Maintes fois annoncée, la "pilule pour homme" est-elle enfin en passe de devenir une réalité ? Les résultats d’une équipe nord-américaine, publiés vendredi 17 août dans la revue Cell, ouvrent un nouveau front dans la quête d’un contraceptif masculin, estiment des spécialistes français qui saluent les travaux de leurs collègues.

En inhibant une protéine-clé pour la fabrication des spermatozoïdes avec une petite molécule, nommée JQ1, Martin Matzuk (Baylor College of Medicine, Houston) et James Bradner (Harvard Medical School, Boston) ont réussi à bloquer la spermatogenèse chez des souris. Ils ont ainsi obtenu une contraception complète, réversible, et sans aucune conséquence sur la libido des animaux.

Fondées sur une administration d’hormones (oestrogènes et progestatifs) qui bloquent l’ovulation, les pilules contraceptives féminines sont au point depuis des décennies. Le principe a été inventé par l’Américain Gregory Pincus en 1956. Mais leur équivalent masculin continue à défier les chercheurs, pour des raisons physiologiques.

Contrairement à la fertilité féminine, corrélée au cycle ovulatoire, la spermatogenèse est un processus continu. Jusqu’ici, neutraliser complètement la fabrication des millions de spermatozoïdes par une stratégie hormonale s’est révélé délicat, et risqué pour la libido.

Des protocoles associant plusieurs hormones (testostérone, progestatifs et analogues de la gonadolibérine, une hormone produite par l’hypothalamus) sont en cours de tests cliniques, mais un tel cocktail semble difficilement utilisable à grande échelle. D’autres produits, dont des plantes, contrariant la fabrication des gamètes masculines ont aussi fait l’objet d’études chez l’animal ou l’homme. La plupart ont été abandonnés faute d’efficacité, du fait de leur toxicité ou d’effets trop prolongés sur la fertilité.

Martin Matzuk et ses collègues ont choisi d’explorer une nouvelle voie, en ciblant la BRDT. Cette protéine, exprimée uniquement dans le testicule, joue un rôle essentiel au cours de la spermatogenèse. Elle participe au remodelage de la chromatine – matériel génétique du noyau – de précurseurs des spermatozoïdes, dans la phase dite postméiotique. Récemment, il a été montré que des mutations du gène codant pour la BRDT étaient associées à une stérilité par azoospermie (absence de spermatozoïdes) chez des hommes.

Les chercheurs américains ont donc conçu une petite molécule inhibant spécifiquement cette protéine, et ils l’ont administrée à des souris pendant six semaines. Pour faciliter l’expérience, le traitement a été injecté par voie intrapéritonéale, mais une forme orale est possible. Une réduction drastique du nombre de spermatozoïdes et de leur mobilité a été observée, avec diminution du volume des testicules. Ce blocage de la spermatogenèse a permis une contraception efficace, à des doses variables selon les souris. Un effet qui ne s’est pas accompagné de perturbation du comportement sexuel et a été réversible à l’arrêt des injections.

Matzuk et ses collègues, qui ont également obtenu des résultats probants chez des rats, cherchent maintenant à créer et tester des dérivés de leur molécule encore plus sélectifs. "Le JQ1 pourrait être le premier agent contraceptif qui cible sélectivement et de façon réversible la production de spermatozoïdes", écrivent-ils dans leur article de Cell.

"C’est un travail superbe, mené par une excellente équipe, s’enthousiasme Jacques Young (service d’endocrinologie et des maladies de la reproduction de l’hôpital de Bicêtre), professeur à l’université Paris-Sud et chercheur à l’Inserm. C’est la première fois que je vois une cible aussi clairement établie de la spermatogenèse." Selon lui, la molécule testée par les Américains dispose effectivement d’atouts essentiels pour devenir un bon contraceptif. "Elle est efficace, d’action réversible et, ce qui est capital, n’a pas d’effets délétères sur la libido, sur le taux de testostérone ni sur la descendance", insiste Jacques Young, qui plaide pour des tests chez le primate, modèle plus proche de l’homme que les rongeurs.

Bernard Jégou, directeur de l’Irset (Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail), Inserm, université de Rennes-I, EHESP, est sur la même ligne et souligne l’exceptionnel palmarès des chercheurs américains et l’originalité de leur approche, qui fait appel à l’épigénétique.

"Le blocage se fait relativement tôt au cours de la spermatogenèse, ce qui suggère que cette molécule, si elle est un jour disponible, nécessitera un délai d’environ trois mois pour être efficace, comme les contraceptifs hormonaux", tempère-t-il.

De son côté, Jacques Young note que la perspective d’une baisse du volume testiculaire, telle qu’observée chez les souris, pourrait être un frein psychologique à la pilule masculine. "Les enquêtes récentes montrent que les mentalités ont évolué et que les hommes sont désormais prêts à partager la contraception, continue Bernard Jégou. Reste à savoir si les femmes, qui ont pris la responsabilité du contrôle des naissances depuis l’avènement de la pilule, seront, elles, consentantes." Le temps que le JQ1 franchisse toutes les étapes de développement, les uns et les autres ont sans doute encore plusieurs années devant eux pour y réfléchir.