Non, certes, nous ne sommes plus au temps de Jeanne-d’Arc et les relations franco-britanniques ne sont pas mauvaises. Mais la presse d’outre-Manche s’inquiète de la qualité du dialogue entre David Cameron, le Prime Minister, et le président français François Hollande. En cause, des entretiens repris par la version anglophone (.com) du site Slate… Des propos amènes, certes, mais fermes, qui laissent présager qu’il y aura des frictions entre le Foreign Office et le ministère (ou secrétariat d’État) français aux Affaires européennes.
Évitant de s’en prendre directement à son homologue britannique, Nicolas Sarkozy avait notamment déclaré que si un pays européen (hors « Pigs » : Portugal, Italie…) devait être dégradé par les agences de notations, ce serait plutôt d’abord le Royaume-Uni. Il n’en a rien été, mais de fait, économiquement, nos voisins de l’autre bout du “chunnel” ne sont pas vraiment en meilleur point que nous. La question de la taxation sur les transactions financières, et la position française antérieure, du temps du candidat-président, n’avait pas davantage trop plus trop séduit, c’est un euphémisme, les conservateurs britanniques.
François Hollande ira-t-il vraiment plus loin que son prédécesseur ? On pourrait le penser après un premier entretien (le 4 mai) avec le site Slate (traduit vers l’anglais) se concluant, pour la partie relative au Royaume-Uni par : « la Grande-Bretagne traite l’Europe comme un restaurant libre-service… ».
On peut s’étonner incidemment que François Hollande n’ait pas réservé ses déclarations au site Mediapart (on connait les relations légèrement tendues entre son redchef, Edwy Plenel, et son homologue de Slate, Jean-Marie Colombani, lui-aussi ancien du Monde). Pour le moment, seule la presse britannique s’émeut. Il y a – légèrement – de quoi.
Les considérations de François Hollande se placent dans un contexte. Celui d’un futur référendum d’indépendance de l’Écosse, celui d’une victoire travailliste aux municipales (hors Grand Londres, Boris Johnson ayant éliminé – d’assez peu – son prédécesseur et opposant).
Pour le moment, David Cameron – qui en aurait eu l’occasion puisque c’est le 10 Downing Street qui rédige le discours annuel lu par la reine d’Angleterre, qu’elle vient de délivrer – n’a pour le moment pas estimé utile de répliquer. Mais il considère toujours que l’Eurozone est particulièment fragile.
La presse « progressiste » (ici, proche des travaillistes) britannique considère qu’au contraire mieux vaut une Europe se ralliant aux vues de la présidence française (et d’autres dirigeants trop las de voir seule l’austérité dominer, sans contreparties) qu’une autre, imposant une autre politique beaucoup plus dirigiste et radicale, soit celle que serait supposée dicter l’extrême-droite, de manière dispersée ou… concertée.
Le 4 mai dernier, F. Hollande estimait que « les Britanniques ont été particulièrement timoré sur la question de la régulation financière. ». Il poursuivait en dénonçant l’intérêt exclusif porté à ceux de la City (le Square Mile, épicentre de la finance britannique) et par conséquent « la réticence à mettre en vigueur une taxe sur les transactions financières » et à prôner l’harmonisation fiscale. De plus, le futur (alors) président notait que la Banque d’Angleterre pouvant faire tourner la planche à billets (en fait, surtout par le biais d’un assouplissement quantitatif, aussi pratiqué par la Banque centrale européenne), le Royaume-Uni était davantage protégé de la spéculation, « et de ce fait relativement indifférent au sort de la zone euro… ».
La pique à propos d’une attitude comparable à un convive prenant une cantine commune pour un self-service fait référence aux contributions du Royaume-Uni au budget européen, vieille histoire (Margaret Thatcher ayant obtenu des dérogations spéciales pour son pays). Mais elle va aussi plus loin. Elle laisse entendre que les gouvernements britanniques successifs prennent part à la construction européenne quand les mesures l’arrangent, mais cherchent à s’en soustraire lorsqu’elle ne leur convient pas. « L’Europe n’est pas pas un tiroir-caisse et encore moins un restaurant self-service, » a-t-il relevé textuellement (“not a cash till and less still a self-service restaurant.”).
Défense et coopération industrielle
Mais François Hollande s’apprête, a-t-il indiqué, à rencontrer un David Cameron quelque peu aussi politiquement fragilisé par une majorité indécise, du fait de l’attitude réservée des libéraux démocrates, membres de la coalition gouvernementale dominée par les conservateurs.
Il envisage d’abord la coopération en matières de politiques industrielle et de défense. Les deux sont d’ailleurs liées puisque la capacité de projeter des forces tient aussi à la disponibilité de porte-avions, problème rencontré aussi par la Navy (la France restant en attente d’un second « navire-frère » pour le Charles de Gaulle). Le Royaume-Uni passe plutôt des marchés d’équipement en chasseurs auprès des États-Unis, et en produit de concurrents, dans le cadre d’un consortium européen, des Rafale de Dassault.
F. Hollande, très logiquement, conteste que le couple franco-allemand doive tourner au duopole dominant. Mais il ne semble pas que les conservateurs britanniques, qui l’entendent aussi ainsi, soient très enclins à conforter vraiment la future position française.
La presse britannique, surtout populaire et conservatrice, pointent que le Royaume-Uni contribue tant au FMI qu’au fonds européen de stabilité. Dans ces conditions, les positions du nouveau président français sont vues telles des attaques agressives et gratuites.
Un autre point de discorde entre les conservateurs britanniques et les socialistes français pourrait porter sur l’immigration. Le fait que Martine Aubry, accusée d’avoir mis en place le centre de rétention de Sangatte (Pas-de-Calais), puisse revenir aux affaires fait tiquer. En fait, c’est un assez mauvais procès, tant il difficile de traquer les clandestins voulant se rendre en Angleterre (au sens propre, le reste du royaume offrant moins d’opportunités d’emplois), qu’ils soient regroupés ou dispersés. Le centre de Sangatte avait été démantelé en 2002, alors que Nicolas Sarkozy était ministre, sans que cela apporte de nette amélioration. Cette décision était intervenue à la suite d’une quasi-injonction du ministre britannique d’alors David Blunkett, son homologue à l’Intérieur.
Pour sa part, David Cameron a préféré souligner l’importance de la coopération franco-britannique et inviter François Hollande à Londres, peut-être avant la réunion du G8 (18 et 19 mai, aux États-Unis), ce qui semble improbable.