La cour d’appel de Paris examine à partir de ce jeudi les accusations d’escroquerie portées contre ses structures parisiennes. 

 L’Église de scientologie va jouer sa réputation et son avenir devant la cour d’appel de Paris. Au cours du procès qui s’ouvre ce jeudi jusqu’au 1er décembre, six de ses membres et ses deux principales structures parisiennes sont poursuivis pour escroquerie en bande organisée et (ou) exercice illégal de la pharmacie. En première instance, en octobre 2009, le Celebrity Centre et sa librairie avaient été condamnés à des amendes de 400 000 et de 200.000 euros. Les scientologues avaient écopé de peines allant jusqu’à deux ans de prison avec sursis et 30.000 euros d’amende. Cette dernière sanction avait été prononcée à l’encontre d’Alain Rosenberg, fondateur de l’association spirituelle et considéré comme son dirigeant de fait.

Lors de ce premier rendez-vous judiciaire, la Scientologie – qu’un rapport parlementaire de 1995 range parmi les sectes – avait évité des condamnations plus lourdes. Elle avait notamment échappé à la dissolution réclamée par le ministère public. Le parquet qui avait tout d’abord demandé un non-lieu général par écrit avait opéré une volte-face à l’audience, faisant tomber la foudre sur la tête des scientologues en réclamant la dissolution de ses structures. Mais cette sanction bel et bien en vigueur ne l’était plus, comme par magie, au moment des réquisitions. Le mois précédent, en mai 2009, le vote d’une modification législative, passée totalement inaperçue, avait rendu impossible la dissolution d’une personne morale pour escroquerie. Cette arme judiciaire, devenue inoffensive, reste encore aujourd’hui sans effet. Bien que rétablie par une loi votée en urgence en 2009, elle ne peut s’appliquer à ce procès en appel. Puis les juges qui auraient pu prononcer l’interdiction d’exercer en France y avaient renoncé. «L’interdiction risquerait d’engendrer la continuation des activités en dehors de toute structure légale», avait expliqué la présidente du tribunal.

 

« Manipulation mentale» 

À leur tour, les magistrats de la cour d’appel vont se plonger dans l’univers de la Scientologie. Et vont s’intéresser à ses électromètres, des machines à explorer les émotions humaines, à ses saunas, pour dissiper le brouillard mental, ou encore à ses cures vitaminées, pour se sentir bien. Autant d’outils et de pratiques permettant d’élever l’homme dans un monde spirituel, selon les responsables du mouvement. Des moyens pour assommer et «plumer» celui qui tombe dans les filets de ces escrocs, selon ses détracteurs. À la barre en 2009, une ancienne adepte avait témoigné : «C’est de la manipulation mentale et il faut que ça s’arrête !» À la sortie d’une bouche de métro parisien, Aude-Claire M., jeune femme dépressive, s’était fait remettre un questionnaire à remplir. Elle l’avait posté et trois jours plus tard elle avait été contactée. Elle avait accepté la main tendue du mouvement. Le début de la fin, selon elle. Sur fond de séance de sauna de quatre heures et de jogging quotidien qui l’avaient éreintée, elle avait perdu du poids. Son porte-monnaie, aussi, avait fondu. En quelques mois, elle avait donné 21.500 euros.

Face à ce témoignage, les scientologues, qui revendiquent 45.000 adeptes en France, avaient riposté. «On ne fait pas un centime de profit personnel. La Scientologie peut aider l’humanité à progresser et toutes les finances y sont consacrées», avait expliqué l’un d’eux, assurant que le mouvement auquel il appartient n’a rien d’une vaste machine à escroquer. Si tel avait été le cas d’ailleurs, le banc des victimes aurait dû être bien plus garni au lieu de n’accueillir qu’une poignée de plaignants, avaient fait valoir les partisans de la secte.

«Aude-Claire M. s’est depuis désistée de sa plainte par une lettre du 8 décembre 2010. Il n’y a plus une seule victime physique», fait valoir aujourd’hui Me  Michel de Guillenchmidt, l’un des défenseurs. Au premier jour du procès, ces derniers comptent soulever plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité et demander l’annulation du premier jugement.

 

Le casse-tête de l’interdiction

Les mouvements considérés comme sectaires posent un problème particulier à la justice, tout simplement parce qu’en France, il n’existe pas de «délit de secte» en tant que tel. La liberté d’association et de conscience est protégée en France et la loi – n’en déplaise aux groupuscules qui jouent la carte de la victimisation – ne réprime pas des croyances mais des agissements. De sorte que si une organisation est soupçonnée de pratiques illicites (escroquerie, mise en danger de la vie d’autrui, etc.), il convient de la poursuivre de ces chefs en tant que personne morale et à travers ses dirigeants.

C’est à ce stade qu’apparaît la seconde difficulté : les structures juridiques des sectes supposées sont volontiers complexes. Le mouvement visé peut être constitué d’entités distinctes, imbriquées ou parallèles, de nature différente (association loi de 1901, SCI, SARL…). Là encore, il convient de cibler précisément l’entité poursuivie, sachant que la condamnation éventuelle de celle-ci ne vaut pas condamnation du grand tout. Une fois saisie par une ou des plaintes, la justice – procureur ou juge d’instruction – doit donc étudier de très près le cas d’espèce. Faute de quoi les poursuites pourraient être vaines ou frappées de nullités.

 

Adoption en catimini

Une autre singularité s’applique à la lutte contre les sectes. En 2009, dans le cadre d’une procédure parlementaire classique de simplification du droit, la législation en vigueur a été «repeignée». Or, une disposition bienveillante a été adoptée en catimini, qui interdit désormais la dissolution d’une personne morale condamnée pour escroquerie. L’origine de cette incongruité est encore aujourd’hui inconnue. Mais la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) n’a pas renoncé à connaître le fin mot d’une histoire d’autant plus troublante que la suppression de la sanction couperet n’avait pas échappé à certains mouvements qualifiés de sectaires… «Il faut continuer à chercher dans tous les lieux privés ou institutionnels», intervenus dans le processus, explique Henri-Pierre Debord, secrétaire général adjoint de la Miviludes.