autant l’alimenter : on le voit, l’a vu, le verra à propos de thèses complotistes, conspirationnistes. De toute façon, faire ou ne rien faire, ce sera toujours soit trop tôt, soit trop tard pour des protagonistes, qu’ils soient coupables, victimes, calomniateurs mal intentionnés, naïfs dupés mais sincères, ou, pire, injustement accusés.
Ou il est estimé qu’il en est trop ou pas assez fait. C’est bien aussi ce qui s’est produit et se prolonge avec les affaires Savile et le présumé réseau (unique, ramifié, scindé ?) de conservateurs pédophiles haut placés. La BBC et les médias ont agi trop tard, et il est à présent suggéré qu’ils en font trop, trop rapidement, mettant des « bœufs » innocents dans la charrette des vrais coupables.
La réputation de la BBC serait à présent fortement entachée. Elle aurait freiné trop fort, puis trop accéléré.
Balzac, observateur, voire scrutateur des médias, en tout cas expert en la matière, avait beau jeu de dire qu’il allait « droit au nœud » et exigeait « dénouons ou coupons ! ». Il ne se référait qu’à des calomniateurs, des médisants, des abusés ou abuseurs identifiés. Le « nœud gordien qui ne se dénoue pas et que le génie tranche » (encore Balzac) attend encore, dans le cas du traitement de la rumeur par les médias, son « bon génie ». Il peut rester inextricable fort longtemps, et intact.
Bien sûr, une rumeur peut en chasser une autre, tout comme de faux événements, ou des déclarations, parfois concoctés par des agences de com’, des conseils en image, peuvent reléguer de vraies questions ou des débats au second, troisième plan, puis à l’oubli.
Lord McAlpine était largement, fréquemment mentionné, lourdement incriminé sur des sites (hors ceux des médias) et le voici estimant dans un communiqué qu’il ne peut tolérer que les médias « le diffament » en ayant recours à des « sous-entendus » (“defaming me only by innuendo”). C’est se faire trop d’honneur : il était loin d’être la seule personnalité haut placée du temps des gouvernements Thatcher.
Mais il a raison, le risque existe qu’un rédacteur en chef soit « bientôt l’objet de pressions conduisant à qu’il se risque à me dénoncer. ». Il se réserve cependant le droit d’entamer d’éventuelles poursuites, et il est fort justifié d’adresser cet avertissement. En fait, le seul reproche qu’on puisse adresser aux médias c’est d’avoir mentionné un ancien haut responsable politique et gouvernemental « vivant à l’étranger ». Lord McAlpine réside en Italie. Il n’est pas le seul à s’être retiré sur le continent, voire sur d’autres.
Il est même évident – pour qui connaît cette profession – que le choix de faire état d’une résidence à l’étranger découlait d’une nécessaire prudence. Pointer l’Italie aurait été sans doute un impair grave. Faudrait-il aussi à présent signaler que, dans le dossier des séances de bunga-bunga du sieur Berlusconi, jamais le nom de Lord McAlpine n’est apparu ? On en fait toujours trop ou pas assez.
Voici donc le Bureau of Investigative Journalism contraint, pour avoir collaboré avec la BBC, d’annoncer que « des mesures seront prises contre les responsables ». Mais de quoi donc, très précisément, au juste ?
D’avoir accordé confiance aux impressions d’un informateur, en l’occurrence la victime, Steven Messham, qui avait estimé qu’une personne dotée d’une limousine et d’un chauffeur aurait pu être une personnalité politique ? Puis, postérieurement à la diffusion, de se rétracter ? N’oublions pas que le nom de Lord McAlpine lui avait été suggéré « aux débuts des années 1990 » par la… police.
Il avait été tenté de joindre Lord McAlpine, en vain… Il est hors de doute qu’Angus Stickler, du Bureau, pour le compte de la BBC, aurait fait état de dénégations. En fait, ce pair d’Angleterre avait été joint auparavant par Michael Crick, de Channel 4 News, et il lui avait été répondu non pas que l’histoire était sans aucun fondement mais qu’une action judiciaire serait intentée si le nom du suspecté – à tort donc, comme il le communique et l’atteste à présent – était mentionné par la BBC.
En revanche, sur Twitter, George Monbiot, du Guardian, s’était avancé à suggérer le nom de Lord McAlpine. Une « stupidité », admet-il. Comme moi-même, qui a trouvé maintes fois le nom du pair sur l’Internet, mais ne suis pas abonné à Twitter, il s’était cependant bien gardé d’en faire état dans un article (et on ne trouve pas ce nom dans « Premier ministre : voici les noms de quatre pédophiles de votre parti »).
Tory Pædo Cover-up
Le Daily Star avait fait état d’un « Tory pædo cover-up ». C’est ce qui ressort de la plupart des entretiens que les confrères britanniques ont pu avoir avec des victimes (400 au moins pour le volet Savile, aussi des dizaines, voire des centaines, pour d’autres volets). « On le leur a bien dit, mais ils n’ont pas voulu le préciser… », pourraient déclarer par la suite les personnes interrogées.
Là, en France, la presse donnait un « Henri C. » impliqué dans une affaire de pédophilie. Et sur Come4News, nous indiquons qu’un « Alain G. », inspecteur des impôts, se livrait à du racket.
À prendre deux patronymes très, très courants, un peu au hasard, que n’entendrions-nous pas si ce C. désignait un Cohen, un Craciun (un Rrom, forcément un Rrom, alors que ce patronyme est fort courant aussi hors des communautés tsiganes roumaines), ce G. un Ghannouchi : nous serions coupables, forcément coupables, de vouloir taire une appartenance. Nomme-t-on, indiquons-nous les patronymes ? Nous stigmatisons des communautés ! Des nationalités !
Faut-il à chaque fois faire une note de bas de page pour signaler que les Jean Martin et les Paul Dupont sont très impliqués dans des affaires, du fait d’homonymies usuelles, et qu’aucun groupe social ou presque (on le voit avec les églises, dans des affaires d’escroqueries comme de pédophilie) n’est épargné par la délinquance ? Inextricable.
Qui doit décider, et surtout, comment ?
À vouloir exiger tout et son contraire, l’opinion, changeante, qui influe aussi sur les décisions légales prises sous sa pression, elles aussi fluctuantes, révisables, doit-elle dicter, à cinquante pour cent des voix plus une, l’attitude que les médias doivent adopter ?
Que répondre ? L’éditorial du Daily Mail conclut que si des dispositions trop contraignantes venaient à être adoptées, « la Grande-Bretagne s’engagerait sur cette voie à grands risques et périls. ». Car « le public a le droit de savoir. ». Ah, c’est afin de pouvoir vendre davantage de papiers et faire grimper l’audimat ! Certes, mais pas que… C’est aussi pour ne pas paraître muselés.
La concurrence – réelle, visiteurs et lectrices de cette page, de ce site, en apportent la démonstration –, ou peut-être plutôt la complémentarité de l’Internet, fait que les rumeurs se propagent encore plus rapidement que par le passé.
La presse en est à la fois consternée et soulagée : les rumeurs, accusations fondées ou non, sont plus tôt décelables mais s’avèrent très dures à contingenter lorsqu’elles sont sans fondement.
« On » fait avec… Tant le public que les journalistes. Tentons de faire au mieux, sans déraper. Mais autant le dire tout cru : tout dérapage n’est pas toujours, et à divers degrés, évitable. Vouloir assurer du contraire serait très présomptueux.
Ces affaires récentes, au Royaume-Uni, tournent au procès des médias. Peu inhabituel. Contrefeu ?