Il en fait toujours trop Jean-Jacques « Jiji » Tachdjian, dit El Rotringo. Ou pas assez à notre gré, c’est selon. Alors qu’il a exposé à Los Angeles, voilà ch’ai pu combien de temps que je l’incitais à se montrer à Paris. En vain. Et tout à trac, le voilà jusqu’au 28 avril chez Mona-Lisait, au 211, Faubourg Saint-Antoine (près Faidherbe-Chaligny). 

El  Rotringo est sans doute l’artiste graphique le plus tarazimboumant, prolixe, exhurluberlubérant, fécond, et tout le tralala d’antan, de naguère et du moment.

Il aura toujours 30 ans, Jean-Jacques Tachdjian.
Sa dernière expo, immense, à la Condition publique de Roubaix (voir « Jiji Tachdjian, typographiste animalier »), marquait déjà ses « trente ans de créations ».

Bien évidemment, même sur, quoi ? cent ou 200 m2, il ne montrait au mieux que partie de sa production des deux-trois dernières années. Tachdjian nous refait le coup chez Mona-Lisait.

Un mot sur cette librairie de soldes, un peu d’ancien, à succursales. J’en veux à l’enseigne de m’avoir privé de L’Équipement de la Pensée, à Bonne-Nouvelle.

Pourquoi n’avoir pas conservé trace du nom de l’ancien établissement ?

Mais bon, Jiji, tu ne te fourvoies pas, avec l’ami Renaud Faroux, critique d’art et essayiste, chez eux, à l’orient de la Bastille, jusqu’à fin avril 2012. On finira bien par te retrouver sur les deux niveaux de la galerie Anatome, celle des grands graphistes, un jour, ou mois, ou l’autre…

Franc foutraque

Bien sûr, alors que l’expo est visible depuis le 22 dernier (et jusqu’au 28 avril 2012), Jiji ne m’en a fait part que tout récemment. Ses relations avec la presse sont aussi foutraques que ses sites (celui de La Chienne, son association, en particulier). El Rotringo, qui a sans doute plus d’une centaine de polices de caractères à son actif, et de très bonnes, quelques-unes de très, très pro, n’a jamais su les vendre, pas davantage que lui-même. La plupart du temps, il donne… Beaucoup. Il se donne, et s’adonne sans cesse, quasi obsessionnellement, à la création pour la création. Du coup, ses créas qu’on n’ose qualifier de « commerciales », plutôt nombreuses toutefois, sont surtout des livres. Comme par hasard (tu parles), les autoédités ont fini par l’emporter.

Pour visualiser un état antérieur, forcément trop partiel, voyez les deux pages que lui a déjà consacrées le site PixelCreation. Sa collaboration avec les magazines Pixel et Création numérique, qui furent précurseurs tant de l’infographie, fut riche (pour eux, guère pour lui, et leur successeur,Créanum, leur doit son « mast », son en-tête, gratos, merci encore Jiji).

Letters on Fella

Il communique si bien, Jiji, que si on ne lui arrache pas les infos, il faut deviner de quoi il en retourne. Or donc, pour le prix (entrée gratuite) d’une, nous aurions, si j’en crois l’invitation, deux expos. L’une, genre fausse rétrospective Tachdjian (au moins 32 ans, mais c’est marqué « 30 ans », et en fait tout juste deux, au plus…), tiendrait des miscellanées, d’un dosage du mélange de ce qu’il a envie de montrer sur le moment. L’autre, thématique, serait un hommage au graphiste Ed Fella, qui s’est aussi concrétisé sous forme d’un livre (200 ex., 20 euros seulement, pour 30 pages 40×24,5 cm, ce qui n’est pas du tout cher pour un tel portfolio « collector » sous couv’ carton).

C’est Renaud Faroux qui s’est brillamment collé au texte, reprenant la formule de Fella, Design is a sign signed. Oh Fella, ta chanson, ta chanson colle à la peau ! Cela m’est venu comme ça, comme cela aurait pu survenir graphiquement à Jiji, d’évoquer Nougaro, au fil de l’eau. Pas du jus de crâne boudin, comme pourrait sans doute le dire Fabien Bardoux, la prose de Renaud Faroux. Lequel publie aussi, chez Mona Lisait Books Factory éds, un Narcisse à Echo Park. Mona Lisait distribue aussi les albums de Pepin Press, que des pépites.
Voyez aussi le catalogue Anatolia.

C’est sous-titré « une incursion dans ma mythologie ». Il devrait y en avoir d’autres à l’avenir.

Mission impossible

Il faudrait qu’un jour je produise une biographie autorisée de Tachdjian. Un jour… Celle de Tom Corraghessan Boyle est toujours, non pas dans les cartons, mais sous forme d’une chemise avec T.C. Boyle au feutre dessus. Vide, évidemment. C’est le hic quand il y a trop plein. Chez Tachdjian, c’est la surabondance qui freine le procrastinateur, même exubérant. Pondre un Tout Tachdjian est une gageure à la hauteur d’un Tout Picasso que personne n’a tenté, et pour cause. Faut fractionner. Plusieurs tomes d’une Pléiade illustrée, cela revient à se vouer à une vie monacale qu’il faudrait commencer tôt, au stade moinillon.

Tel un Picasso qui serait revenu par intermittences à sa période bleue et à d’autres, Tachdjian ne fait pas que dans la ligne grasse, le proliférant. Il donne aussi dans le léché délicat, voire carrément l’épure. Je sais, cela semble plutôt rare : c’est beaucoup plus évident dans sa création typographique que dans ses autres productions. Très peu de Bauhaus-like (ce qui signifie un peu quand même à l’occasion), énormément de chiots, tous bâtards et mignons, comme la descendance des 101 dalmatiens ayant sailli toutes les chiennes des refuges. All merry goodenough fellas.
Pour la plupart.
Avec d’excellentissimes trouvailles racées fréquentes.

L’aspect goût de chiottes accentué, détourné, surchargé, en rafales de décharges assumées, peut décontenancer : nous ne sommes pas en la compagnie d’un minimaliste postraphaelite ou d’un brutiste précieux.
Nombreux sont ceux, les niais, qui ne retiennent de Tachdjian que ce Rotringo-là sans voir ce Rotringo-ci, aveugles aux sol-la-mi-ré-fa-do (y milonga).

Je n’oublie pas que Jiji est musicien, comme Boris Vian ou Woody Allen.

Sa vie « mode d’empoigne » (c’est de lui) ne tient pas dans un, des livres, mais elle délivre à foison, dégourdit, affranchit… sans autre valeur faciale que ce qu’il a d’épris.

Sous couverture d’incognito

Énigmatique Renaud Faroux. Si j’en crois la catégories « images » de Google, il doit être l’auteur de Dans la roue de Robic, d’un Le Divorce pour les nuls, du Guide du calcul pour le béton armé, du Vocabulaire islandais, et du Cours d’automobiliste et de motocycliste, entre autres ouvrages et manuels. C’est dire si on ne le présente plus. Nan, c’est pour brouiller les pistes qui mènent plutôt à très beau livre, Cédric Crespel, artiste plutôt singulier. Aussi à de nombreuses contributions à des revues artistiques et vers diverses autres images ou créations de Tachdjian dont il est et reste un déjà vieux compère.

Citons aussi Side Effects de Philippe Huart, et le livre Peter Klasen. Il collabore aussi à la revue Étapes (ex-graphiques) de l’éditeur Pyramyd et à publié divers entretiens avec des artistes tels Bill Viola et d’autres créateurs nord-américains.

Ses déambulations le conduisent un peu partout. La Chienne (les éditions de…) avait sorti son Un piéton à L.A. (doit être épuisé ?). Autant vous retrouvez Tachdjian un peu partout sur le ouaibe (MySpace, Facebook, ses propres sites de La Chienne…), autant Faroux poursuit ses périples incognito.
Son Narcisse déteint (noirs sur blancs) quelques indices pour le pister.