Alors que le National Geographic publie un reportage sur un quartier de Buzescu (Roumanie, dpt de Teleorman, env. 5000 h dont près de 900 Rroms), le TGI de Paris jugeait, vendredi dernier, Remus Stoian et divers membres du clan rrom Radu qui, selon la gendarmerie et Laurence de Charette, du Figaro, auraient exploité, en Europe, près (ou plus) de 200 enfants, notamment pour « réaliser de nombreux investissements immobiliers près de Tandarai (Țăndărei, dpt de Ialomita, à environ 300 km de Buzescu). En clair, des palais tziganes, parfois somptueux…

Je ne saurais reprocher au National Geographic d’avoir titré « Dans la ville des rois roms » pour un reportage sur l’un des multiples quartiers tziganes de Roumanie caractérisés par de splendides demeures.
Celui-ci est à lui seul une petite ville. Celui de Buzescu n’est que l’un, parmi tant d’autres de ces quartiers, alignant de part et d’autres d’une route de fin d’agglomération.
J’ai publié sur Come4News d’autres vues de ces palais, soit insérés dans le tissu urbain d’une grande ville (Timisoara par ex.), soit en périphérie de petites villes ou villages, notamment dans les régions magyarophones du nord-est de la Roumanie. Buzescu et Tandarai sont beaucoup plus proches de la capitale et de la Bulgarie.
Des « villes de rois rroms », soit parfois des quartiers entiers, ou simplement des îlots, il en est foison. Les Roumains se plaignent surtout d’îlots urbains situés au cœur des villes ou dans des quartiers traditionnels d’hypercentres. C’est vrai que, surgis en grand nombre ces vingt dernières années, dominant de leurs faîtes les immeubles austro-hongrois ou d’inspiration française (et autres) alentours, ils tranchent sur l’alignement antérieur et leur style flamboyant détonne.
Ajoutez à cela qu’ils peuvent prendre la place d’immeubles plus ou moins extorqués de très mauvais gré à leurs occupants antérieurs, mais le plus souvent obtenus en graissant la patte de juges et d’avocats auxquels sont produits des documents – des faux plausibles – attestant d’ancêtres ayant vécu là avant la « Révolution » de 1989-1990.

Les clans Rroms de Roumanie jouissent d’une puissance économique indéniable, certaines familles ayant amassé des fortunes grâce à des moyens légaux, d’autres se livrant à de multiples trafics, notamment en Europe de l’Ouest. Ce qui leur vaut une certaine influence auprès des édiles de tout niveau. De plus, il y a familles et familles, dont certaines sont parfaitement monoparentales, intégrées (dans la politique, mais aussi l’université, les services, l’industrie, le monde du travail en général). Pour ces familles, n’entretenant plus pour certaines que de lointains rapports avec celles, élargies, des clans, fort divers et n’entrenant parfois aucun lien entre eux, nulle opprobre ne s’attache à leurs origines. De même, en France, en Europe de l’ouest, certaines sont fort bien assimilées de longue date, d’autres, d’implantation récente, venues dans le plus complet dénouement, cherchent et parviennent à s’intégrer parfaitement. Leurs membres se dispersent et pratiquement rien ne les distingue, à leurs propres yeux comme dans le regard des autres, d’abord d’autres émigrés, puis de la majorité de la population autochtone.

Or quelques cas flagrants de patronymes marquant les origines, ou la préservation de signes distinctifs (ainsi, pour un professeur d’université, du grand chapeau des chefs de clans), en Roumanie même, il n’existe pas de xénophobie anti-rrom per se. En revanche, les plus pauvres et démunis, nomades ou urbanisés, comme les plus ostensiblement opulents sont l’objet d’un très net ostracisme. Car si les palais rroms détonnent, les bidonvilles rroms – où vivent des ferrailleurs, des employés de la voirie, quelques rares artisans parvenant à écouler leurs produits – rassemblent en permanence une importance population. Dans les palais rroms, le plus souvent, hors les fêtes où l’on se rassemble entre amis venus qui en Ferrari, qui en Mercedes ou Hummer, les vastes halls et les grands salons sonnent le vide : peu de personnes résident en permanence sous le même toit.

 

Les intérieurs achevés – beaucoup de palais érigés restent en plan, attendant des jours meilleurs – font étalage d’un luxe certain, y compris dans les salles d’eau, mais très souvent, les lieux d’aisance restent situés à l’extérieur. Selon les cas, les enfants seront ou non scolarisés.
Savoir lire et surtout compter importe, mais pour le reste, comptables, conseillers, avocats s’en chargeront.
Anecdote authentique, un dirigeant belge d’entreprise du Banat s’était adressé aux enfants rroms d’un palais qui l’ont questionné sur sa maîtrise des langues. Satisfaits, ils se proposaient de le faire embaucher comme chauffeur par leurs parents…

Évidemment, à Buzescu comme ailleurs, les chefs de clans, les boulibashas, se récrient : leur fortune ne doit rien à des activités illégales ou même répréhensibles. C’est parfois vrai, et la famille qui aura fait construire cinq, voire six étages, ne vit que dans deux-trois pièces au mieux (sur une bonne trentaine), plutôt chichement. Chez d’autres familles, tout est meublé, et les berlines s’alignent dans des garages. La classe moyenne laborieuse tente d’égaler en surface et hauteur les plus imposants palais du voisinage.

Pour le site Agenda (.ro), les palais tziganes ont poussé partout « tels des champignons après la pluie. ». Une généralité évidente, mais recouvrant de multiples cas très particuliers. Les palais des Remus Stoian et autres Radu (ici, nom de famille, assez fréquent en Roumanie, et non prénom, tout aussi usité) sont très certainement le fruit de rapines (de métaux en particulier), trafics (notamment de cigarettes), mendicité, vol à la tire, et prostitution. Ceux d’autres sont le fruit d’un parfois dur labeur, soit en Roumanie, soit à l’étranger. Là où l’immigration portugaise de naguère se contentait d’une belle villa, construite en un ou deux-trois ans, la roumaine rrom, si ses revenus sont légaux, mettra une décennie à réaliser le seul bâti tandis que d’autres composantes rénoveront à leur guise insolite une maison bourgeoise en quelques semaines.

Un folklore passablement suranné fait des Rroms un peuple unique, voire une nation. D’une part, il n’est pas que des tziganes rroms en Roumanie, il y en a bien d’autres, et les clans ne suffisent à décrire la diversité des situations.

Certes, au Royaume-Uni (où des, et non les, tziganes autochtones, fixés – qu’ils soient ou non nomades – depuis des générations, rivalisent parfois avec des Rroms dans la criminalité organisée), comme en France, et d’autres pays, de véritables bandes se livrent à toutes sortes d’exactions.

Jugés vendredi dernier à Paris, les Radu, liés à d’autres familles, ont organisé « un réseau criminel international dont le but est la venue en France de jeunes mineurs afin de commettre des vols. ». Certains maraudent, subtilisent des objets et des valeurs dans les poches ou s’emparent de bagages de voyageurs assoupis, d’autres se livrent au vol à l’arraché en petits groupes. Portables, bijoux, sacs, ou argent liquide retiré d’un automate étaient en particulier les cibles des enfants exploités par les Radu. Tous ne sont pas des Rroms, ni des Radu (au sens large). Certains sont de très jeunes fugueurs s’échappant de villages où règne une absolue pauvreté, d’autres sont des Rroms de diverses provenances. Un petit groupe de trois à cinq enfants, mal nourris, parfois battus, peut rapporter environ 3 000 euros du mois. Multipliez par une quarantaine de ces escouades, et rien que les sommes en liquidités rapportent très gros. Le reste, les objets, se revendra parfois fort loin du camp de Saint-Denis : les enfants, les femmes parfois, tournent entre divers camps, dans toute l’Europe. Des « correspondants » les prennent en charge…

Certains de ces enfants, devenus adultes, prendront du galon, d’autres resteront en quasi-esclavage. D’autres finiront victimes de bagarres, règlements de compte (récemment, en Roumanie, une Ferrari a été brûlée lors d’un différent sanglant entre Rroms) ou, comme Florea Radu (sans doute issu d’une autre famille Radu que celle de Paris) rentreront, comme le décrit National Geographic, à Buzescu, en cercueil : Florea, 29 ans, est mort électrocuté en Espagne, lors d’un vol de fils de cuivre gainés.

Tous les habitants de Buzescu ne sont pas des Rroms, loin de là (les Rroms n’atteignant pas le dizième de la population) et tous les résidents du quartier rrom ne sont pas des « rois » ni même de petits chefs de petits clans.

Le problème est que les médias, et parfois les discours officiels – notamment en France – font des divers Rroms une seule entité. C’est totalement inexact, et même franchement fallacieux de la part de celles et ceux qui déforment sciemment une réalité complexe, caractérisée aussi par le fractionnement des clans, familles, individus d’une même famille. Pas davantage que les bidonvilles autour de Cluj, les quelques dizaines de vastes demeures de Buzescu (et d’autres localités) ne reflètent la condition des Rroms dans leur ensemble… qu’on ne peut d’ailleurs qualifier d’ensemble.

Le problème des familles rroms entretenant la criminalité ne doit pas être pris pour une généralité caractérisant toute une population aux conditions de vie, d’us, d’attitudes, fort contrastées. Lorsque Laurence de Charette décrit le fonctionnement d’un camp, « dirigé par un chef, qui vend les emplacements aux nouveaux arrivants », elle est certainement proche de la réalité. Mais il n’est pas sûr que tous ceux qui achètent ou louent leur droit de séjour soient des criminels. Peut-être des complices, par passivité, et non-dénonciation d’activités dont ils savent confusément ou non la nature, mais non pas tous des malfaiteurs. Certains travaillent certes au noir, mais souhaiteraient un salaire, pouvoir travailler normalement, peut-être faire construire dans leurs villages ou villes d’origine, mais pas du tout forcément un « palais ». Ces riches demeures ne sont qu’une facette, parmi d’autres, multiples, qu’il conviendrait aussi de ne pas négliger.