"Le modèle économique cubain ne fonctionne plus !" avouait Fidel Castro, 85 ans, le 8 septembre 2010 au magazine conservateur de Boston "The Atlantic".
Opinion désabusée d’un homme fatigué, éloigné du pouvoir ? Ou avis pertinent d’un autocrate à la retraite dont l’influence politique est encore prépondérante ?
En toute hypothèse, quelques jours plus tard, la "Centrale des Travailleurs", le syndicat unique annonçait la suppression de 500.000 emplois dans la fonction publique au cours des six mois à venir. Et fin 2011, on en est à environ un million d’emplois publics disparus, soit 40% des postes. En proportion de la population, cela correspondrait à 5 millions de fonctionnaires remerciés en France.
Sarkozy en a rêvé, les communistes cubains l’ont fait !

L’avenir des communistes est dans le privé

Quel ultra-libéral a dit : "Nous devons effacer l’image selon laquelle Cuba est le seul pays au monde où l’on peut vivre sans travailler." ? Ajoutant : "Notre Etat ne peut pas et ne doit pas continuer à entretenir des entreprises et des services publics dont les effectifs sont en surnombre, et où les pertes sont contre-productives".

Réponse : L’auteur de ces propos n’est autre que Raoul Castro, successeur de son frère à la tête du Conseil d’Etat.

Et dans la foulée, tandis que La Havane se relève de ses ruines, les frères en pétard tuent une deuxième fois le Ché, en abrogeant (sauf cas de catastrophe naturelle) le "travail volontaire" que Guevara avait instauré afin de renforcer la solidarité et l’esprit révolutionnaire. Considérant que ces activités peu ou pas rémunérées "ne servaient qu’à couvrir l’inefficacité de méthodes de travail archaïques et les déficiences de l’administration". Des discours à la Hayek. Friedrich, pas Selma. Quoi qu’on puisse préférer la seconde…
Et tant qu’on y est, pour ne pas faire les choses à moitié, Raoul a décidé d’en finir avec la distribution gratuite de nourriture au "fainéants" (sic) de fermer les cantines gratis dans les entreprises d’Etat, de diminuer le nombre des bourses universitaires avec des critères d’attribution plus exigeants (tant pis pour les glandeurs !) sans parler d’une augmentation de l’âge du départ à la retraite. Les emplois les plus contraignants étant remplacés après 60 ans par des sortes de tutorats ou des travaux sociaux, en fonction des aptitudes de chacun. Sans limite supérieure de cessation d’activité bien précise.

L’espérance de vie ne cesse de s’accroître et le taux de fécondité a baissé comme dans tous les pays avancés. Et beaucoup de jeunes ont émigré. D’où la nécessité de ne pas mettre tous les vieux à la casse tant qu’ils peuvent encore servir ! Il existe un Programme National du Troisième Âge dont l’objectif est de maintenir et de prolonger les fonctionnalités physiques, intellectuelles, sociales et sexuelles des vieillards. Et le regard sur les idylles nouées dans les clubs du troisième âge est empathique, loin des sourires égrillards ou désapprobateurs qui prévalent encore dans nos contrées.

De façon tout aussi logique, pour empêcher le chômage de se développer, 300.000 autorisations
de créations de petites entreprises artisanales et commerciales ont été délivrées, un nombre insuffisant qui sera relevé pour répondre à la demande de tous les aspirants entrepreneurs. Tandis que les habitants sont depuis peu autorisés à louer plus d’une chambre aux touristes, voire toute leur maison s’ils le peuvent, à fournir à leurs hôtes la pension complète au lieu du bed and breakfast, et même à se regrouper pour créer de petits hôtels.
Une vraie révolution ! Du jamais vu depuis plus d’un demi-siècle ! Un revirement à 180°, aussi idéologique que pragmatique, accompagné de la libération d’une cinquantaine de prisonniers politiques expulsés vers l’Espagne, histoire de redorer un peu le blason du pays à l’étranger, sérieusement écorné depuis la grande vague répressive de 2003. Même si la grève est encore assimilée à de la subversion, et si les syndicats indépendants sont toujours hors-la-loi, les protestataires ne sont plus condamnés au bagne comme saboteurs. On se contente de saccager leurs locaux et de tabasser les meneurs. Il faut bien rassurer les investisseurs étrangers qui préfèrent être à l’abri des revendications salariales !

Fin 2011, sur 4,9 millions d’actifs, on dénombre près d’un millions et demi de personnes travaillant dans le secteur privé, dont environ 500.000 chefs d’entreprises petites ou moyennes.
Des chiffres qui devraient être majorés car, pour le moment, les personnes employées par les trusts étrangers associés au gouvernement cubain dans l’exploitation touristique des ressources de l’île, sont encore considérées comme relevant du secteur public. Quand il conviendrait de parler, pour le moins, d’économie mixte. Tandis que les travailleurs du secteur primaire sont décomptés comme personnel d’Etat alors que près de la moitié a des activités privées à côté.

Une partie du Parti souhaite plus de réparties

Raoul Castro, moins sectaire que son aîné, déclarait début 2011 à la CNPC (conférence nationale du parti communiste) chargée de proposer une modernisation des média : "on a eu peur d’informer, car on a craint que cela puisse être utilisé par l’ennemi. Aujourd’hui, cela ne se justifie plus."
Et son porte-parole a tenu des propos qui auraient naguère envoyé en prison toute autre personne : "Avant les gens lisaient Granma (ndlr : la "Pravda" cubaine) comme l’évangile, mais aujourd’hui, ils n’y trouvent pas de réponses à leurs problèmes quotidiens, alors ils se tournent vers les médias étrangers, vers internet ou les radios pirates".
Du coup, le parti qui contrôle tous les média, invite à une transformation de ceux-ci dans le sens de l’ouverture. Et vote une motion reconnaissant que :  "le changement des mentalités nécessaire aux réformes, y compris celle de la presse, est ce qui va être le plus dur à surmonter, après des années de dogmes et de critères obsolètes".

Changement de cap ou simple toilettage ? Pour le moment, l’évolution est lente, timorée même, mais bien réelle comme j’ai pu le constater. Les 2 grands quotidiens nationaux "Granma" et "Juventud Rebelde" ainsi que "Trabajadores" l’organe du syndicat unique relèvent du parti, de même que les 6 radios nationales et les 5 chaînes de télévision d’Etat. Mais on compte désormais 90 radios régionales, locales ou privées, encore plus ou moins sous contrôle, mais plus écoutées que les voix officielles car elles osent ouvrir des fenêtres de liberté d’autant mieux tolérées qu’elles reprennent au mot près la nouvelle orientation du parti.
Avec l’appui d’une figure incontestable, vétéran de la révolution castriste, prof de fac à La Havane et écrivain reconnu, Guillermo Rodriguez  Rivera qui déclare que "si Granma peut rester le porte-parole officiel, il faut faire circuler des points de vue antagonistes, qui enrichissent le débat et participent à modifier la politique officielle".

Voeu pieux pour le moment. Mais le fait qu’on puisse l’exprimer librement et qu’il soit cosigné par une brochette de hiérarques, donne de l’espoir pour l’avenir. Même si l’évolution est lente…
Ainsi, si les résolutions du congrès du PCC de 2009 restaurant concrètement le capitalisme ont bien été suivies d’effets, on attend encore la mise en oeuvre d’une plateforme émanant des "communistes révolutionnaires" proposant des points programmatiques précis tels que la constitution de conseils ouvriers contrôlant les décisions dans les centres de travail, la modification du système électoral dans le sens d’une démocratie participative ou la possibilité de laisser s’exprimer des courants au sein du Parti.

Néanmoins, dans un pays où l’économique prime de plus en plus sur le politique, et où le gouvernement a déjà concédé la distribution d’eau dans la capitale à une multinationale et offert des garanties régaliennes aux capitaux étrangers, après les avoir privilégiés dans le tourisme international, le frein principal aux réformes provient moins des Castro Brothers que de l’ami Hugo. Encombrant mais incontournable. "Deux pays, un seul peuple, une même politique". Tel est son credo. Non négociable. En échange, il fournit du pétrole à 30% en dessous du cours mondial, modernise et double les capacités des raffineries de Cienfuegos, aide à contourner le blocus américain et offre un visa de travail à des dizaines de milliers de Cubains. Alors, même s’il bénéficie à titre personnel de la médecine cubaine, réputée la meilleure de toute l’Amérique latine, ses largesses donnent à Chavez un droit de regard sur l’évolution de la société. En toute amitié et confraternité bien entendu. Comme si le destin de Cuba était de ne pouvoir se libérer totalement de ses puissants tuteurs : USA autrefois, puis URSS naguère et maintenant Vénézuéla nouvelle puissance émergente.
"J’assumerai mon devoir à défendre, préserver et continuer le socialisme, et à ne jamais permettre le retour du régime capitaliste" a promis Raoul à Hugo. Mais, comme chacun sait, les promesses des politiciens n’engagent que ceux qui veulent y croire !