« Cocktail molotov tragique à Charlie Hebdo : un immeuble détruit », a risqué Libération. L’allusion au « Bal tragique à Colombey : un mort » (de Gaulle décédant après que l’incendie d’une boîte de nuit ait fait de nombreuses victimes) est évidente, au moins pour les anciens lecteurs d’Hara-Kiri et de Charlie. Rebaptisé Charia Hebdo à l’occasion de la sortie, ce mercredi, d’un numéro spécial, le local de la rédaction de Charlie Hebdo a donc été victime d’un attentat au 62, bd Davout, vers une heure du matin.

La seule victime à déplorer dans l’attentat, vraisemblablement au cocktail molotov, qui a frappé le local de la rédaction de Charlie Hebdo, serait le système informatique. Le système électrique a aussi fondu et la suie rend les locaux inutilisables. La seule diffusion de la couverture de l’hebdomadaire avait provoqué diverses réactions hostiles sur des réseaux sociaux. Vraisemblablement, du matériel publicitaire a propagé l’incendie. Le site de l’hebdomadaire était aussi, ce matin, en drapeau, après avoir été piraté pour afficher un message, en anglais et en turc, dénonçant la publication de ce numéro spécial. Il se peut que les deux attaques (contre le site, contre les locaux) ne soient pas liées.

Les conséquences pourraient être plus graves pour le titre si des kiosquiers, inquiets, refusaient d’afficher les exemplaires qui leur sont parvenus ce matin.
En dernière page figure une caricature de Mahomet affublé d’un nez de clown et légendé : « Oui, l’islam est compatible avec l’humour ».

Aucune personne n’ayant été interpellée, la question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’un acte totalement isolé, d’un seul individu ou non, et ses ou les motivations d’un éventuel groupe. S’il s’agit d’une provocation islamophobe, le succès semble garanti, au moins dans les cercles de cette tendance. S’il s’agit d’un acte isolé d’un musulman sans appartenance évidente, la portée de cet acte dépendra des commentaires.

 

« Qu’en sera-t-il de la réaction des musulmans de France, de Tunisie et des membres d’Ennahdha qui sont visés par l’hebdo ? Quelle sera la réaction de ceux qui prônent la liberté d’expression à quelques semaines des évènements qui avaient suivi la diffusion du film iranien “Persépolis” ? », s’inquiétait déjà hier Toki, chroniqueur du tunisien Webdo.

En fait, il était prévisible qu’une association ou une autre puisse envisager de porter plainte contre le directeur de publication, tout comme diverses associations proches des mouvances fondamentalistes catholiques l’avaient fait par le passé à l’occasion de couvertures ou de contenus (portant sur le pape catholique romain, surtout sur des symboles chrétiens).

Sur Français de souche, un blogueur évoque l’escroquerie à l’assurance, d’autres que l’attentat sera mis sur le compte du Front national… ou d’autres organisations proches. De son côté, le site Français de France suggère d’envoyer une page de l’hebdo à l’adresse d’une mosquée.

Sur les forums musulmans, les réactions étaient plutôt modérées, relevant qu’il y avait deux poids, deux mesures : « On fait un sketch sur le colon israélien, c’est de l’antisémitisme et une attaque contre tous les Juifs du monde… », relevait Muhibb, blogueur du Forum Islam (.com).

 

Le Temps (Algérie) relève que cette édition devait aussi comporter un reportage sur la pièce de théâtre donnée au Châtelet qui provoque l’ire de factions catholiques.
Riss, collaborateur de Charlie, relevait « on est aussi parfois menacés par les catholiques intégristes ».

 

 

Justin, sur Jewish Press International, commente : « il y a 30 ans, cela aurait été anodin. Aujourd’hui, c’est un acte de courage. ». D’autres considèrent qu’il s’agit surtout d’un soutien aux ventes, écornées (légèrement) par la reparution, en mensuel, du titre de Siné (Siné Mensuel).

 

Ainsi, le site Oumma (.com) : « Ces poltrons ont saisi depuis longtemps que l’islamophobie est un vecteur de promotion efficace, qui peut également renflouer les caisses d’une presse nationale sous perfusion financière et totalement sous contrôle du complexe militaro-industriel. » (la tonalité de Charlie, précisons-le, est plutôt pacifiste, l’hebdo dénonçant régulièrement les ventes d’armes).

Charb, interpellé dans un courriel par Sharidan, un Marocain du site No-Mejliss, avait répondu :
« On fait un journal athée pour les athées. Je ne vais pas à la mosquée, à l’église ou à la synagogue pour écouter des conneries, si Charlie vous choque, ce que je peux comprendre, ne l’achetez pas, ne le lisez pas et vivez votre vie sans faire chier le monde avec vos leçons de morale. Moi, je vous dis bonjour. ».

Mohamed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, a condamné l’attentat, comme la plupart des ténors de l’UMP et diverses personnalités de gauche.

Deux cyber-attaques ont affecté le site de Charlie. L’une présente une image de La Mecque, l’autre, due à un certain Akincilar, annonce d’autres intrusions du même type, en indiquant que la oumma (monde islamique) respecte le Christ et que, pour Charlie, la liberté d’expression n’est qu’un prétexte. « Christ détesterait votre nation, que la malédiction de Dieu tombe sur vous, » précise Akincilar.

Si cette menace se précisait, la prochaine cible pourrait être le site du quotidien Libération, proche de la place de la République. Nicolas Demorand, directeur de Libération, a en effet proposé à Charb d’héberger sa rédaction provisoirement. Mais en fait, les mouvements islamistes (hormis, peut-être, les plus isolés), évitent généralement de s’en prendre à un titre de presse important. Toutefois, le site Islam en France propose quelques mesures assez peu radicales, comme de « ridiculiser publiquement l’ancien employé Philippe Val que l’on croise régulièrement dans une pharmacie à Joinville ».

Résistance musulmane a relevé : « Philippe Val, l’ancien rédacteur en chef, s’est toujours considéré comme pro-israélien… ». Tout en condamnant l’attentat, le site remarque : « lorsqu’un média légitime et appuie une politique agressive et criminelle, il doit s’attendre, malheureusement, à (…) en subir les conséquences. Ce n’est pas une menace ; c’est un constat. ». Forsane Allizane rappelle qu’à ses yeux, l’hebdo est le porte-parole des « réseaux sionistes » en France.

D’ici à ce que Philippe Val, et d’autres, demandent une protection rapprochée, il y a un pas. Déjà, les assurés, musulmans et autres, auprès de la compagnie couvrant les locaux de Charlie risquent de voir leurs primes augmentées, mais là, l’ensemble des contribuables serait mis à contribution. Cela vaut d’ailleurs pour tout type d’action similaire, quelle qu’en soit la cible.

Selon le Daily Mail, des témoins, ayant assisté à l’attentat, auraient vu deux personnes s’enfuir

Akincilar, en turc, désigne des détachements d’éclaireurs de la cavalerie légère. C’est aussi le titre d’un poème très connu de Yahya Kemal Beyatli, et un patronyme. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris a commenté : « Nous attendons avec beaucoup d’attention les résultats de l’enquête des services de police pour avoir des précisions sur l’origine et les auteurs de cet incendie… ». La présence de témoins devrait permettre à la police de cerner l’heure approximative des faits. Quatre caméras de surveillance sont implantées boulevard Davout, aux angles de rues adjacentes.

La suite actualisée :
Charia Hebdo : un attentat politique