Depuis que l’Union européenne a décidé, suite aux accords de Kyoto, de lutter pour la préservation de l’environnement, elle a mis en place un système de droits permettant aux producteurs de polluer l’environnement, à condition de payer pour avoir ce droit.

En réalité, les entreprises qui polluent se sont vu, jusqu’ici, allouer des droits gratuitement par les Etats membres de l’Union européenne.

Pourquoi cette gratuité?

Car on n’a pas voulu d’emblée fausser la concurrence en pénalisant les entreprises soumises à un pareil régime, comparées à celles qui ne le sont pas (songeons par exemple à celles situées à l’extérieur de l’Union européenne).

 

Quoi qu’il en soit, chaque pays membre de l’Union européenne, et, à l’intérieur, chaque région, va, en accord avec la Commission européenne, émettre chaque année un certain nombre de quotas (appelés ETS – abrévation de l’équivalent anglais de " Système d’échange de quotas d’émissions") équivalant aux nombre de tonnes de CO2 diffusées dans l’atmosphère que le pays, et, à l’intérieur,  la région, désire allouer, au titre de la pollution, et sous forme d’un montant limite, maximal, aux entreprises polluantes installées sur son sol.

 

Quant à l’entreprise ayant reçu son quota annuel de droits à polluer, si elle ne respecte pas les exigences, en termes de pollution, équivalant à ces droits, elle doit acheter, sur le marché, de nouveaux droits, sous peine d’être pénalisée par une forte amende. Inversement, si elle parvient à réduire sa pollution en deça du seuil imposé par les droits, elle peut vendre, sur le marché des droits, le surplus de droits qu’elle n’a pas utilisé.

 

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En règle générale, toute entreprise peut réduire sa pollution de deux manières : a) en investissant, à production égale, dans des équipements moins polluants; b) en réduisant ses activités (ce qui présuppose qu’elle produira moins, avec ses usines polluantes, que ce qui était le cas jusque là).

 

Imaginons qu’elle investisse dans des équipements moins polluants : pour que son opération soit rentable, il faut que le coût de la modernisation de ses équipements soit au maximum égal au gain que lui permet la réduction des quotas qu’elle utilise pour avoir le droit de polluer. Et comme ces quotas, d’où qu’ils viennent, sont négociés chaque jour sur un marché, l’entreprise fait le calcul suivant : si la vente, sur le marché, des surplus de droits qu’elle n’utilise pas, donne un chiffre supérieur au coût de la modernisation des équipements, elle va effectivement procéder à cette modernisation. Dans le cas contraire, l’opération n’en vaudra pas la peine.

 

Et c’est là qu’intervient la notion du prix attaché aux droits en question. Plus ce prix est bas, sur le marché boursier où se négocient ces droits, moins les entreprises sont incitées à réformer leur appareil productif (en vue d’obtenir une pollution moindre). Inversément, plus ce prix est haut, plus la modernisation est une affaire rentable.

 

Mais le fait est qu’à l’heure actuelle, elle ne l’est guère. Pourquoi ? car, avec la récession économique, les entreprises, tous secteurs d’activité confondus : a) produisent en sous-capacité; et b) n’ont pas les liquidités suffisantes pour investir dans la modernisation de leurs équipements.

 

Si donc le point a) a pour effet de réduire les coûts de l’entreprise liés à la pollution, le point b) vient contrecarrer les effets positifs associés au point a).

 

En clair, la même entreprise qui pourrait investir, dans la modernisation de ses équipements, l’argent qu’elle a reçu de la vente de ses surplus de droits, ne va pas le faire, puisque c’est précisément la sous-occupation de son équipement existant (elle-même, sous-occupation, étant liée à la crise et au manque de demande pour les produits de l’entreprise) qui est à l’origine de pareils surplus.

 

Et si la crise est générale; en d’autres termes, si elle concerne tous les secteurs industriels (et pas seulement tel ou tel), aucune entreprise ne va acheter de tels droits, chose qui va se refléter dans le prix très bas de ceux-ci une fois quotés en bourse.

 

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Voilà pour la tendance générale.

 

S’ajoutent à cela d’autres modalités qui entreront en vigueur en 2013, et qui consistent, l’une à procéder à des mises à l’enchère des droits de polluer (ETS) alloués aux entreprises, et l’autre à se baser sur des normes de pollution (ou standards de pollution – en anglais : benchmarks) qui proviendraient, dans chaque secteur industriel, des résultats émis (sous la forme d’une moyenne), en termes de pollution, par celles des entreprises du secteur qui sont les moins polluantes. (Le but étant ici d’obliger les autres entreprises – i.e. celles qui polluent le plus -, ou à réformer leur outil industriel, ou, deuxième option, à devoir acheter des quotas pour pouvoir continuer à polluer comme elles le font).

 

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Sur la question de la mise à l’enchère des droits, une étude vient de sortir, qui compare les avantages et désavantages de ce système (qui devrait entrer – comme indiqué tout à l’heure – en vigueur en 2013) à ceux inclus dans le système des droits alloués gratuitement aux entreprises (comme ce fut le cas dès le début de la mise en place des ETS); et inversement.

On peut lire ceci dans ce rapport (une fois celui-ci traduit en français) :

 

Titre du rapport : Est-ce que l’industrie grande consommatrice d’énergie fait des profits inhabituels en raison des ETS / Une analyse économétrique valable pour les produits des raffineries, de la métallurgie, de la sidédurgie et de la chimie. Auteurs : Sander de Bruyn, Agnieszka Markowska, Femke de Jong, Mart Bles, en coopération avec Marc de Leeuw, Mathijs Gerritsen and Adriaan Braat: publication number: 10.7005.36; CE-publications consultables sur  www.ce.nl; rapport demandé par the European Climate Foundation; CE Delft

 

 

En théorie, l’efficacité du système (de protection de l’environnement) est réalisée indépendamment de la méthode initiale d’attribution (des droits de polluer).

Les méthodes d’attribution les plus fréquemment examinées sont : a) la vente aux enchères et b) les attributions libres.

Puisque l’attribution libre pèse moins sur les coûts des entreprises, on pourrait penser qu’elle représente un meilleur système dans le cadre des politiques unilatérales de protection de l’environnement. Par le biais de l’attribution libre, les entreprises subissent moins d’inconvénients, en termes de coûts à engager contre la pollution, comparées aux producteurs qui ne tombent pas sous un régime politique de protection de l’environnement. L’attribution libre aurait donc des impacts moins déséquilibrants, sur la croissance économique  et celle des échanges commerciaux, – permettant [ainsi] aux producteurs de l’Union Européenne de concurrencer, à moindre coût, les autres producteurs – que ce ne serait le cas sous le régime de la vente aux enchères des droits de polluer.

Cependant, une telle croyance dans les avantages de l’attribution libre repose essentiellement sur le fait que les producteurs ne repercuteront pas, sur le prix des produits,  les coûts d’opportunité associés aux droits (de polluer) librement acquis. Or, dans le cas contraire, les prix des produits augmenteront, et l’impact sur les échanges et le degré de compétitivité d’un système de libre attribution sera  semblable à celui de la vente aux enchères des droits de polluer.

Le seul effet de l’attribution libre serait alors que les entreprises réalisent des surprofits [sous la forme d’une rente de situation], grâce à l’acquisition gratuite des droits de polluer, surprofits payés [en raison du gonflement des prix]  par les consommateurs [au moment d’acheter leurs biens] aux producteurs. Ce serait là un bien mauvais résultat dans un contexte européen où l’attribution libre est présentée comme la solution idoine pour lutter contre l’émission du CO2. La théorie économique nous indique que les producteurs répercuteront sur les prix de leurs produits les coûts d’opportunité associés à cette libre attribution de droits.

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Dans le cas du groupe sidérurgique Arcelor Mittal, les choses se présentent  d’une autre façon,  qui est la suivante :

 

M. Lakshmi  Mittal, président du Groupe, étant non seulement un industriel, mais un spécialiste du lobbying politique, la question qui se pose est de savoir combien de droits il a pu, grâce à un pareil lobbying, obtenir gratuitement, de la part des autorités concernées, en plus (ou en sus) des droits que les usines de son entreprise devaient de toute façon acquérir pour pouvoir exercer leurs activités (qui sont polluantes par définition).

 

Ce surplus, une fois les droits évalués au prix de marché, représente la recette brute que le Groupe Arcelor Mittal obtiendra de la vente, sur le marché, du surplus des droits (qui, rappelons-le ont été acquis gratuitement).

 

De cette recette, il convient de déduire le coût du lobbying politique, afin d’obtenir le surprofit net associé à une pareille opération (que certains estiment, si l’on tient compte d’une durée comprise entre 2008 et 2012; ou, autre variante, d’une durée comprise entre  2008 et années subséquentes à 2012) aux alentours de  1,2 à 1,4 milliard d’euros. [note a] Bref, une aubaine!!!!).

 

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Ceci dit, quand le groupe ArcelorMittal (qui a déjà contesté deux fois, sans succès, devant la Justice européenne, l’existence même des ETS pour ses propres entreprises) obtient, par exemple, du gouvernement de la Wallonie, telle quantité de droits pour avoir le droit d’y exercer ses activités industrielles, l’argument invoqué par le Groupe est que sans ces droits les usines fermeraient ou travailleraient en sous-capacité,  et qu’il existerait donc du chômage dans la région.

 

Et en échange des droits obtenus pour faire tourner ses usines polluantes, le Groupe va promettre aux autorités en question d’investir plus, dans la modernisation de l’appareil industriel, que la contrepartie de la valeur des droits, afin de réduire la pollution. 

 

Mais là est le noeud gordien de l’affaire : si un accord en béton n’a pas été signé, sur ce point [note b], le Groupe pourra ensuite faire valoir que la demande des produits de l’acier a baissé partout dans le monde, et notamment en Europe (et donc en Wallonie) pour arrêter ses hauts fourneaux (et donc aussi, par voie de conséquence, ne pas utiliser le quota de droits ayant été alloué aux usines concernées – lequel correspond, il est bon de s’en souvenir, à la pleine utilisation des capacités de production de ces usines). [note c]

 

Ce qui revient à dire que le Groupe, non seulement ne va pas investir pour moderniser ses hauts fourneaux en Wallonie; mais qu’en plus il va pouvoir vendre, sur le marché des ETS, le surplus non utilisés des droits qu’il a acquis gratuitement auprès des autorités de la Wallonie.

 

Et s’il ne le fait pas aujourd’hui, au motif que le prix de marché des droits est faible, il le fera plus tard (plus précisément durant la période comprise entre 2013 et 2020)  puisque de toute façon la fermeture du ou des hauts fourneaux est définitive.

 

Et si le Groupe soupçonne qu’une nouvelle loi sortira qui l’obligera à devoir restituer ces droits aux autorités compétentes, il va s’en débarrasser le plus vite possible.

 

Mais quelle que soit la politique du Groupe à propos de ces droits, son but a toujours été de chercher à acquérir, grâce au lobbying politique de son président, M. Lakshmi Mittal, un maximum de droits à titre gratuit , afin :

 

1) de pouvoir continuer à polluer avec ses usines lorsque celles-ci travaillent à plein rendement ou à pleine capacité;

 

2) de pouvoir revendre ces droits en cas de sous-activité de ses usines (elle-même, sous-activité, étant liée, ou bien à un recul de la demande pour les produits de la sidérurgie; ou bien à des transferts d’activité à l’intérieur d’un groupe qui travaille ici non seulement à l’échelle européenne, mais à l’échelle mondiale; ou bien encore, troisième variante, en raison des deux causes précédentes ajoutées l’une à l’autre).

 

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Note a : Voir l’article intitulé "ArcelorMittal et Lafarge ont eu les plus gros surplus de quotas de CO2 en 2008" du 5 mars 2010  et publié sous le site 

http://www.actu-environnement.com/ae/news/arcelor-lafarge-ets-surplus-quotas_9745.php4

 

Le rapport Sandbag figurant dans cet article est téléchargeable, sous la forme d’un fichier PDF, sous le site

www.endseurope.com/docs/100303c.pdf  

 

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Note b : Voir, à ce sujet, l’article intitulé "ArcelorMittal devra-t-il rendre les quotas de CO2 ?" de Cédric Cheneviere, daté du 14 octobre 2011 et publié sous le site

http://citizenbrain.eu/2011/10/arcelormittal-rendre-quotas/

 

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Note c : Voir l’article de Philippe Law intitulé : "HFB : quotas de CO2 pour ArcelorMittal " et daté du 5 mars 2010, lu dans

http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/566965/hfb-quotas-de-co2-pour-arcelormittal.html

 

 

Deux extraits de cet article sont à mettre en exergue :

 

1er extrait :

La Région wallonne lui octroie [ à ArcelorMittal] un permis de polluer de 12 millions de tonnes.

Après des heures de tractations en son sein, le gouvernement wallon a décidé jeudi d’octroyer à ArcelorMittal le volume de quotas de CO2 nécessaires à la relance de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise. Au total, le groupe devrait hériter de 12 millions de tonnes de dioxyde de carbone pour la période 2008-2012. Il s’agit, d’après des observateurs, d’une adaptation de l’accord de 2007 sur le maintien de la sidérurgie à chaud. Le terme est fixé à 2012, car après, le système d’attribution des permis de polluer relèvera directement de l’Europe. En attendant, la décision des autorités wallonnes représente pour le budget régional un investissement que son exécutif a chiffré à 40-60 millions d’euros sur la période. "Cette décision s’inscrit dans le cadre des discussions entreprises avec ArcelorMittal en vue de garantir la réalisation de leur plan d’investissement de 110 millions d’euros sur le site. Ce plan porte sur des investissements de nature économique et en matière d’efficience énergétique et environnementale. Le plan constitue la meilleure garantie du maintien de l’activité du site liégeois au-delà de 2012", a indiqué le gouvernement wallon dans un communiqué.

2ème extrait (qui sert aussi de conclusion à l’article):

ArcelorMittal a aussi marqué sa satisfaction hier devant la décision du gouvernement wallon. Mais il a indiqué que même si les quotas sont octroyés pour la phase à chaud qui compte deux hauts-fourneaux, le marché ne permet actuellement que d’en faire fonctionner un seul.

 

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Or le fait est que les promesses d’Arcelor Mittal ne furent pas tenues puisque nous lisons sous le site  http://www.exxplore.fr/pages/Siderurgie-Liegeoise.php

 

Le 12 Ocotobre 2011, ArcelorMittal a annoncé l’arrêt et la fermeture de la phase à chaud à Liège. Le haut fourneau B, alors le seul en activité, s’arrête ainsi que l’acierie. Evidemment c’est un énorme coup dur pour la sidérurgie qui se voit condamné à disparaitre, brutalement. Pour tous ces ouvriers et familles qui se retrouvent donc au chômage forcé, c’est un véritable drame, cela représenterait (sous traitants compris) à peu près 3000 ouvriers. Acclamé comme étant un sauveur et prometteur pour la sidérurgie lors du rachat d’Arcelor, Mittal n’a pas tenu ses promesses et n’a fait que prolonger un long calvaire qui s’est soldé par une alternance d’arrêt et de rallumage intempestif des outils de production. Incohérent pour être productif donc mais surtout pour rester compétitif sur le marché en ce temps de crise. Certaines poches resteront vides à jamais, d’autres toujours bien remplies.

 

chose implicitement confirmée par  Louis MARAITE qui écrit,dans un article intitulé "A boulets rouges – " et publié le 13 octobre 2011, sous le site

http://www.todayinliege.be/Mital-n-est-pas-metallo-la-presse.html

 

En 2003, la phase à chaud de Liège était déjà morte. Arcelor avait fixé ses funérailles en 2008 et 2009. Puis, en 2006, Mittal a repris Arcelor. Une conjoncture économique favorable a alors poussé le financier indien à revenir sur la décision d’Arcelor et à rouvrir le chaud. Une réouverture à géométrie variable, une réouverture surtout destinée à négocier avec la Région (dites, aujourd’hui, la Wallonie) les quotas de CO2, une réouverture qui faisait de l’Indien le messie wallon. Une réouverture qui suivait une logique purement économique : le marché est en croissance, il a besoin d’acier, fournissons-le lui.

Aujourd’hui, la logique est la même mais le bras de levier est revenu dans l’autre sens : le marché est en perdition, il veut beaucoup moins d’acier, limitons la production pour ne pas plomber les prix en inondant un marché. Et, dixit Mittal, fermons donc ce nid de trublions sociaux qu’est Liège au nom de la « continentalité » du site de production.

Mittal aurait pu parler d’une « mise sous cocon », il a parlé de fermeture. Le vocabulaire est choisi. Si le bras de levier devait repartir un jour dans l’autre sens, si la crise de confiance aux banques pouvait se terminer, si demain le marché avait à nouveau besoin d’acier (c’est quand même un marché assez cyclique qui vit à Liège de manière industrielle depuis …1817), il ne serait plus fait appel à Liège mais bien à des installations implantées dans des pays émergents, moins productives, certes, mais aussi moins coûteuses en main d’œuvre.