Rappelez-vous, ce n’est pas si vieux. Fin février 2012, la police présentait un fils de chaudronnier de la région de Rouen comme « un proche » de Julien Coupat et du « groupe de Tarnac », longtemps présumé d’avoir disposé des crochets pour saboter des lignes de TGV. Michèle Alliot-Marie tenait à coup sûr « son » ultra-gauche, depuis novembre 2008. Puis c’est parti en jus de boudin. Le Rouennais a fini sa garde à vue vendredi 24 février, il n’a pas été mis en examen. La police n’a semble-t-il pas été capable de trouver de quoi le garder au chaud jusqu’à la rencontre télévisuelle opposant Laurent Fabius à Nicolas Sarkozy, ce 6 mars. Le livre de David Dufresne, Tarnac, magasin général, sort pourtant à temps pour remémorer cet épisode.
Bien évidemment qu’un fils de forgeron-ferronnier, travaillant encore avec son père exerçant le même métier, avait « tout pour fabriquer » des crochets, et même « les » crochets.
Un fils de garagiste qui vend et de l’essence et du vin aux touristes dispose de tout ce qu’il faut pour fabriquer des cocktails molotov, non ? Bref, brièvement, fin février, on a cru l’affaire de Tarnac relancée.
Ce coup-là, c’était sûr de chez sûr… une nouvelle fois. Et faute d’être protégé par Laurent Fabius, le suspect aurait peut-être bien pu avoir des sympathies pour Mélenchon…
J’avais, lors de sa sortie, lu et chroniqué l’essai de Marcel Gay, confrère de L’Est Républicain, Le Coup de Tarnac, aux éds Florent Massot (c’était fin 2009, voir « Le coup de Tarnac tombe à l’eau »).
Lors de notre entretien, Marcel Gay confiait qu’il « n’est plus besoin de démontrer que le dossier est vide. ».
Taillé sur mesure pour MAM, ce dossier évoque surtout, dans Tarnac, Magasin général, le trop plein. David Dufresne, pour Calmann-Lévy, a mené un autre type de contre-enquête, en ayant beaucoup plus accès à des pièces policières dévoilées plus récemment que Marcel Gay. C’est gratiné.
Médiapart révèle, dans « Tarnac : les documents inédits des services », divers rapports de police qui ont alimenté l’auteur. Outre un style qu’on ne saurait plus pasticher tellement il date, ces docs montrent à quel point le mythe d’une « situation pré-terroriste » a été vendu aux ministères de tutelle. Ou commandé par ces derniers et servi avec force zèle. Un rapport compte une trentaine de pages, il est accessible sur Scribd, et il mériterait une longue analyse de texte, tant sur le style que sur le fond, notamment à propos du noyautage des syndicats par les autonomes.
Le fameux « sabotage » était tellement bien cerné que 20 policiers dans dix voitures suivaient Julien Coupat à la trace. Près de 32 tomes de pièces et considérations forment le formidable corpus destiné à lier la sauce et accréditer la thèse de ce qui restera sans doute un fait divers mais qui a bouleversé la vie de tant de personnes, celles et ceux de Tarnac, de Rouen, et d’ailleurs.
Les enquêteurs trouvent des « cellules conspiratives » (sic) visant des « flux industriels ». Genre centrales nucléaires et usine de Rafale, sans aucun doute. Voire chantiers de frégates et de sous-marins. En tout cas, à présent, l’accusation doit tenir au moins jusqu’aux lendemains des prochaines élections législatives.
Arrestations spectaculaires
En novembre 2008, on arrête une vingtaine de personnes à Tarnac et du côté de Rouen.
Soit quelques jours après un « attentat » contre une ligne TGV, dont la gravité est très fortement exagérée.
Un « attentat » (en fait une dégradation parmi d’autres, 400 actes de malveillance visent annuellement la SNCF, qui ne pouvait faire dérailler un train, selon la présidence de la SNCF) ! Un acte surtout survendu à la presse.
Aujourd’hui, corroborant Marcel Gay et tant d’autres, David Dufresne confie à Louise Fessard, de Mediapart, « il y a dans le corps de la police des gens qui ont fabriqué cette histoire, d’autres qui ont suivi et d’autres qui n’étaient pas d’accord et qui ont commencé à parler. ». Trop pour ne pas donner aux avocats des mis en examen de quoi démonter totalement le dossier.
Mais Julien Coupat, sur l’insistance de MAM est resté plus de six mois en détention provisoire, et il reste, ainsi que d’autres, qui n’ont pas tous retrouvé le droit de communiquer entre eux, l’objet d’une coûteuse surveillance.
Pour les services, c’était sûr, le groupe de Tarnac ne pouvait que passer à l’action. Ensuite, le prétexte trouvé, il s’agissait « d’intoxiquer les journalistes, » selon Dufresne. J’ai moi-même enquêté, en périphérie (sur des personnes des alentours de Forcalquier que l’ont a désignées être forcément liées au groupe de Tarnac), et compris un peu comment le système fonctionnait. Soit une véritable fabrique de suspects, même si, localement, cela ne tenait pas la route.
S’ensuit une sorte de surenchère entre la ministre, qui veut y croire, et la police, qui a besoin de faire semblant d’y croire, ne serait-ce que pour exister. Il en découle « un magasin général de l’antiterrorisme » et selon Dufresne, pour accréditer ce grand bazar, des policiers étaient prêts à créer des leurres, soit à interpeller « des personnes à qui on n’avait rien à reprocher. ».
Tout devient subversif
Ce que concède un peu le juge Marc Trevidic qui laisse entendre que des gens sont arrêtés tellement en amont « que l’on ne peut être certains qu’ils auraient pu finalement fait quoi que ce soit », même s’ils en avaient eu la possibilité. Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas créer des masques de fer pour des adolescents en pensant que dans dix, vingt, trente, voire soixante ans, ils pourraient passer à une action quelconque, comme par exemple, manifester contre une autre réforme des retraites ? Ou conspuer un président-candidat à Bayonne ?
A-t-on vraiment décidé de surveiller ceux de Tarnac sur la simple présomption du fait que le refus d’utiliser des téléphones portables (pas au point de profiter à l’occasion de celui d’un voisin), soit de s’épargner un abonnement de plus, conduisait immanquablement au terrorisme ? À moins d’être un SDF particulièrement crasseux et un peu dérangé, est-ce devenu la marque de l’antisocial par excellence ? Vouloir consommer autrement est-il le prémisse, le marqueur indubitable de la tentation terroriste ? On pourrait se le demander.
« Dans cette société où nous sommes tous sommés de nous ficher, facebooker, twitteriser, estime Dufresne, apparaît comme une menace ultime le fait de refuser ces pratiques. ». Bientôt, la lassitude de la consommation pornographique deviendra-t-elle un signe de jusqu’auboutisme ? On va finir par le craindre. Et s’entraider au travail, ne pas trop lécher les bottes du petit chef ou de la cheftaine ? Subvention latente, dangerosité qui se manifestera un jour ou l’autre ?
Pas de Rollex ? Au trou !
Pour un jeune, même un Tangui, muni forcément d’un téléphone mobile ou d’une tablette, ne pas arborer de montre-bracelet, passe encore. Mais pour un « vieux » quinquagénaire, ne pas montrer une Rollex ou une Patek-Philippe, c’est forcément être un aigri qui prépare une violente revanche, sauf à paraître miséreux, résigné, dépressif… À ce train, qui n’est pas sans évoquer le Grand Frère d’Orwell dans 1984, mieux vaut donner l’impression d’être, aux yeux policiers, un type de délinquant en puissance, avoir l’air louche de circonstance, si on veut ne pas passer pour un terroriste. On ne vit plus « à la ferme », on occupe « une base logistique ».
En 1968, beaucoup étaient « tous des juifs allemands ». Voilà toute une nouvelle masse d’Irlandais de Vincennes (autre dossier largement fabriqué, pour le plus grand bonheur du capitaine Paul Barril, de plombiers poseurs d’écoutes et des « gendarmes de l’Élysée » de Mitterrand).
Cela n’arrive plus tout à fait qu’aux autres.
Ben Ali n’aura pas eu au moins à faire débourser aux Tunisiens les délires de MAM. C’est déjà une retombée bénéfique du fiasco politico-policier de l’affaire de Tarnac. Il est vrai que dans la Tunisie d’alors, ou dans le Maroc de notre ami le roi d’aujourd’hui, ceux de Tarnac auraient fait l’objet de lettres de cachet. Et pourraient attendre quelques mois ou décennies une mort assez probable ou une grâce improbable les empêchant de réclamer justice.
Cette affaire pose la question de l’extension du terrorisme aux atteintes aux biens. Les petits agriculteurs stipendiés par la FNSEA et sommés de se transformer en casseurs feraient bien d’y songer.
Que cherche-t-on au juste ?
Dans son blogue-notes des Inrocks, Igor Deperraz s’interroge : « à trop vouloir pousser à la clandestinité des représentants d’une gauche plus à gauche, le pouvoir prend le risque et la responsabilité de faire renaître les années de plomb. ». Soit, aussi, de pousser des policiers à se compromettre en finissant par créer, comme au Mexique ou en Colombie, des escadrons de la mort, histoire de se justifier en fomentant des contre-offensives.
Un certain pouvoir avait déjà réussi à transformer une échauffourée à la gare du Nord en mini-émeute, puis en véritable affrontement entre jeunes, usagers, et policiers. C’était quand un individu répondant au nom de Nicolas Sarkozy, déjà impliqué dans de troubles affaires tant à Neuilly-sur-Seine que dans les sphères de l’appareil balladurien, lançait à Ségolène Royal et à François Bayrou qu’ils étaient du côté « des émeutiers ».
Je ne sais encore, ni ne peux deviner, quels arguments il pourra opposer à Laurent Fabius, près de cinq ans après les faits (c’était fin mars 2007). Le candidat était alors ancien ministre de l’Intérieur. Le fraudeur a l’origine de l’incident a été condamné, les policiers promus pour la plupart.
Journalistes complices ?
Tous les journalistes ne se laissent pas si facilement manipuler. Mais selon leurs employeurs, ils savent fort bien faire taire leurs doutes. Alors que Paris Normandie est en liquidation et que des emplois sont menacés, voilà que Gilles Lamy donne la parole à José Torrès et son fils. Je ne ferai pas l’injure à ce confrère d’imaginer qu’il aurait par le passé complaisamment rapporté, sans la moindre nuance, des thèses policières. Et tant bien même : tout est souvent fait pour ne pas laisser la presse contre-enquêter.
Toujours est-il qu’il s’agit du père, ancien syndicaliste CGT, déjà accusé à tort de trafic d’armes en 1970, du gardé à vue le plus récent de l’affaire de Tarnac.
Il a 86 ans. « J’étais au lit (…) j’ai vu une vingtaine de policiers (…) ils ont demandé après mon fils. ». Lequel sera menotté (évidemment, il était soupçonné d’avoir attenté à des biens).
Son fils a passé 35 heures en garde à vue, cela aurait pu être 96, voire davantage. L’atelier a été perquisitionné sept heures durant. Ce dernier commente : « ils connaissaient mon existence depuis longtemps, ils ont justifié leur intervention en prétendant qu’ils avaient de nouvelles infos… ».
Des faits nouveaux, ou une campagne électorale qui se durcit ?
Paris Normandie, qui n’est plus sous la coupe d’un Dominique Raffin ou du groupe Hersant, avait largement donné la parole aux avocats du gardé à vue. « L’ami d’un ami qui a une boîte à outils peut donc, selon l’accusation, être soupçonné d’une infraction qu’elle n’arrive pas à prouver, » confiait Me Jérémie Assous.
Jean Birnbaum, dans Le Monde, estime que Tarnac, après les Irlandais de Vincennes, l’histoire du trafic international d’armes alimentant les caisses du PS (affaire Forestier et consorts, totalement montée en épingle, dont j’eus à connaître, lors d’une campagne de Jacques Chirac), bien d’autres encore, serait « le nom d’un État souverain et suicidaire, en proie à ses pulsions sécuritaires. ».
Relégués souvent au rôle de simple relais, de porte-voix du pouvoir, les journalistes gagneraient à faire plus souvent œuvre de mémoire. Il en est, et c’est bien un « mémoire » que livre Dufresne. Pour qu’aucun n’en ignore et ne puisse faire semblant d’oublier…
En attendant le résultat des élections présidentielles et le retour à un état « normal »!!!l’affaire ou plus simplement la non affaire de Tarnac ne prend pas dans la Presse audiovisuelle.Le Rainbow warrior avait mobilisé les antennes ….Pourquoi? On peut s’interroger?
Une affaire de dégradation de bien public (4000 par an à la SNCF) est devenu l’affaire terroriste du moment…Ne soyons pas non plus naïf…Combien de trains arrêtés par le déclenchement d’alarme avec un voyageur qui descend sur la voie pour s’éviter de la marche à pied .Un état de droit ,c’est un état où la Justice est la même pour tous et où les droits de l’homme permettent une égalité entre la défense et le ministère public.Dans cet affaire…des hommes mis à nus ..des questions sur des positions philosophiques…et le plus incroyable en 2012 ,des livres oui des livres mis dans la procédure.Ces dérives sont intolérables pour la République et les fonctionnaires de Police et de Justice qui font par ailleurs et loin des manipulations politiques leur travail avec un remarquable sens déontologique et un grans dévouement…igor deperraz