On se demande à quoi joue le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble. Alors qu’il sait le vote des parlementaires grecs acquis, vise-t-il à meurtrir davantage les sentiments des manifestants protestant que l’Allemagne les étrangle ? Redire une nouvelle fois que la Grèce doit cesser d’être un « puits sans fond » et qu’elle pourrait retourner à la drachme sans pour autant quitter l’Union européenne, était-ce bien opportun à quelques heures d’un scrutin… Préparerait-il son opinion à lâcher la Grèce, si ce n’est en mars, du moins après les élections françaises ?

Comme j’avais titré, le 8 février dernier, lucidement, sur la Grèce « http://www.come4news.com/la-grece,-un-puits-sans-fond-781179 », à l’affirmatif et sans point d’interrogation, il me fallait bien trouver autre chose que la forte déclaration de Wolfgang Schäuble ce dimanche au Welt am Sonntag. Je sais, un journal dominical paraissant un dimanche, ce n’est pas très original, et des Danaïdes autres que grecques le seraient davantage.

Mais, faute d’avoir placé une marionnette finlandaise ou autre au poste de Cerbère de la Grèce, voici donc l’Allemagne qui rejoue son Argos, le père tout-puissant des Danaïdes, version détenteur, lui, d’un réservoir, qu’il ne voudrait que ses filles considèrent inépuisable…

À Bruxelles, les correspondants permanents se sont vraiment demandés si Angela Merkel ne souhaitait pas que la Grèce se déclare en faillite. Pas pour s’en laver totalement les mains, mais pour proclamer « che fous l’avait bien dit ». Certains, des Britanniques, en avaient clairement fait état et je le signalais dans « Grèce : des ministres sous mandats d’arrêts ». Arrêts multiples, et non uniquement celui des emprunts. La Grèce est au bord de la stase, en blocages.

Tout le monde ou presque avait déjà entendu le ministre allemand des Finances dire haut et fort son sentiment et rassurer son homologue portugais auquel, même en cas de défaut imminent, il assurait un autre traitement, moins drastique. Qu’avait-il besoin d’en rajouter une louche, puis deux, puis trois, dans le Welt ?
C’est en effet gratiné, l’expression « puits sans fond » étant récurrente, le rappel que les promesses et les bonnes intentions ne suffisent plus répétitif, pour conclure : « la Grèce doit faire ses devoirs (…), que cela passe par un nouveau plan de sauvetage ou par une autre voie que nous ne souhaitons pas prendre. ». Je décrypte très mal l’allemand et je n’ai pu saisir si le nouveau plan envisagé était l’actuel ou un futur complément d’objet direct ou indirect (via la BCE ou tout autre) qui semble d’ores et déjà devoir succéder à celui que sollicitent ce soir les parlementaires grecs.
En revanche, l’allusion à la sortie de la zone euro est claire. L’Allemagne aurait concédé assez pour que la contagion ne soit pas aussi catastrophique qu’initialement envisagée, le pare-feu pouvant alors être déplacé au seuil du Portugal sans trop de risque. Quand cela, c’est une autre histoire…

L’Union européenne resterait au chevet

Schäubel a clairement indiqué que le retour à la drachme, « éventualité sur laquelle personne ne table » (tout dépend de la table, et il n’en est pas qu’une) n’impliquerait pas une rupture avec l’Union européenne.

Et hop, la fille portugaise, fautive mais repentante, est vantée à l’écervelée grecque, folle plus tout à fait vierge aux yeux de l’Allemagne. Enfin, du moins, du parti au pouvoir car l’opposition semble se rallier au point de vue exprimé par François Hollande (et, de fait, Monti et Rajoy). « Les Grecs sont un cas à part… ». À part de marché aussi.

Notamment pour les banques allemandes qui avaient tiré profit des Jeux olympiques d’Athènes, pour les constructeurs automobiles allemands, pour les fabricants de sous-marins et d’armements allemands. Là, les parlementaires grecs, et la rue, envisagent un peu trop de renoncer à l’effort de défense. À quoi bon continuer à soutenir la Grèce coûte que coûte. Le ministre de Merkel a évoqué des sondages laissant penser qu’une majorité domestique consentirait à un effort… payé de retour.

Si les unes (les Danaïdes) disent stop (aux armements), Vater (papa) Argos pourrait leur réserver le purgatoire que, de toute façon, elles doivent envisager d’une manière ou d’une autre. Pour que nul n’en ignore, l’entretien s’est déroulé au restaurant du Club des journalistes Axel-Springer à Berlin. 

Schäuble a aussi considéré que le cas grec était plus problématique encore que la réunification allemande.

Trop lourd rocher pour Sisyphe

Mais que voit-on en Grèce à présent. Davantage de SDF, beaucoup de gens faisant les poubelles ou la queue pour les soupes populaires. En un mois, 1 % de chômeurs de pire (21 %).
Le tiers de la population se retrouve déjà sous un seuil de pauvreté qui, parce qu’il est relatif, ne veut plus dire grand’ chose. Et la colère monte. Sérieusement.
On le voit en surveillant l’évolution des slogans, des graffitis, &c. C’est du genre « les bankers à la lanterne ».
On n’a pas vraiment de quoi s’armer, mais le retour d’une dictature militaire, que l’on combattrait, devient plus souvent évoqué.

Ce dont l’Allemagne et d’autres se doutent, c’est que d’exiger que les principaux partis s’engagent à respecter l’accord demandé au-delà des élections d’avril fait bien sur le papier, mais quelque peu symbolique.

C’est un peu comme d’exiger, en France, que l’UMP et le PS s’engagent fermement à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires jusqu’à un terme fixé (là, c’est au-delà de 2020 pour l’austérité). Et puis les élections surviennent, et les non-signataires, Front de gauche, PC, UDF ou autre, Front national, raflent les trois-quarts des sièges, voire davantage.
À une époque, n’importe quel nouveau venu ayant obtenu l’investiture gaulliste était quasiment assuré d’obtenir un fauteuil. Là, non seulement on veut sortir les sortants, mais même un candidat vierge étiquette coalisé (Pasok, Nouvelle Démocratie, le Laos ayant pris la tangente) part avec un lourd handicap.

Papa Argos n’a guère besoin d’enfiler des haillons et de rôder le soir tombé dans les rues d’Athènes ou d’ailleurs pour prendre connaissance du mécontentement.

Chez Citigroup, il est considéré qu’il y a une chance sur deux que la Grèce quitte l’Eurozone vers mars 2013. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas un risque qu’elle en sorte avant. Ambiance.

Argos le sait aussi, et préfère dire à ses frères allemands : « eh, vous vous souvenez, je vous l’avais bien dit… » au cas où cela tournerait mal. Vous pouvez suivre à la minute, ou presque, les nouvelles sur Athens News. Voilà que les vétérans de la résistance grecque appellent à s’indigner. Les gaz lacrymogènes répondent aux cocktails molotov. Les manifestants à Athènes pourraient être environ 50 000 (30 000 environ son déjà sur place). Il n’y en avait environ que 10 000 vendredi.

Pour sa part, George Soros estime que l’accord pourrait amener un sursis de six mois. De tout façon, comme l’illustre le dessin de Martin Rowson pour The Guardian, il n’y a plus de rab à espérer gratter sur la Grèce. Tous les os sont déjà pratiquement déjà rongés et le tænia, lui, est depuis longtemps réfugié à l’étranger (les armateurs, les grosses fortunes, &c.). Caricature un peu outrée, sans doute, ou tout juste prémonitoire ?

P.-S. – Quel talent, ce Martin Rowson (voyez l’original sur le site du Guardian en plus grand format).