La finance n’a pas que deux mamelles, à multiples pis, mais le Libor (London Interbank Offered Rate) et le Tibor (idem pour Tokyo) font le lait des banksters. Non pas en tant que tels, mais parce que les taux ainsi fixés pour échanger des sommes entre banques sont contournés. Pourquoi pas ? Eh bien parce que ce sont les taux officiels qui sont répercutés sur la clientèle, notamment lorsqu’ils acquièrent ou vendent des produits dérivés.
Ce n’est qu’une confirmation de plus ? Ou de pire encore ?
Les autorités de régulation des marchés américaine et japonaise, mais aussi la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne avaient auparavant flairé un loup.
Cette fois, c’est la Comco (leur équivalent suisse) qui débusque le lièvre. Société générale, UBS, Crédit Suisse, Citigroup, JP Morgan Chase, HSBC, RBS, Rabobank, Deutsche Bank et au moins deux banques japonaises sont mentionnées.
Plus certainement d’autres banques sans siège en Suisse, qui se sont sucrées, en concertation, sur le dos de leurs clients, et copieusement. C’est l’internationale des banksters.
Selon Le Temps (.ch), l’enquête s’étendra sur deux ans et elle sera quasi-mondiale. Début 2011, des documents ont été transmis à la Comco. Vendredi dernier, elle a fait état « de possibles accords cartellaires entre des banques qui auraient collaboré pour influencer les taux de référence Libor et Tibor ainsi que le commerce sur dérivés. ».
Le Libor, c’est le baromètre de la finance car la place de Londres donne le la mondial. Il fixe un taux de référence pour les échanges entre banques en diverses devises (euro, dollars USD et CA, sterling, franc suisse, couronnes…). Chaque jour, à heure fixe, les grandes banques communiquent à la British Bankers’ Association les taux qu’elles s’appliquent pour se prêter à Londres. Est ainsi déterminé un taux moyen, qui se répercute sur le calcul de celui des prêts aux entreprises et pour de multiples transactions. Cela se répercute sur des montants, libellés en diverses devises, qui, cumulés, équivalent à une somme de 350 000 milliards d’USD. Une paille : le PIB de toute l’Union européenne, c’est 16 300 milliards d’USD au mieux, près de cinq fois moins, à la louche…
Large entente, cartel uni
On ne sait si la banque dite « du Vatican » est dans le coup, mais mieux vaudrait mentionner les banques européennes qui n’y sont pas que celles ayant trempé dans la combine, ce serait plus clair. Il y a les taux, mais aussi les écarts (spreads) des taux sur les produits dérivés. La Finma suisse, l’autorité des marchés, envisage sa propre enquête « pour éventuelle violation des normes protégeant l’intégrité du marché, du droit de la concurrence, ou non-respect de la garantie d’une activité irréprochable… ». Que ces choses là sont élégamment dites lorsqu’il s’agit d’escroquerie.
De simple soupçon de filouterie, arnaque, carambouille, fraude, abus de confiance, tromperie, bien évidemment. Comme s’il n’y avait pas eu de fumée et de feu auparavant.
La Tribune (.fr) évoque « douze banques européennes, américaines et japonaises » mais n’en citent au total que onze, oubliant au passage Deutsche Bank Aktiengesellschaft. Omission involontaire à la lecture du communiqué de la Comco qui se garde bien de publier toute la liste.
Par leur comportement « les traders pouvaient obtenir une distorsion des taux de référence en leur faveur, » indique sobrement le communiqué signé par par Olivier Schaller et Thomas Nydegger. Leurs courriels figurent au bas du communiqué (ou utiliser [email protected]), nous les prions publiquement de publier toute la liste…
Les traders ont bon dos. Bastien Buss, du Temps, et Christian Bovert, juriste genevois, estiment qu’il est « difficile de croire qu’il s’agit de quelques traders isolés, agissant individuellement ». Mais si des têtes doivent tomber… L’ennui c’est que, à chaque fois, les banques s’en tirent avec des amendes plus ou moins négociées. Qui les règle de fait ? Leurs actionnaires ? Leurs clients ?
Plus cela change…
Avec les banksters, plus cela change, mieux c’est la même chose. Un peu comme lorsqu’un avocat général ou un procureur requiert contre un ou des policiers. Fortes paroles puis… pof ! peines avec sursis, amendes douces, et quelques années plus tard, le contrevenant, voire le criminel, est généralement promu. Parfois, la peine peut être exemplaire, surtout si le condamné est en tout début de carrière et ne donne pas satisfaction par ailleurs, ou tout près de la retraite (laquelle ne sera pas amputée).
Très, très rarement, une banque sera fermée, ses dirigeants poursuivis au pénal. Généralement une petite plus crapuleuse que les autres. Les grandes, elles, sont trop importantes pour être abandonnées à la justice : elles s’en tirent avec des amendes. La somme est assez rondelette pour que le gogo n’ait pas l’impression qu’on se moque de lui. Jamais assez grosse pour qu’il se dise qu’il serait grand temps pour lui de changer de banquier. Lequel fait rarement, comme Madoff, son mea culpa. La somme apparaît sous un intitulé quelconque dans les documents remis aux actionnaires.
Vous voulez des exemples ? Tenez, le Géfil français a été sanctionné par l’Autorité de la concurrence, ainsi que ses membres, « dix cabinets de conseils du secteur de l’ingénierie des loisirs, de la culture et du tourisme » qui ont appliqué des consignes de prix. Le 13 janvier dernier, l’autorité a infligé des amendes culminant à 510 000 euros (Deloitte conseil) et 49 900 euros (Somival, les autres étant Arc essor, Assaï, Hôtels Action conseils, Promotour et… Maîtres du rêve, les amendes les plus faibles s’élevant à 800 euros). Deloitte tremble. Mais c’est quand même deux millions d’euros infligés dernièrement à SFR, rien que pour ses tarifs abusifs à La Réunion ou Mayotte. Un tiers du parc client était concerné. Il va toucher quoi, en dédommagement, ce tiers du parc client ? Et qui va, au final, régler la note ?
C’est d’ailleurs étonnant. Quand un criminel écope d’une peine jugée trop faible par les parties civiles et l’opinion, l’UMP critique les magistrats, comprend la douleur des victimes, &c. Quand il s’agit de class actions, de plaintes concertées introduites par les lésés des banksters ou des dirigeants des grandes entreprises, l’UMP freine des quatre fers. Mais bien sûr, Sarkozy veut moraliser la finance depuis… au moins 2008. Nul doute que, cette fois, il va exiger de la Banque de France et de l’Autorité des marchés française une totale collaboration avec les Finma et Comco suisses. Tiens, voilà une mission toute trouvée pour le couple Woerth. La Suisse, ils connaissent.
Restons impartiaux. Daniel Bouton, ex-Société générale, a sorti un livre intitulé Sarko m’a tuer (Stock). Bah, il siège encore aux conseils d’administration de Total et de Veolia et il a investi partie de ses stock-options dans la création de sa société de conseil. Il reste « président d’honneur » de la Société générale, et DMJB Conseil, sise près du parc Monceau, sa société, n’a guère besoin de surveiller ses dépenses de gaz. Il préconisait, en février 2011, de sacrifier quelques symboles de la République : « comme le ménage ruiné par le chômage et les dépenses incompressibles, la République doit accepter de mettre au Mont de Piété les bijoux de famille. ». La Comco et d’autres autorités vont sans doute sanctionner la Société générale pour des faits remontant à la période où Daniel Bouton dirigeait la SocGen. Mais qu’on ne s’inquiète pas : les gonades de Daniel Bouton resteront douillettement au chaud, et pas dans un linge quelconque chiné dans une poubelle.
[b]Au moment de l’affaire Kerviel je préconisais le renvoi dans leurs foyers (parfois une petite mise au frais, genre garde à vue) des principaux dirigeants des banques au moins européennes et + si affinités ainsi que la mise sous séquestres de leurs biens en attente d’inventaire (adieu parachutes dorés), bref on m’écoute jamais ![/b]