Internet et les diligences. Des voitures de collection pour les pauvres hères. Des pistes de brousse menant à des marinas luxueuses. Des bidonvilles autour de caravansérails 5 étoiles. Des communistes vivant dans le luxe raffiné de la bourgeoisie. Une "dictature populaire" devenue ripouxblique bananière…
La société cubaine oscille entre ses multiples paradoxes. Devenant de plus en plus inégalitaire. Et délivrant au compte-gouttes quelques libertés. Tout en accentuant le clivage entre des agglomérations aisées et des campagnes miséreuses. Même s’il y a des villes en ruines, surtout la Havane parce que Castro se faisait tirer l’oreille et la barbe pour accepter l’aide internationale permettant de réhabiliter les quartiers historiques. Et des campagnes pimpantes, surtout des petites villes comme Camaguey, Cienfuegos ou Trinidad, parce que leurs habitants ont eu à coeur d’entretenir leurs bâtiments. Malgré le manque de matériaux de construction et les cyclones.

 

 

Une dictature à la carte

Cuba a encore des prisonniers politiques et se fait régulièrement sermonner par la commission des droits de l’Homme à l’ONU. Mais ce n’est pas la Roumanie de Ceaucescu, où l’on sentait une peur palpable chez les habitants, terrorisés à l’idée de simplement donner l’heure à un étranger.
Une certaine liberté de parole commence à poindre. Prudemment. Timidement. Dépassant le tête à tête avec les visiteurs. Certes, les autorités considèrent encore comme de la haute trahison le fait d’écrire des articles argumentés contre le régime. Journalistes et blogueurs emprisonnés ou persécutés en savent quelque chose. Mais le persiflage à usage interne est toléré. Soupape de sécurité ?

J’ai entendus des jeunes n’hésitant pas à faire des sugestions hardies au Conseil d’Etat sur l’air de la plaisanterie, jusque sous les fenêtres des commissaires politique de quartiers. Ces vieillards chenus et ces matrones colorées qui, du haut de leur balcon, surveillent la rue.
Une rue dans laquelle circulent des bicitaxis, ou des tricycles motorisés dans le style des rickshaws d’Orient, petites entreprises unipersonnelles construites par des jeunes gens débrouillards qui écoutent à tue-tête les derniers tubes de dance floor. On les croirait branchés en permanence sur Fun ou Skyrock ! Tandis que la salsa jouée mécaniquement par des musicos décatis est de plus en plus reléguée dans les "maisons de quartier" encore aux mains du parti unique. Avec le double exutoire des musicos de rues et des danseurs mondains évoluant dans des bars ringards oubliés
au temps du cinéma muet, en se donnant des airs à la Rudolph Valentino.

 

Les maisons particulières ont la possibilité, sans se cacher, de recevoir des dizaines de chaînes de télévision, en majorité latinas mais pas forcément cubaines ou vénézuéliennes. Mais les plus regardées sont les chaînes Nord-américaines. On retrouve nos séries habituelles, obligeamment sous-titrées en espagnol. Les relais des Bahamas ne sont pas loin. Difficile de maintenir le couvercle de la propagande quand les gens peuvent s’informer ailleurs librement.
Dans les années 80, "the voice of America" avait préparé les esprits à l’évolution de l’URSS, de façon semblable. Simplement, là aussi prime la sélection par l’argent. Tout le monde n’a pas un oncle d’Amérique ou un cousin hiérarque du Parti pour s’acheter le matos idoine.

Enfin il y a Internet. Contrairement à une idée répandue, si le web est surveillé, il n’est pas sytématiquement filtré. Les connexions sont lentes, comme en France il y a 15 ans, pour des raisons techniques. Et tout le monde n’a pas l’accès au téléphone…
Les Américains ont raté une belle occasion de faire imploser la dictature castriste. Il leur aurait suffi de lever l’interdiction d’accès aux lignes bahaméennes passant tout près. Le gouvernement de La Havane, officiellement demandeur, n’aurait pu qu’accepter. Et la débrouillardise cubaine aurait fait le reste. Au lieu de ça, ils se sont laissés doubler par Chavez qui propose sa solution fibre optique, limitée et contrôlée.
 
Surtout, singularité dans une société se prétendant égalitaire, le web est un luxe de riches. Et un privilège de la nomenklatura et de ses obligés qui en disposent gratis sur ses lieux de travail. Car si les abonnements sont possibles pour tous, ils sont aussi horriblement chers : 18 Cubains sur 1.000 sont connectés régulièrement contre 450 personnes/1.000 en France. Mais les Cubains ont trouvé des parades : ils se groupent pour partager les frais, sous-louent leur ligne, soudoient des employés des télécoms, effectuent des branchements sauvages indétectables dans l’entrelacs de fils raccordés et pendouillant de tous côtés, et inventent le net manuel : des sites aspirés circulent d’ordis en ordis à travers l’île grâce à des clés USB. Une nouvelle culture apparaît depuis que Raoul a permis, il y a trois ans seulement, l’acquisition de micros par des particuliers. A 40 fois le salaire mensuel d’un fonctionnaire de base, tout de même ! Heureusement que des laptops de plus en plus fins passent discrètement sous le nez des douaniers…

Pour ce qui est des téléphones portables, même remarque : les réseaux fonctionnent mais l’accès n’est pas donné. Même et surtout pour les étrangers. Néanmoins dès l’arrivée, nos portables ont immédiatement reconnu Cubanet et permis de communiquer librement avec la France. Mais à 5 euros la minute, mieux vaut user des SMS. En tout cas, à voir les gens dans les rues avec les bras ballants, on redécouvre un monde oublié où l’on pouvait déambuler sans avoir l’oreille scotchée à son mobile !

Last but not least, à Matanzas existe déjà une des premières radios libres. Le ton en est mesuré, prudence oblige, mais parfois le propos frondeur va au delà de ce qu’on peut imaginer dans un pays totalitaire. Comme pour toutes les expériences de libéralisation, simple tolérance au départ. Autocensure et audaces mesurées de rigueur. En attendant de voir la suite.

Des moeurs libres sous conditions

A la différence de la plupart des sociétés méso et sud américaines, encore empreintes de religiosité chrétienne et des tabous qui vont avec, les Cubains bénéficient d’une liberté individuelle encore limitée mais bien réelle. Dès lors qu’ils ne s’immiscent pas dans le domaine de la politique, toujours réservé à la caste au pouvoir. Survivance de la domination d’une bourgeoisie citadine blanche, très minoritaire dans un pays pauvre, rural et fort métissé. Visiblement, le gouvernement n’est pas à l’image de la population. Peut-être est-ce pour ça qu’il reste relativement discret. Bien peu de gens
connaissent le nom des plus importants ministres.

A côté, on exprime une tardive compassion envers les Indios Taïnos, primo-occupants de l’île, dont les rares survivants ont mêlé depuis longtemps leurs gènes à ceux du reste de la population : 120 sites de fouilles archéologiques leur sont consacrés autour de Banès, ainsi que des musées et des expositions. Désormais, Christophe Colomb, José Marti et Fidel Castro sont unis dans une sainte trinité laïque.

L’apparence des gens est assez décontractée et leur comportement ne trahit pas d’angoisses
existentielles. Loin des babouchkas engoncées dans leurs misérables pelures, rasant les murs en URSS. Et des cadres du parti déguisés en premiers communiants dans des costards gris étriqués.
Encore plus loin des uniformes bleus de prolos en col mao. Même si les écolier(e)s portent la tenue bordeaux de rigueur et même si les ouvriers agricoles des kolkhozes sont reconnaissables à leurs habits de travail jaune, vert olive ou marron, ces tenues "égalitaristes" appartiennent au folklore.

Les jeunes s’habillent comme en Europe ou en Amérique, arborant de fausses fringues de marques assez bien imitées. Et surtout, si les hommes affichent une nonchalance chaleureuse, les femmes paraissent particulièrement bien dans leur peau. Elégantes et à la mode. Sans fausses pudeurs.
Portant des shorts ou des mini-robes en haut des cuisses, des décolletés plongeants, et balançant dans des déhanchements suggestifs souvent accentués par des talons aiguille. Avec du bon goût dans le choix des couleurs, multiples symphonies de tons vifs et harmonieux. Vêtures chamarrées d’une société pluriethnique. Autant de postures et de tenues portées avec la sensualité naturelle de femmes sans complexes. Même un peu empâtées ou plus très jeunes.

Parmi les personnes rencontrées, la plupart des hommes reconnaissent devoir travailler plus
pour gagner plus, car ils ont deux familles à nourrir. Quant aux femmes, beaucoup avouent en souriant qu’elles ne savent plus trop qui sont les pères de leurs enfants. Par ailleurs, Mariella fille de Raoul Castro, préside un institut oeuvrant à la fois pour l’éducation sexuelle et pour une normalisation de l’homo et de la transexualité.

Finalement, le sexisme ne fleurit plus que dans le domaine de l’automobile ! Nous n’avons vu qu’une femme conduisant, qui plus est un taxi à La Havane. Et souvent, dans les campagnes, lorsque ma complice prenait le volant, elle était observée avec des regards médusés. Assortis de sourires incrédules quand je disais que c’était normal en France.

 

Sous d’autres formes, la liberté renait aussi dans la religion et la prostitution.
Le lider maximo avait affirmé que ces deux maux étaient liés au capitalisme et qu’avec le socialisme, les femmes n’auraient plus besoin de louer leurs corps aux mécréants ou de demander l’aide de Dieu.
Après 53 ans de communisme, non seulement les églises, les temples protestants, les autels yoroubas (vaudou local) et les loges maçonniques retrouvent leur fréquentation d’antan, mais le petit commerce de trottoir est florissant. Il se pratique ouvertement sans que réagissent les polices et les milices, y compris dans les hôtels de luxe,  par petits groupes de filles, sous l’oeil vigilant mais discret d’un souteneur. Bon militant communiste comme il se doit. Condition sine qua non pour exercer une lucrative activité capitaliste.
Et avec l’expansion du tourisme, s’y sont ajoutés les sigisbées, garants de vacances inoubliables
pour femmes mûres esseulées. Comme à St Domingue.
Reste le sujet délicat de la prostitution enfantine qui marque une des limites de la liberté d’expression. Un journaliste espagnol a été jeté en prison en 2011 pour avoir osé dénoncer ce fléau qui, officiellement, n’existe pas ! A suivre…