Très bonne réaction du sarkozyste grand teint Christian Estrosi à propos des débats de société (ou de dîners en ville) qui donnent « l’impression de vouloir détourner l’attention des Français par rapport à la réalité qui pèse sur notre économie et la situation sociale en France. ». Une situation certes héritée, mais le souligner ne ferait pas avancer le débat sur l’existence (ou non) de solutions. Mais d’autres UMP, tout aussi incapables de proposer des solutions viables (sauf, bien sûr, abaisser le coût du travail et exonérer les patrons de l’impôt, solutions qui ont fait leurs preuves ?), se délectent de ces mêmes sujets : droit de vote des étrangers aux élections locales, salles de shoot, mariage des homosexuel·les, manuels scolaires « gendrés », &c. Cela fait cacophonique…

Ah, qu’il est loin le « bon » temps où tout élu ou personnalité de l’UMP attendait sagement ses éléments de langage distribués par une cellule élyséenne de réclame et propagande. À toi une outrance mesurée, à toi une réflexion frappée du coin du bon sens, à toi le dièse, à toi le bémol. Mais la note était donnée, le la respecté.

Voici donc l’ex-ministre de l’Industrie Christian Estrosi dont l’éclatant bilan saute à la figure des employés de PSA, Sanofi, Electrolux et autres, qui, sans concertation préalable avec Copé ou Fillon, rejoint à peu près Jean-Christophe Cambadélis (PS), à propos de la mention de l’orientation sexuelle de personnages historiques ou d’auteurs dans certains manuels scolaires.
Mais si le second juge l’initiative superflue, le premier estime qu’il faut préserver la conscience «&nbps;des enfants » de tout cela.

C’est faire dire à la ministre ce qu’elle n’a pas déclaré, comme le fait Didier Maïsto, de Lyon Capitale, qui lui prête l’intention de faire du prosélytisme pour établir que « le gène de la créativité est tout entier contenu dans le slip, voire dans la culotte ».
Au fait, pourquoi ce « voire »&nsp;? Circulez, il n’y a rien à y voir ? Voire… (allez, un édito, cela s’écrit souvent trop vite, et j’abuse aussi des « voire », souvent superflus).

Mais si je ne suis pas spécialiste des llittératures turcophone ou sinophone chinoise, je n’en considère pas moins qu’il y a besoin d’examen sous les dessus : nombre d’eunuques étaient de fins lettrés. Les eunuques étaient d’ailleurs fort présents dans les cours des très chrétiens empereurs byzantins. À cet égard, pourquoi ne ferait-on pas fi d’autres appartenances, pourquoi donc relever qu’Ancillon (auteur du Traité des eunuques, 1707), était un protestant ? 

C’est sûr qu’en maternelle, les comptines de Rimbaud reprises en ritournelles seront ponctuées d’une question de la maîtresse « et c’était qui Rimbaud ? » qu’à l’unisson les chères têtes blondes ponctueront d’un tonitruant « un homosexuel ! ». Telle est la vision, sans doute, de Bruno Beschizza, secrétaire à je ne sais trop quoi à l’UMP.

Effectivement, on ne voit pas pourquoi Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, a jugé utile de suggérer que certains manuels scolaires pourraient mentionner les orientations hétérosexuelles ou LBGT (lesbigaytrans) de tel auteur, tel souverain, telle musicienne, telle ministre ou autre. Il lui suffisait d’en toucher discrètement un mot à son collègue de l’Éducation.

Pourquoi pas ? 

Un céleb’ de mon quartier, homosexuel notoire mais tout à fait discret (rien dans ses dires, son apparence, son comportement… ne le proclame), se contrefout du mariage des homos, de la GayPride, &c. Il n’aborde jamais ces sujets avec les abruties ou les imbéciles, et peut, à l’occasion, se résumer ainsi aux autres : « je revendique le droit à l’indifférence ». Personnage public, il ne s’exprime jamais sur de telles questions publiquement. Effectivement, je ne vois pas pourquoi, s’il devait finir dans un manuel scolaire, sa vie privée devrait être mentionnée. S’il meurt célibataire, ce ne sera pas par misogynie, donc, oublions.
Secrétaire général de l’UMP, Bruno Beschizza, qui contredit de fait Christian Estrosi en montant en épingle cette question peu importante pour le redressement industriel, n’en est pas moins pertinent. L’initiative « ne précise évidemment pas les critères appliqués pour dévoiler ou pas les orientations sexuelles de tel ou tel personnage ».

Eh, ces critères ne sont évidemment pas précisés parce qu’il est superflu d’imaginer que les enfants des petites classes reprendront que le bon roi Dagobert mettait sa culotte à l’envers pour offrir son postérieur au bon saint Éloi, si tant était que telle fut son intention.

Pour le programme des collèges, je ne vois guère qu’Henri III, qui s’était formé une garde prétorienne de mignons bisexuels pour la plupart, pour lequel il conviendrait peut-être (pas sûr) de préciser que ses minions (subalternes, stipendiés ou non) étaient fidélisés en pouvant partager la couche du suzerain.

Quant au programme des lycées, et à Louis XV, dont la pédophilie était sans doute tolérée car beaucoup plus tolérable à l’époque qu’à présent, surnommé « Mignon » (autre sens) par Louis XIV, je ne vois pas en quoi sa fréquentation assidue de fillettes sur le tard aurait brouillé la France avec la Pologne de son épouse ou influé sur le bannissement des Jésuites. Peut-être conviendrait-il d’exposer que la Flagellation n’avait rien à voir avec ce que nos adolescents considèrent de nos jours ; si Guy Breton, dans ses Histoires d’amour de l’histoire de France, ne la mentionne pas, c’est que cette pratique « magistrale » restait hors de son sujet.

Que je sache, Gide n’est pas au programme des écoles élémentaires. Mais je ne vois pas comment sérieusement étudier les sociétés dans lesquelles évoluaient un Érasme (célibataire auteur d’un Traité du mariage) ou un Shakespeare, peut-être bisexuel adepte de « l’amour hellène » à l’occasion, en faisant l’impasse sur les mœurs de ces temps.

Je ne suis pas spécialiste de Marguerite Yourcenar, mais il me semble que la manière dont elle campe Marguerite d’Autriche dans L’Œuvre au noir pourrait révéler une approche du personnage plus sensible qu’une autre. En revanche, le saphisme de Yourcenar n’imprègne guère son œuvre, et je ne vois guère l’utilité de rabâcher qu’elle vivait en couple avec une femme.

Il y a quelque chose d’agaçant chez certain·e·s militant·e·s à vouloir mettre en exergue les orientations de telle ou tel. Rien d’insupportable, mais c’est souvent exagéré. Tout comme Arletty s’exclamait « mon cœur est français, mais mon cul est international »,  les goûts et affinités ne sont pas forcément le fondamental d’une personne ou d’une œuvre. Dans ce cas, les négliger ne constitue absolument pas une forme de censure.

Censure, vilain mot

Bruno Beschizza n’a pas peur de l’outrance et du ridicule en énonçant que « la porte-parole du gouvernement revendique aujourd’hui le droit de s’adonner à la censure des manuels scolaires de nos enfants pour imposer sa vision de la famille. ». Du moment que cela puisse être payant dans une partie de l’électorat, on peut tout oser.

Il s’agirait plutôt, de fait, d’une contre-censure. Et nullement d’une propagande. Nos lycéennes et lycéens doivent pouvoir être formés à exercer le libre examen et le libre arbitre, sur ces questions comme sur d’autres.

Mais effectivement, aux yeux de qui considérerait qu’il vaudrait mieux abandonner l’enseignement de l’histoire, de la littérature, de la philosophie, pour donner la primeur aux disciplines rentables, cette histoire de réforme « gendrée » des manuels scolaires est tout à fait secondaire.

La ministre a estimé qu’il fallait prendre en compte « la difficulté de beaucoup de nos enfants qui se découvrent cette orientation homosexuelle, c’est qu’ils ne peuvent s’identifier à personne et qu’ils se considèrent donc comme anormaux et c’est cette souffrance-là qu’il faut prendre en considération. ». Allons donc. Nos adolescentes et adolescents sont plus enclins à prendre pour modèles des sportives ou sportifs, des chanteuses, des comédiens, des créateurs de mode, des pipeules divers, et là, force est de constater que beaucoup de jeunes filles s’identifient davantage à Madonna (bi) ou Victoria Beckam (hétéro jusqu’à nouvel ordre), en dépit de son âge, qu’avec Judie Foster (lesbienne), et ce n’est guère une réforme des manuels scolaires (qui consisterait simplement à sensibiliser leurs éditeurs à cet aspect des choses), qui va endommager leur vision de la famille.

Hors cercles militants, cela reste quelque peu accessoire. Najat Vallaud-Belkacem s’exprimait dans Têtu, qui n’est pas le Journal officiel de la République. Cela étant, passer pour un pays gay friendly intéresse davantage le ministère du Tourisme que celui de l’Industrie. Mais quand on a pas de pétrole… Les finances de Sitges (Catalogne), qualifiées parfois de capitale gay européenne, sont saines, et c’est aussi la municipalité la plus chère d’Espagne. Les hôteliers hétéros se frottent les mains. Cela n’a pas dû échapper à l’attention de Christian Estrosi, président de la métropole Nice Côte d’Azur. Nice, « une ville ouverte, tolérante, qui accepte toutes les différences » proclame le Guide gay et lesbien de la Côte d’Azur qui recense plus de 60 adresses de la capitale régionale dont la Vieille Ville, autour de la terrasse de la Civette, évoque de plus en plus le Marais parisien.
Nice, sa Pink Parade, ses plages comme la Coco Beach ou celle de Saint-Laurent-d’Èze, &c. Cela explique peut-être ceci. Le site de l’Office du Tourisme et des congrès niçois comporte d’ailleurs une page « Gay Welcoming » et vante un guide Nice irisée (aux couleurs de l’arc-en-ciel).

Allez, Max Gallo, chantre de l’histoire niçoise, transfuge du MDC qui avait appelé à voter Sarkozy, « Alexandre Dumas de notre temps », selon Claude Allègre, ancien ministre de l’Éducation, encore un petit effort…

Le bon moyen pour faire taire les critiques UMP ? Bombarder Max Gallo à un comité bidule chargé de discuter avec les éditeurs de manuels scolaires pour que leurs auteurs soient incités à mieux prendre en compte l’orientation sexuelle des physiciens, mathématiciennes, médecins, chimistes, &c. Farfelu ? Oh, pas tant que cela… Le Marais parisien et le Petit Marais niçois valent bien une messe.

Laissons en tout cas à d’autres le soin de faire, en 2017, le décompte des Légions d’honneur et médailles des Arts & Lettres décernées lors des quinquennats Sarkozy et Hollande à des personnalités des communautés lesbigays (voire trans). Il n’y pas sûr qu’à ce niveau d’élévation du débat, on soit assuré d’y échapper.

Pour paraphraser Pascal, « un gueux sans divertissement est un homme plein de richesses ». Avec des Bruno Beschizza, les gueux ne vont pas sur le chemin du travailler plus. Il encourage davantage à prolonger les conversations de comptoir au mépris de la pointeuse.  

Il n’empêche. Je ne vois pas comment aborder Giono, époux d’Élise et père d’Aline et de Sylvie, sans évoquer ses amitiés avec Cocteau ou Gide, sans s’intéresser à son entourage. Certes, ce n’est pas tout à fait un auteur pour « les enfants des écoles ». Ce fut pourtant un écrivain dévoré par la jeunesse de son époque. À moins, bien sûr, qu’on ne veuille aborder la littérature que sous l’angle d’un décryptage pseudo-scientifique appelant sans cesse la linguistique à la rescousse pour combler sa quasi-vacuité. Là, au PS comme à l’UMP, on n’entend plus grand’ monde. C’est tellement plus facile et payant de phraser sur la famille, l’identité nationale, &c.

Une culture de quizz et de concours télévisuels

Tenez, Giono. Je découvre en ligne une fiche pédagogique portant sur Mon père : contes des jours ordinaires, d’Aline et Sylvie Giono. Cela donne quoi ?

1. p. 17 « …la vie n’est pas semée que de pétales de roses… » veut dire :
• dans la vie, il y a d’autres fleurs que les roses ;
• la vie n’est pas facile tous les jours ;
• on ne sème pas des pétales mais des graines.
Avec une douzaine ou le double de questions par chapitre, c’est beaucoup plus facile à corriger rapidement.

Si la révision des manuels conduisait à formuler des questions du type « Machin/e est-il/elle plus attiré/e davantage par les hommes, les femmes, les deux » (rayez la mention inutile), j’y vois vraiment très peu d’intérêt. Mais je ne vois pas trop non plus en quoi cela saperait les bases de la construction familiale, même si ce genre de questionnaire était destiné aux enfants des écoles.

« Les intéressés auraient-ils été d’accord pour que leur intimité soit dévoilée ? », s’interroge doctement Bruno Beschizza. Nommez-le à la présidence d’une haute autorité chargée de faire tourner les tables et invoquer les mânes de Socrate, et on en parlera plus (surtout s’il est dispensé de publier un rapport, comme on le constate si souvent).

Faut-il aussi rappeler à l’UMP que c’est sous le ministère de Xavier Darcos, en février 2008, que s’est réuni une commission pour auditer l’enseignement des sciences économiques et sociales (en classe de seconde, en particulier) et que l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales a préconisé que soient abordés les questions de la socialisation, des normes, du genre et de l’homogamie.
« On pourra présenter la famille comme une instance de socalisation, et on pourra montrer que cette socialisation est différenciée selon les genres ou l’origine sociale (…) l’étude du choix du conjoint permettra aux élèves de différencier choix individuels et reproduction sociale. ». En sciences de la vie et de la terre (classes de première), c’est en 2011, donc avant l’élection présidentielle, qu’a été introduit un chapitre intitulé « devenir homme ou femme » (certes, la formulation est critiquable, n’en déplairait à de Beauvoir) qui n’a pas du tout plu à l’enseignement catholique.
« Une espèce de fausse liberté invite à choisir son orientation sexuelle à un âge où les repères structurants manquent déjà, particulièrement dans le domaine de la sexualité, » déplore la CNACF (Confédération nationale des associations catholiques).
L’éditeur Bordas a répondu qu’évoquer « l’influence du contexte sur le comportement sexuel » n’avait « rien de choquant ». 

Mais Fillon et Copé, qui ne veulent pas entendre parler de bilan du quinquennat écoulé, et leurs porte-couteaux, semblent avoir la mémoire courte. La démarche de Vallat-Belkacem s’inscrit dans le droit fil de la législature précédente.
Cela vaut-il d’en faire tout un plat de résistance ? À chacune et chacun d’en décider…