Les personnalités québécoises sont-elles plus (ou moins) vénales que les françaises, ou adhéreraient-elles moins à la formule de l’Huffington Post ? Toujours est-il que quelques plumes ou personnes en vue au Québec ont décliné les sollicitations de l’équipe locale recrutée par Arianna Hufington. Le lancement de l’édition québécoise, mercredi prochain, se fera sans elles et eux…

200 permanents, des masses de contributrices et collaborateurs bénévoles, The Huffington Post, passé sous la coupe d’AOL, se porte fort bien aux États-Unis : 35 millions de visiteurs uniques revendiqués, soit davantage que le visitorat du New York Times. L’édition canadienne anglophone et l’édition britannique semblent avoir trouvé leur rythme de croisière. Pour la française de France, on ne sait encore. Pour la québécoise, ce sera moins évident peut-être. Alors que l’édition, disons, hexagonale, a drainé un peu tout le monde, y compris le vrai-faux et faux-vrai retraité du journalisme, Jean-François Kahn, ses équivalents québécois ou les Québécoises les plus présentes dans les médias renâclent. Parce qu’elles préfèrent se faire rétribuer ailleurs leurs tribunes ou en raison d’une réticence plus globale ?
On ne sait et c’est bien sûr à l’usage qui confirmera ou infirmera s’il s’agit d’une bouderie passagère ou d’un refus définitif. Toujours est-il que La Gazette de Montréal (The Gazette, anglophone) relève que des personnages politiques, des intellectuels en vue, ont allégué qu’ils n’auraient pas le temps d’écrire pour la princesse Arianna. D’autres préfèrent cacheter ou piger ailleurs…

L’emprise du ou des Huffington se poursuit mondialement. Une édition espagnole sera lancée fin mars, l’italienne en avril, et des sites allemand, turc ou brésilien sont prévus ultérieurement.

En France, avec Slate, Atlantico, et dans de moindres mesures Agora Vox ou Mediapart, ou bien sûr le tandem Nouvel Obs’-Rue 89, et d’autres, la concurrence est rude. On ne sait si d’autres sites, tel Come4News, bénéficieront ou non de la disparition de Le Post (.fr). Un timide début de migration semble toutefois pouvoir être observé.

La rédaction québécoise travaillera quelque peu en synergie avec la française sur l’international, et en particulier, par exemple, les élections aux États-Unis. Dans son entretien avec Jeff Heinrich, de la Gazette, Arianna H. a cité le nom de deux personnalités qui ont finalement décliné son invitation. Mais l’essentiel est-il bien là ? En fait, la presse québécoise se distingue par la couverture ou le traitement de sujets originaux, voire marginaux. Rue89 est de ce point de vue assez proche de cette presse francophone. Pour le moment, on ne peut pas vraiment dire que la version française se distingue : elle pompe très fort les sites des titres de presse classiques (adossés sur des versions imprimées), sans vraiment apporter une réelle plus-value (prolongement des infos, angles différents). La synergie avec Le Monde, passé en diffusion derrière Le Figaro (pour le papier), n’est pas non plus vraiment évidente.

Avec sept permanents au Québec, L’Huffington QC démarre petit. Mais il s’est trouvé des partenariats de choix (en France, L’Oréal et Orange), comme Johnson & Johnson. La rédaction pourrait donc s’étoffer si les résultats sont satisfaisants.

Comme Marianne2, l’Huffington a recours à des partenariats avec des blogueuses et blogueurs (autant, tant qu’à faire, se reporter à l’original, comme pour le blogue de Catherine Cerisey), tout comme Libération qui, un temps, avait offert de l’espace disque à des bénévoles (ou pas). Marianne2 a au moins le bon goût de créer des liens vers les blogues.

La version canadienne francophone se fonde sur un plan d’affaires de 200 000 visiteurs uniques par mois. Elle part avec un handicap. Le Post était connu, l’Huffington est pratiquement ignoré, à son lancement, par une très large majorité au Québec. Il n’y a pas non plus d’équivalent d’Anne Sinclair au Québec. Or, en France, passé l’effet de curiosité, l’apport de l’épouse de Dominique Strauss-Kahn, s’émousse. Son dernier édito, fort convenu (sur les interventions télévisées des principaux candidats à l’édition présidentielle), aligne les lieux communs, lus partout (genre : « trois mois, c’est long »). 

Ce qui risque de freiner l’essor de la nébuleuse d’Arianna H., c’est que le formatage, qui réussit si bien à la presse féminine ou pipeule, risque vite de lasser. À priori, en divers domaines et secteurs, l’offre crée la demande. Si elle ne se diversifie pas, le soufflé risque de retomber…