Sur l’euro, il n’y a plus que l’épaisseur d’une feuille de papier de cigarette entre Jean-Pierre Chevènement et Marine Le Pen. Les deux, selon des visées et sur des tons différents, mais voisins, prônent de fait le retour au serpent monétaire européen. Cela traduit-il un déficit de volonté politique ? Et n’y a-t-il aucun Plan C envisageable ?

Il est cocasse de lire J.-P. Chevènement, dans le Huffington Post, évoquer « les élites qui ont fait de l’euro (…) leur fétiche. ». Argument facile. Faut-il donc rappeler que l’euro avait été souhaité, par exemple, par ceux qui n’admettaient pas de partir avec 100 francs en poche pour faire un tour d’Europe et n’en avoir plus de disponible que 50 ? La moitié de la somme était consacrée aux frais de change, partait dans la poche des banques et des États (du fait de la TVA).
Certes, c’est prendre le problème par le gros bout de lorgnette. Je veux bien admettre que les routards soient une constituante de l’élite, mais plutôt de celle, mettons spirituelle et intellectuelle, qui plaçait beaucoup d’espoir dans une Europe unie, dotée d’une monnaie commune.
Admettons-le avec le candidat à la présidence de la République française du MRC, l’euro ne « fonctionne » pas, comme le souligne David Cameron et les eurosceptiques (qui ne sont pas que britanniques). Pourquoi ? Ne serait-ce pas par exemple parce que la vision française de la Politique agricole commune, la PAC, était, osons-le mot, colonialiste ? Ou en raison de pratiques que l’Irlande, imitant en cela des régions françaises subventionnant des implantations d’entreprises, a pu, sans frein, mettre en pratique ? Ou parce que des Chevènement n’avaient pas la carrure de devenir des dirigeants européens de premier plan et préféraient être premiers en leurs villages ? Cette dernière remarque est éminemment caricaturale, abusive, mais Jean-Pierre Chevènement, bon débatteur, qui ne dédaigne pas à l’occasion l’outrance policée, ne m’en voudra pas trop durablement.
Déficit de fédéralisme
Chevènement est sans doute un souverainiste sincère. Les fédéralistes le sont tout autant, en majorité. Dire que les « élites » organisent le remplacement de gouvernements démocratiques élus (par qui, au juste ? celles et ceux qu’ils ont poussé à l’abstention de plus en plus massive ?) par des technocrates néolibéraux, c’est faire fi de la prédominance décisionnaire de ces mêmes gouvernements. La « périphérie sous-industrialisée » (soit les Pigs) l’a été aussi parce que les banques dominantes, dont les françaises, appuyées par les gouvernements français successifs, et d’autres, l’ont voulu ainsi. Il s’agissait, aussi, sans trop de contraintes, de favoriser l’implantation de Nokia en Roumanie (après un détour lucratif par l’Allemagne), pour que la firme finlandaise file… au Vietnam. Aussi, de faire en sorte que Bouygues et d’autres puissent profiter de nouveaux marchés qu’ils ont ensuite abandonné, les poches pleines.
Compétitivité
On ne voit guère de fait en quoi, avec plus d’Europe à l’ancienne ou plus d’Europe disloquée, la compétitivité des pays dominants européens ou des autres serait supérieure à celle des pays émergents. Pourquoi donc un Mercosur renforçant sa coopération économique – et politique – deviendrait-il moins compétitif qu’une France souverainiste ? Oui, « il faut bien enfreindre les tabous ». Mais est-ce bien vraiment l’euro, ou ce qui en a été fait, qui est seul « pénalisant pour la croissance » ? Quel est donc ce « cap conforme à l’intérêt de tous [les peuples de l’Europe] » ?
On connait l’argument, poussons-le jusqu’à créer une monnaie corse, une autre, alsacienne, une troisième, francilienne, &c.
Une partie de l’opinion écossaise veut se détacher du Royaume-Uni, une minorité bretonne souhaite une plus large autonomie vis-à-vis de la France. Oui, « le désordre appellera l’ordre », pas forcément celui, autoritaire, voire dictatorial, que redoute Jean-Pierre Chevènement. Mais le risque ne peut être écarté. Celui du fractionnement, mais tout autant celui du retour de l’Anschluss ou d’une nation magyare. La Belgique, l’Italie du Nord, tout proches, manifestent aussi des tentations séparatistes.
Le Plan B de Jean-Pierre Chevènement est un pari, qui n’est sans doute pas qu’économique. Peut-être pourrait-il réussir, au moins un temps. Mais Jean-Pierre Chevènement est trop féru de critique marxiste pour ne pas réaliser que le dépassement du Plan A consiste aussi à envisager un autre plan… Rappelons que la compétitivité n’est pas ran-plan-plan seulement par zones géographiques, mais par secteurs d’activités, qu’il est des Grecs très performants et des Allemands qui ne le sont plus du tout.

Plan C
Son Plan B est-il la condition d’un rétablissement ou d’un dépérissement ? Notamment sur d’autres plans que celui de la croissance et de la compétitivité ?
Le Parlement européen compte 785 députés pour 503 millions d’habitants. Ce qui est conforme, à peu près, au nombre de parlementaires par rapport à la population des États-Unis (535 parlementaires pour 310 millions d’habitants, soit un pour 600 000, contre un pour 70 000 pour la France). Le Plan C consisterait aussi à réduire certaines dépenses budgétaires. Dans un cadre plus fédéraliste. Et plus solidaire. C’est aussi un pari. Il en vaut quelques autres…