Je ne vais pas me faire que des amis parmi les confrères, dont certaines et d’aucuns pourront estimer que je fais parler les morts autant que d’autre(s). Mais j’ai l’impression que, dans la manipulation, je n’ai pas « tiré » le premier, loin de là. La manière dont est exploitée la mort de Gilles Jacquier, à Homs, en Syrie, ressemble fort à une manip’ de com’. Détrompez-moi…

Parlons clair. Je n’ai pas plus de sympathie pour Bachar Al-Assad que j’en avais pour Kadhafi.
Il se trouve que je ne connaissais pratiquement personne favorable à Kadhafi (mais quand même, le journalisme, ce n’est pas se contenter d’une seule source) et que, là, c’est plus nuancé avec Al-Assad. Pas la personne.
Mais en raison de son ou ses possibles remplaçants.

J’avoue tout net, dans mon entourage, il se trouve des personnes qui vouent Bachar aux gémonies mais préfèrent encore qu’il se maintienne au pouvoir que d’envisager, pour eux, ce qu’ils présument être le pire. Vision parcellaire, aussi. Mes deux derniers passages en Syrie remontent au siècle dernier. Mais venons-en aux faits.

Piégé par le régime ?

Ce serait amusant si ce n’était pas tragique. Thierry Thuillier, de France Télévisions, allègue – peut-être à raison – que Gilles Jacquier et son équipe ne voulaient pas se rendre à Homs. Tiens donc. Et à Tripoli, quand une équipe refusait d’aller sur les lieux d’un bombardement de l’Otan, sous Kadhafi, il se passait quoi au juste ? Eh bien, l’équipe restait à résidence. Là, on lui aurait dit : « Si vous refusez encore, vous repartez dans l’instant. ».
Citation authentique ? Tronquée ? Je ne sais. Pas de procès d’intention.

Cela me semble tout fait conforme d’ailleurs à ce que j’ai pu vivre, naguère, dans des pays ex-communistes. Eh, c’était le jeu. Il fallait tromper la surveillance des accompagnateurs (et de l’interprète accompagnatrice, parfois moins sémillante que la Nathalie de Gilbert Bécaud).

Pourquoi veut-on donc imaginer qu’il en serait autrement en Syrie ? Telle quelle, la phrase laisse supposer que l’équipe de France Télévisions allait être reconduite de suite à l’aéroport.
C’est possible. Est-ce établi ?

La présidence de la République distille que « les responsables syriens étaient seuls à savoir qu’un groupe de journalistes occidentaux visitait Homs… ». Jamais entendu parler du téléphone arabe ? Jamais imaginé non plus que c’est la règle minimale. Quand Sarkozy se rend près d’une usine, ses attachés de presse indiquent où sont les cordons de CRS parquant au loin les manifestants ? Et des motards précèdent la presse pour aller à la rencontre des opposants ? Vu la situation à Homs, claironner qu’une forte délégation de journalistes y était attendue, c’était de toute façon provoquer une réaction « en face ».

Bref, on laisse à demi entendre qu’il s’agissait d’un coup monté, que Jacquier était voué à servir, par sa mort la propagande du régime syrien. Pure hypothèse. Par respect pour sa famille, peut-être conviendrait-il d’être plus nuancé ? Mais bon, argument commode, faible, servi à toutes les sauces, je le concède.
En revanche, c’est à double-tranchant. Soit plus aucun journaliste ne se risque à couvrir les événements côté régime, soit les plus risque-tout se retrouvent seuls sur le terrain, des deux côtés, soit, soit, soit… Une seule chose est sûre : la répercussion sur les tarifs des assurances des organes de presse. Car il se pourrait aussi que le régime laisse molle la laisse aux équipes qui se rendraient, par exemple, à Alep, où ils recueilleraient un panel d’opinion contradictoires pas forcément téléguidées. Or, ce qu’on veut, c’est refaire le coup de la Libye, magnifier les démocrates syriens, et il en est certainement de sincères et d’admirables, sans trop fouiller les détails.

Deux poids, deux mesures ?

Que se serait-il produit si Jacquier, en prenant toutes les précautions possibles, ait tenté un coup à la Ghesquière et Taponier ? Faut-il rappeler le peu d’égard que Sarkozy a manifesté pour eux et leurs familles ? Je ne ferai pas parler un mort, mais il me semble que Jacquier était de la trempe de ceux qui auraient fait de même que les envoyés spéciaux en Afghanistan. Ah, oui, mais là, c’est la Syrie. Prendre de forts risques pour dénoncer le régime serait finalement assez bienvenu. La présumée « témérité » se muerait en courage résolu, en gloire et servitude du journalisme bien compris, estampillé approuvé par Nicolas Sarkozy… Pure supposition ? Peut-être…

Est-il si abusif et inconvenant de remémorer le traitement médiatique réservé à Taponier et Ghesquière ? Chacun jugera à son aune et selon ses convictions.

La fameuse source du Figaro devait-elle rester anonyme pour déclarer que la mort de Jacquier « tombe plutôt bien pour un régime qui cherche à décourager les journalistes étrangers et à diaboliser la rébellion. ».
Quel vilain mot, rébellion. Pourquoi pas révolution ou soulèvement démocratique et christique ? Pas d’équivalent dialectal syrien pour Thowar à la libyenne ? Encore un effort pour être plus communicant. Surtout au vu du budget de communication de la présidence, à l’Élysée, à Matignon…

Est-ce vraiment exagéré que d’estimer que cela évoque fort la fameuse phrase : « ces événements nous dépassent, feignons de les organiser… ». Comme, partiellement, en Libye.

Otages et autres

La témérité est parfois récompensée. Ainsi dans le cas d’un ex-journaliste otage au Liban devenu ambassadeur en Érythrée (voir « Les gamelles d’Auque, ami choisi de Sarkozy »). La fameuse source de l’Élysée qui s’est confiée au Figaro se serait-elle vue poursuivie pour diffamation si Bachar Al-Assad était resté le président ami convié par Sarkozy pour le défilé du 14 juillet ?

Je ne sais si les circonstances de la mort de Jacquier seront plus rapidement élucidées que celles de l’assassinat de Kadhafi père. S’il s’est agi d’une bavure, ceux qui l’ont commise ne vont pas s’en vanter. D’ailleurs, est-on vraiment sûr que tous les thowars locaux tiennent tellement que cela à la présence de journalistes étrangers ? Par tous, j’entends par exemple et en particulier, mais non exclusivement, les protégés du Qatar…

Ne tombons pas dans l’excès inverse : mais puisqu’il ne s’agit que d’hypothèses, autant les envisager toutes. Y compris les farfelues. Comme, par exemple, celle d’un groupe voulant forcer la main du pouvoir pour aggraver la répression. Est-ce si inimaginable ? Pas davantage que tout autre… Ce n’est absolument pas mon opinion, mais, parfois, la réalité dépasse la fiction, notamment dans nombre histoires d’otages. J’attends la contradiction…
Au vu des affaires ayant décanté, elle sera assez aisément réfutable.

Bien, il faut conclure. Souhaitons que Jacquier ne devienne pas un Pearl de plus au palmarès de Bernard-Henri Lévy. Je sais : c’est mesquin, c’est petit. Qu’on m’accorde un peu d’indulgence ; je le confesse. Cela diverge au moins du « plus c’est gros, mieux cela passe » de la simple réclame ou de la franche propagande. Mais pour le dire tout net, l’exploitation médiatique de la mort de Gilles Jacquier me semble pour le moins prématurée. La fin ne justifie pas les moyens, ce qui vaut pour les Kadhafi, les Bachar Al-Assad, ou les Nicolas Sarkozy. D’autres questions, d’autres commentaires ? Ah, oui, cela vaut pour tant d’autres de même. Cela va sans dire, c’est mieux en le disant. Pour moi-même, aussi, parfois. Le journalisme est parfois, aussi, un sale métier. Comme le disait le voleur de Darien, il m’arrive de le faire salement. Est-ce plus malhonnête que de feindre le faire proprement ? Ou de prétendre le pratiquer à la BHL ? Vous l’estimerez selon vos convictions.

N’est pas Séguéla qui veut. Il s’en trouve même à s’y refuser.

Premiers récits

Je ne sais comment on procède à la revue de presse, à France Télévisions. Toujours est-il que Ian Black, du Guardian, était sur place, à Homs…
Bizarrement, il a pu parler avec des témoins qui ne semblent pas avoir vu sur le moment ce que l’Élysée ou la direction de France Télévisions ont « vu » par la suite. Une revue de la presse internationale devrait permettre à tout un chacun de se faire sa propre opinion. De mémoire, je n’ai, hier, rien lu de concordant avec la version française. Mais on ne peut être partout… et rivé devant son écran. Si des récits similaires sont trouvés ailleurs qu’en France, merci de les signaler en commentaires…