A la lumière de l’actualité relayée par les médias camerounais, les agressions sexuelles perpétrées sur des enfants prendraient chaque jour des proportions inquiétantes. La situation est regrettable mais pourtant bien réelle. Selon une étude menée par l’EIP-Cameroun (Ecole Instrument de Paix), il ne se passe pas de jour dans notre pays sans qu’on ne lise dans un article de journal ou n’entende à la radio généralement dans la rubrique « faits divers », qu’un enfant a été victime d’abus sexuels.


Les abus sexuels sur les enfants renvoient à la participation d’un enfant ou d’un adolescent à des activités sexuelles qu’il n’est pas en mesure de comprendre ou qui sont inappropriées pour son âge et pour son développement psycho sexuel. On peut donc  définir  les abus sexuels comme toutes contraintes (verbale, visuelle ou psychologique) ou tous contacts physiques, par lesquels une personne se sert d’un enfant, d’un adolescent ou d’un adulte, en vue d’une stimulation sexuelle, la sienne ou celle d’une tierce personne.

Sans se résigner à accepter de voir les enfants être continuellement l’objet de crimes aussi abjects, plusieurs raisons qui expliquent  les abus sexuels méritent d’être abordées. On peut citer entre autres:

–    le caractère toujours tabou de la question de l’exploitation sexuelle dont on ne parle jamais en famille. Ainsi, beaucoup de familles dans lesquelles de tels abus ont été perpétrés préfèrent cacher la vérité  pour ne pas être humiliées et déshonorées mais surtout, pour éviter le doigt accusateur et le regard moqueur des voisins. Le plus souvent en effet, ces familles préfèrent dissoudre de telles situations jugées honteuses dans des arrangements et des médiations en échange d’une compensation financière ;

–    la persistance de certaines pratiques culturelles telles que le mariage forcé et ou précoce, les mutilations génitales, l’initiation sexuelle forcée etc. Au-delà de ces pratiques, des superstitions socioculturelles sont à l’origine du mutisme des familles qui se taisent par crainte d’attirer la malédiction dit-on, sur les familles dans lesquelles de tels actes sont posés ;

–    le silence des victimes qui préfèrent se replier sur elles-mêmes, soient parce qu’elles se sentent trop humiliées ou souillées, et parfois même coupables, soit parce qu’elles craignent de ne pas être crues. Mais le plus souvent, elles sont terrorisées par leurs bourreaux qui les menacent aussi bien physiquement que moralement ;

–    la pauvreté qui pousse les familles et souvent les victimes elles-mêmes à recourir à certaines formes d’exploitation sexuelle telles que la prostitution enfantine, le mariage forcé et ou précoce, la traite et la vente des enfants etc, pour satisfaire leurs besoins de survie ;

–    la complexité et le coût des procédures judiciaires qui découragent parfois les familles ;
–    le difficile accès à la justice à cause de l’absence de juridiction spéciale pour mineurs ;
–    l’absence d’une politique efficace de prévention des abus sexuels malgré l’existence de textes de lois ;
–    l’insuffisance des centres d’accueil, d’écoute, d’aide et de prise en charge des victimes ;
–    l’indifférence des populations qui ne s’offusquent même plus devant de tels crimes ; encourageant presque leurs auteurs par leur mutisme.

Malgré l’existence des instruments de protection internationaux (articles 19, 34 et 39 de la Convention sur les droits de l’enfant) et nationaux (articles 246 à 303 du Code pénal), 5% seulement des agresseurs sont condamnés. Des analyses statistiques faites par certaines associations en charge de la protection des droits des enfants donnent les chiffres ci-après :

–    14% de filles et de femmes ont échappé à une tentative de viol ;
–    18% ont été violées par un membre de la famille ;
–    9% ont été violées par plusieurs violeurs au même moment ;
–    11% ont été violées à plusieurs reprises ;
–    27% ont étés violées au moins deux fois

Il ressort de ces statistiques que les filles sont les plus touchées par ce phénomène, même si les victimes recensées sont des deux sexes. Par ailleurs, la moyenne d’âge la plus touchée se situe entre 10 et 15 ans. Ces abus peuvent prendre diverses formes : le viol, les violences sexuelles, les attouchements sexuels, le harcèlement sexuel, la prostitution enfantine, la pornographie enfantine, le mariage forcé et ou précoce, l’exhibition sexuelle, le tourisme sexuel, la pédophilie etc.

Le plus révoltant dans ces révélations est que, ces enfants sont agressés dans des milieux censés les protéger : il s’agit des établissements scolaires, les lieux de culte et les concessions familiales, où les parents, les proches, les amis, les voisins, les enseignants et les membres du clergé se transforment souvent en auteurs d’abus sexuels.

Au- delà de la gravité d’une telle situation, très peu de cas d’abus sexuels sur les enfants sont dénoncés car, les victimes sont souvent réduites au silence. Dans la plupart des cas en effet, les enfants abusés sexuellement s’en tirent avec des traumatismes physiques (les Infections Sexuellement Transmissibles, le SIDA, les grossesses non désirées…), psychiques (dépression nerveuse, la perte de confiance en soi et en autrui…) et sociaux (la déperdition scolaire, la délinquance juvénile…) parfois indélébiles.

Fort de ces constats, la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (CNDHL), par le biais de son Unité d’Observation, Investigations et Alerte (OIA), a décidé de sortir de son cadre habituel de protection qui consiste au traitement des requêtes reçues et à pratiquer l’auto saisine  notamment les audiences publiques pour embrasser une nouvelle stratégie de communication. Cet ordre de discussion qui ferait intervenir plusieurs autres acteurs impliqués dans le domaine de la promotion, du respect des droits de l’enfant : l’audience publique est une première au Cameroun.

Pendant deux (2) jours, la CNDHL, ses partenaires et les différents participants  vont se concerter sur la question des abus sexuels perpétrés sur les enfants. Ils devront à la suite des questionnements divers sortir un plan d’action qui permettrait d’éviter, de prévenir, voire de combattre définitivement ce fléau au Cameroun. Pour ce faire, il serait important de comprendre ce que c’est qu’une audience publique.

En effet Abigail Williamson et Archon fung définissent une audience publique comme « un rassemblement ouvert de fonctionnaires et de citoyens dans lequel les citoyens sont autorisés à offrir des commentaires… ». Autrement dit une audience publique est une réunion ouverte où le public est autorisé à exprimer son opinion et ses préoccupations sur une question spécifique et face à une  assemblée, une agence ou une organisation.

Ce procédé, qui a pour but d’obtenir les témoignages et les commentaires du public, permettra aussi aux structures spécialisées dans le domaine, d’exprimer leurs opinions, leurs préoccupations et les actions à mener à cet égard.

Ces journées d’audiences publiques sur les abus sexuels sont, à l’exemple d’un tribunal, ouvertes à tout le monde. La ville de Yaoundé étant le siège des institutions et celui de la CNDHL, il est judicieux que cette activité commence par Yaoundé. Ces audiences pourront dans les jours prochains se dérouler  dans toutes les villes où la CNDHL a ouvert une antenne ou une représentation, notamment à Douala, Garoua, Bamenda, Buéa et Ngaoundéré.

A la suite de cette rencontre, les informations, les recommandations et les résolutions apportées et formulées par les participants seront transmises au Gouvernement pour exploitation.