La Pléiade a fait évoluer le français en se rendant « à la halle » et comme l’énonçait le sieur Dumarsais (†1756) à propos des tropes (figures métaphoriques), « je suis persuadé qu’il se fait plus de figures en un seul jour de marché à la halle qu’il ne s’en fait en plusieurs jours d’assemblées académiques. ». Chaque nouvelle édition du Larousse est saluée par la presse qui en recense les nouveaux mots mais leur corpus est souvent incomplet et les entrées mettent souvent plusieurs années à rejoindre ce classique, puis, souvent Le Robert et d’autres. La maison britannique innove en invitant les visiteurs de son site à soumettre les vocables qu’ils « usitent » (néologisme qui se conçoit).
Tel le Bourgeois gentilhomme, j’ai abordé la dictionnairique en la pratiquant sans la savoir.
C’était à la faveur de la révision du Slang & Colloquialisms Dictionary de Harrap à la toute fin des années 1970.
Un colloquialisme, comme nul ne l’ignore hormis encore Le Grand Robert, qui ne le désigne même pas anglicisme, est une tournure ou locution familière.
Je devins congru en dictionnairique vers les débuts des années 1990, grâce à quelques cours dispensés dans le cadre du DESS ILTS (ind. des langues & trad. spé.), et il m’en subsiste un vague vernis qu’en fieffé cuistre je fais refléter en usant de termes au(x) sens que leur donnait Le Littré…
Savoureux néologismes
Il m’est resté de ces deux expériences une propension à faire usage de vocables ou invectives de mon cru ou issus de l’univers de la bande dessinée (ainsi de tarazimboumant ou putentrailles, dont les férus du genre localisent les sources et origines à la date et planche près).
Or donc, sur la planche, la vénérable maison Collins, éponyme de l’Écossais Willam (†1853), dont le premier dictionnaire sortit en 1824, devenue HarperCollins, met un concours doté de prix intitulé What’s your word?
Les dictionnairistes les recueilleront, évalueront, définiront selon les normes maison, et si leurs critères sont réunis, votre patronyme figurera « for ever » en référence sur la page…
Pour toujours, mon cul !, aurait pu s’exclamer la Zazie de Queneau. Mais c’est un début.
Constant renouvellement
Je n’ai pas calculé combien d’entrées compte mon édition électronique du Grand Bob, mais de l’A-C (de la « bleue ») au dernier Rev-Z (de la « verte »), mes précédentes éditions sur papier se contentent de sept volumes (plus un moins copieux supplément pour la verte).
Il n’y a guère que la Britannica ou l’Encyclopædia Universalis (à laquelle j’ai collaboré pour la blanche) qui se gonflent de pages, en élaguant toutefois d’une édition sur l’autre.
Pour vous donner une idée d’un ouvrage de dictionnairique (c’est le seul d’ailleurs que je qualifierai de tel, mais je suis preneur d’autres), consultez donc en ligne le Bestiaire ébloui des lexies tératoïdes, de l’ami Éric Angéli.
Voyez notamment le chap. 13. Édifiant.
Or donc, lors de la révision du Slang & Coll., ma cheffe de projet insistait lourdement pour gonfler l’édition d’expression issues de l’univers de la cibi (la Citizen Band). Je renâclais, pour deux raisons. L’une était que je n’y connaissais pratiquement rien, l’autre que je ne croyais guère à la pérennité du « mille-pattes » (un véhicule poids-lourds de plus de 3,5 t., quoique cette définition soit quelque peu péremptoire). De surcroît, j’envisageais de m’équiper en informatique (ce qui fut fait l’année de la parution de cette édition), et je pressentais un meilleur avenir au « bogue » qu’à je ne sais quel mot cibiste depuis tombé en désuétude.
Le client est roi, je suis donc allé à la halle, soit en relais autoroutiers ou sur la zone de stationnement de la gare de Belfort où opérait chaque nuit une animatrice des ondes de nos amis les routiers.
Pour qui s’intéresse à la chose, l’édition de 1975 a été numérisée (illégalement ?) et localisée sur Scribd (fr.scribd.com). La page Z de la partie anglaise, foliotée 277, se clôt avec zosh (rombière), celle de « mon » édition avec zoot (où fut risqué un approximatif « zazou » pour qualifier la mise homonyme), page 372. L’édition a pris de l’avoirdupois mais l’entrée zosh a nonobstant disparu (tout comme zip up, évident, donc superflu) tandis que zilch (que dalle) s’est inséré entre zen (id.) et zing (soit pep, absent, mais vitalité, vigueur, énergie restent présents à l’identique).
Teasing, coup de pub ?
Comme par hasard, le concours Collins est doté d’un « Microsoft smartphone » pour saluer l’entrée superphone dont je doute fort de la validité dictionnairique ultérieure. Parmi les entrées récentes, signalons amazeballs (pour amazing). Lollage (en statut : pending investigation) serait-il traduit par « morderizage » (pour MDR, mort de rire, ou Lot of Laughs, soit l’acronyme LOL).
Vais-je soumettre Liborgate ? Ou banskstergeddon ? Déjà, carmageddon (embouteillage monstre) figure à la liste, ce qui me semble judicieux. Mais la référence au jeu homonyme me semble s’imposer. Allez, tentons. Mais comme j’ai qualifié le Liborgate de bankstergeddon, j’obtiens l’objection honorable : “You have already submitted a suggestion for ‘bankstergeddon’”.
Un néologisme, c’est comme scoop. Son succès ne dépend pas de son exclusivité initiale, mais du fait que presque tout le monde ou presque en fait ultérieurement état (ainsi du Woerthgate, qui a connu un assez bon succès).
Le but est-il vraiment de faire travailler les autres à votre place (mode wiki) ou de fidéliser un nombre x de ferventes et passionnés du langage ? La femeraderie (suggéré par Penny) de ce site Collins va-t-elle toute entière acquérir la nouvelle édition ? Ou seules les zayas (perfect girls) achèteront-elles ? Ou juste les boers (gipsy pour une femme, ou chouette nana, voire canon, à Limerick) ?
Mes confrères, tout autant que le panel de Collins, décideront. Et je parle là aussi de mes confrères français, allemands, espagnols, &c., de la presse qui adopteront ou non spiceboy (soit un pré-ado ou ado métrosexuel… anglicisme devenu fort répandu). Le site de Collins sera-t-il le vivier des termes qui font bath (chouette, mais désuet) dans la presse européenne ? Nos doctes comités de francisation du franglais se saisiront-ils de l’affaire ?
À ce jour, 383 vocables figurent déjà à cette ébauche d’un nouveau lexique. J’apprends par le Daily Mail que le site a été lancé, à Glasgow, depuis un an. Pour le moment, to tash-on (embrasser) a été validé, soit qu’il lui a été donné le schmuck (alsacien pour bisou) of life. Dira-t-on – et lira-t-on – bientôt que les twitlits de Valérie Trierweiler feront bientôt l’objet d’une recension d’anthologie ?
4,5 milliards de mots
Il est considéré qu’on parvient plus ou moins à se débrouiller dans une langue en ayant recours à 150 ou 200 mots. Avec dix fois plus, on se situe dans la moyenne du locuteur natif ou autochtone.
Le Collins Corpus, fort d’environ 4,5 milliards de mots plus ou (plutôt) moins (pour la plupart) utilisés par des anglophones de toutes provenances et localisations, va-t-il ainsi franchir le cap des cinq milliards ? Cela se fera en deux temps. Un premier avis sera délivré sous trois semaines, mais un mot rejeté en première instance bénéficiera d’un sursis d’un an. Son succès dépendra peut-être des commentaires qu’il suscite, sans doute davantage de sa reprise à peu près généralisée.
Remarquez qu’un dictionnaire anglais unilingue courant en édition imprimée ne définit qu’environ 500 000 mots.
The Guardian a déjà évoqué une War of wordcraft et je me doute bien que le site Langue sauce piquante (de mes amis du Monde) vont reprendre cette information, si ce n’est déjà fait.
L’aventure est-elle crapalicious (pas si séduisante ou goûteuse qu’il n’y paraissait de prime abord) ou non ? Donnera-t-elle lieu à du cyberstalking ? Elle suscite en tout cas déjà des controverses et certains parangons du bon goût journalistique ont entrepris de dresser des listes de mots à bannir définitivement (par exemple, influencer, pour ceux de l’Huffington Post). Soit les mots mobydiculous (excessivement ridicules, prétentieux tels des cachalots infatués d’eux-mêmes).
Heidi Stevens, de la Chicago Tribune, s’enthousiasme pour oblication. Soit la tournée des proches, amis, relations et connaissances lors d’un congé rimant avec corvée. Alex Brown, de Collins, est séduit par shwash (recevoir une giclée de swash due au véhicule que l’on suit sous la pluie alors qu’on vient juste de laver son pare-brise oblige à un second-hand washing).
Je ne sais si phubbing se réfère à hub ou pub, mais ce serait le comportement de quelqu’un snobbant une personne dans un lieu public (un pub) ou une réception, un espace public (un hub d’aéroport en est un). Heidi Stevens est pour.
Emily Price, de Mashable (éléments combinables, bariolés, pot-pourri, c’est selon, ou informations remâchées, compilées ?), le site dit social, titre « YOLO in the dictionary? ». Soit « You only live once ». Un acronyme, donc. Hmm, certains mots ne vivent qu’une fois (ou trop peu), comme mon vrombruissage (pour un buzz). Il n’a pas fait école. Ou pas encore…
La réaction journalistiquement à mes yeux la plus intéressante du Daily Mail qui s’interroge sur le devenir des parties de Scrabble™. Le site de Collins va-t-il devenir « la » référence pour les anglophones ? D’abord parce que son accès est libre et gratuit (comme celui du Cambridge). Ensuite, parce qu’il serait le plus riche.
Combat perdu d’avance ?
Mais si les mots anglais vous passionnent, allez donc visiter aussi The Clean Dictionary de l’université Princeton qui se fonde sur le Wikitionary. Impressive, isn’t it? Vraiment très rapide et surtout étendu.
Et vous, quels sont les mots (hors injures) que votre savoir-vivre et vos bonnes manières vous proscrivent d’employer ? Quels sont les néologismes ou anglicismes qui vous défrisent le plus ? Les expressions que non seulement vous bannissez, mais vous horripilent ? Quels sont ceux dont l’emploi récurrent (genre, pour moi, « improbable ») vous hérissent mais que vous subodorez que vous serez contraints de les employer (comme, pour moi, l’expression « suite à » au lieu de « à la suite de », car il me semble que j’ai perdu le combat) ?
La lutte entre le vocabulaire et la bienséance est sans fin, sempiternelle. Mais il s’agit d’un autre sujet, d’inquiétude ou… propice à tout simplement cancaner, se gausser, rire sous cape, &c. Des mots chrysalides deviennent ou non papillons, éphémères ou plus durables. Ainsi va la vie…
P.-S. – en cette période de vacances, signalons aussi pour les gadgetomanes (ce mot mériterait d’entrer dans nos dictionnaires français, s’il ne figure déjà) fortunés le Point and Click Dictionary.
Il s’agit d’un numériseur (scanner) de poche contenant les données des multilingues de Collins, soit les dictionnaires anglais, français, italien, espagnol et allemand. Vous positionnez la lentille au-dessus d’un mot et vous obtenez sa définition ou sa traduction.
C’est un produit Hammacher Schlemmer tarifé 280 USD. Cette société commercialise aussi un jeu de Scrabble™ mural (12 000 USD), d’environ 2×2 m. Peu recommandé pour les personnes de petites tailles (pas de marchepied livré).
Vous trouverez aussi sur le site un Scrabble™ étendu, de 441 cases (au lieu de 225) et 200 lettres à tirer (au lieu de cent). Abordable (50 USD) et peut-être utile si la pluie ne cesse de tomber dehors.
[b]excellentissime article ![/b]
Merci de votre appréciation, Zelectron.
que de mots…..! que de mots !
très bel article, indeed !
Il me faudra surement plusieurs vies pour écrire un article de ce type!
c’est beau l’instruction ! chapeau bas