Breton de Paris, affilié à rien, considérez-moi tel un « stranger in the crowd » ou « in your world ». Je dispose du droit de vote en France. Vite fait, mal fait, sans filet et par le gros bout de la lorgnette, quelques considérations sur le vote des étrangers aux élections locales.

J’ai le plaisir et l’avantage de vivre dans un quartier multiculturel, d’avoir beaucoup voyagé et de baragouiner quelques langues en sus d’en parler deux autres que le français. Je ne parle ni le breton, ni le gallo, et voilà longtemps que je n’ai dansé ni la gavotte, ni l’andro ou la dans plinn, le laridé ou le kost. Je vote, parfois, aux élections municipales, cantonales, régionales, et même aux législatives et présidentielles françaises. J’ai vécu dans au moins six régions françaises, et voté dans quatre, qui m’étaient très fort – initialement, totalement – étrangères, beaucoup moins en les quittant, et participé activement à la vie locale.

Je me souviens que « votre » (mon, aussi, de fait) actuel président, Nicolas Sarkozy, s’était prononcé, avec un soupçon d’ambigüité, pour le vote des étrangers aux élections territoriales. Le voici qui donne le feu vert à la Droite populaire – aussi représentée en Bretagne historique – pour mener la nième campagne politicienne contre le vote des étrangers. Je constate que le Comtois Jean-Pierre Chevènement, dans son Sortir la France de l’impasse, argumente contre le vote des étrangers. Il n’a pas tout à fait tort. En Savoie, en Alsace, le vote d’allogènes pourrait en effet conduire « à des votes ethniques ou communautaires », et même d’ailleurs en Bretagne, région où son ex-collègue de gouvernement, Kofi Yamgnane, premier maire noir de France, fut plutôt bien élu et réélu. Français par la nationalité, il ne s’en ressent pas moins Togolais, mais contrecarré dans ses ambitions électorales togolaises pour n’être pas d’assez longue date résident à Lomé. Il était venu du Togo en France âgé de 19 ans. Coulitz, Kouled (Saint-Coulitz) le remercie de quoi ? D’avoir opté pour la nationalité française ou d’avoir été un bon maire ?

La fumée et le feu

Mes arguments ne vont pas voler très haut… Initialement non-fumeur, puis fumeur, puis non-fumeur (six mois, un an au moins, cinq ans…), et de nouveau fumeur (fortement taxé), je connais au moins deux Étasuniennes de Paris qui ne supportent pas la fumée, ne serait-ce que sur un balcon venté. C’est dire si, « épidermiquement », le vote des étrangers m’insupporte autant que l’érésipèle. Elles se croient où, celles-là ? Nous leur cédons, tant bien même sommes-nous largement majoritaires à fumer ou à supporter la fumée. Fumeurs, fumeuses ou smoke tolerants, nous ne sommes plus « chez nous » ! En sus, l’une d’elle est végétarienne. Pourquoi pas bientôt végétalienne ? Cela suffit : vive le saucisson-pinard !

À l’inverse, ma consœur péruvienne, de mère française, est fumeuse. Elle est soumise à de multiples vexations, manœuvres dilatoires, &c., à chaque fois qu’il est question de son titre de séjour. Être journaliste accréditée ne lui épargne rien. Normal. Elle mord à belles dents dans l’asado argentin, sait lever le coude. Pas sûr qu’elle voterait pour les mêmes que moi aux élections municipales, cantonales, ou régionales, mais bon, c’est la démocratie, n’est-il pas ?

Petite Turquie et Sentier turc

Les voisins « chinois » (d’où cela, en fait, on ne sait pas trop) se permettent un peu tout dans la copropriété, mais discrètement. Sans trop de nuisances. Il est donc toléré ce qui l’était beaucoup moins des voisins originaires de Turquie. Non point qu’ils aient été impolis, sans gêne, ou quoi que ce soit. Mais de temps à autre, dans la rue, au crépuscule tombé, on percevait des gens parlant fort en ce qui sonnait comme du turc ou du kurde. Selon que les copropriétaires fréquentent ou non les commerces turcs ou kurdes, voire se lient d’amitié avec leurs propriétaires ou gérants, la perception de ce voisinage changeait du tout au tout. C’est le Sentier turc, la Petite Turquie, là où, voici quelques années, services turcs et responsables du PKK se flinguaient en pleine rue. Le quartier a fortement évolué. C’est moins calme : les bobos bruyants ont remplacé les coups de feu, et c’est tous les soirs au lieu d’une fois environ par semestre. Mais, bon, je préfère un coin un peu bruyant à un mouroir des beaux quartiers.

Voilà une bonne dizaine d’années que mes amies et amis originaires de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie ou de Moldavie, et même les ressortissantes ou natifs de pays communautaires récents, se voient soit en butte à de kafkaïennes arguties administratives, soit ont « fait souche », épousant ou donnant naissance sur le sol français, pour se voir parfois autant regarder de travers. Avoir la nationalité n’empêche pas diverses vexations, mesures dilatoires, lorsqu’il est question de démarches, sauf chez les banquiers, qui acceptent volontiers leur argent, sauf chez l’épicier, qui perçoit la TVA, sauf à la recette municipale.

Elles et ils sont plus ou moins isolés, n’ont pas eu l’idée de former des associations qui harcèleraient les édiles municipaux, départementaux, régionaux, et les sénateurs et députés. Communautarisme, le mot est lâché.

Groupes de pression

Ne serait-ce point Chevènement, Jean-Pierre, qui avait favorisé les sacrifices de l’Aïd sur les contreforts du mont Salbert, à Belfort, circa 1980 ? Avait-il consulté les nombreuses et nombreux athées ou agnostiques de cultures musulmanes diverses ? Pas vraiment, que je me souvienne…

Ne serait-point Sarkozy, Nicolas, qu’on voit alternativement brosser dans le sens du poil divers groupes communautaristes hébraïques ou mahométans ? Détrompez-moi, donnez-moi de multiples exemples contraires.

Si je m’érigeais porte-parole des Bretons de Paris, je vous assure que le niveau de subventions dont bénéficieraient les diverses associations grimperait hardiment. Ach, je connais les moyens de les faire tomber. La com’, cela me connaît. La propagande, l’agit’ prop, la réclame, c’est mon dada. Je le prouve à l’occasion…

But I have other fish to fry (mais j’ai d’autres chats à fouetter). Je ne vais donc pas me mobiliser outre mesure pour le vote des étrangers. Par civisme, je devrais. Je vivrais en Bretagne (ce qui arrivera peut-être un jour), je le ferais. Pour les mêmes raisons que J.-P. Chevènement et la Droite populaire s’opposent à ce que les étrangers votent, mais selon un raisonnement inverse.

Noujna smeyatza, il faut en rire. C’est tellement plus facile pour un édile local ou national de choisir ses interlocuteurs, voire de les acheter (comme le fait si bien Serge Dassault en sa bonne ville de Corbeil-Essonnes), de favoriser le clientélisme, que de s’adresser à l’ensemble des électeurs, dans leur diversité. Soit de favoriser le communautarisme tout en s’opposant aux votes des étrangers.

D’un côté, on favorise l’ostracisme, au risque de voir des gens qui n’ont rien de commun avec leurs ex-concitoyens ou leurs prétendues « communautés » les rejoindre dans des actions collectives, de l’autre, on brosse dans le sens du poil les groupes religieux, voire ethniques, même de fait minoritaires et peu représentatifs de l’ensemble disparate. C’est plus « commode ». Estimé plus « payant » électoralement. Au nom de quoi ? Selon quels critères ? Selon des croyances, surtout.

Clientélisme

On les entend beaucoup, les gens de culture musulmane (puisqu’il n’est question que d’eux ou presque, pratiquement jamais des sikhs ou des hindouistes, au contraire de ce qui se constate au Royaume-Uni) qui ne fréquentent jamais les mosquées, sont agnostiques, participent ou non à des mariages musulmans en fonction uniquement de liens familiaux distendus ? Très rarement. Parfois incidemment, via Riposte laïque qui s’empresse de les mettre en exergue. Ou alors, fort individuellement. On ne sait même pas ce qu’elles ou ils représentent, et à la limite, « on » ne veut pas savoir. La Russie veut une cathédrale orthodoxe du patriarcat de Moscou à Paris ? « On » s’empresse… Quelle Russie ? Ah oui, l’officielle, celle au pouvoir du moment.

Ne serait-ce que pour rompre ou contrecarrer un certain communautarisme, je me prononce pour le vote des étrangers, au moins lors des consultations territoriales. Ma voix de Breton de Paris s’amalgame avec celles des Auvergnats, des Alsaciens, des Basques, des Occitans de Paris (et d’autres). Si j’étais ostracisé, vous m’entendriez largement davantage. Ce qui pourrait me pousser à m’amalgamer avec des gens, certes des Bretonnes ou Bretons, que je n’aimerais pas trop avoir à ma table. Ce n’est pas ce que recherchent J.-P. Chevènement ou la Droite populaire ? Histoire d’en flatter d’autres ? Je ne sais. J’ai comme des doutes, diffus.

J’éprouve comme l’impression qu’on nous rejoue Georges Frêche et les harkis. Choyés quand ils votent bien, insultés collectivement quand ils se montrent trop tièdes et ingrats. Méprisés, en fait. En tout cas, instrumentalisés. C’était idiot de la part de G. Frêche : beaucoup de harkis autres que ceux soutenant l’UMP votaient pour lui. À moins qu’il ait considéré que cela lui vaudrait les votes de ceux qui pensaient que « les harkis, cela suffit ». J’ignore, et je ne fais pas parler les morts. On nous ferait presque communier avec Michel Boujenah, originaire de Tunis, quand il nous la joue « peuple tunisien frère » ; on nous rejoue les origines harkies de Jeannette Bougrab quand on l’envoie, à Alger, rencontrer son homologue Hachemi Djiar : mauvaise pioche. Poudre aux yeux, surtout ?

Même les Helvêtes !

Certains cantons suisses ont accordé le droit de vote aux étrangers. Oui, même à des Français, sales, forts en gueule, vaniteux, de culture catholique romaine, à des papistes. La question du vote des étrangers, c’est du grand n’importe quoi. Tout le monde est capable de décrire et répartir en quatre groupes les pays de l’Union européenne qui accordent ou non ou subordonnent le vote des étrangers à divers conditions, personne ne sait en tirer des conclusions dans un sens ou dans l’autre.

Je fais donc le pari que le vote des étrangers en France serait bénéfique. Ce n’est pas « un peu » comme pour la peine de mort, dont on voit bien qu’elle condamne nombre d’innocents sans qu’on puisse établir qu’elle ne dissuade pas davantage que de longues peines. Car je ne peux prouver que les étrangers apporteraient davantage de bonnes idées que de douteuses ou de mauvaises s’ils votaient. J’ai simplement la vague impression que mes connaissances et amis étrangers se sentiraient un peu plus proches de « nous » (enfin, plutôt de « vous », car entre nous, tout baigne). Comme cela, au pif. En fait, la plupart (litote) d’entre elles et eux s’en contrefichent. Depuis 2001, les étrangers ressortissants de l’Union européenne votent aux élections locales en France. Vous avez vu, vous, beaucoup de Tziganes hongrois, de Rroms roumains ou bulgares, dans les isoloirs ?

En revanche, comme ils ne peuvent être maires ou adjoints, nous avons quelques conseillers municipaux – rares– élus de communes françaises qui n’ont pas la (« votre », notre) nationalité. Cela donne quoi, au juste ? Le Royaume-Uni accorde le droit de vote local à tous les ressortissants du Commonwealth ayant la qualité de résidents. Cela a changé quoi ? Pas grand’ chose, en fait. Faux débat. Selon les localités, le taux de chômage, divers critères, cela donne tout et son contraire, sans doute.

Ce débat franco-français finit par me lasser. Je ne suis sûr que d’une chose : je préférerai vivre à Sant-Kouled (Saint-Coulitz, voir supra) qu’à Corbeil-Essonnes. Ce, qu’on y accorde ou pas le droit de vote aux étrangers. S’il le faut, je m’y mettrais à ma guise au breton, de même que je tenterai de me débrouiller en catalan si j’optais pour Barcelona, pour le calo si c’était Granada, le wolof si c’était Bobo-Dioulasso. Allez, wesh, kenavo.