Joker dans l’affaire Clearstream, le livre de Pierre Péan chez Fayard, La République des mallettes. Il sort opportunément en librairie le jour même du rendu du délibéré d’appel de l’affaire Clearstream II. À l’occasion, les magistrats de cassation disposeront déjà de la fiche signalétique d’un Al Capone des financements et rétrocommissions, un certain Al-Djouhri.

Ah, tiens, tiens… Ahmed-Alexandre Djouhri et Bernard Squarcini, le directeur de la Sécurité intérieure, empruntaient libéralement « le Falcon 7X de “Sergio“(Dassault) », soit la tire à ailes du propriétaire du Figaro. Je n’avais pas tort sur tout (voir « Médialogie : Djouhri, Takieddine, Bourgi… à qui le tour ? » & « Grosses commissions : les tam-tams et mallettes de Péan »). Le livre de Pierre Péan chez Fayard, La République des mallettes – enquête sur la principauté française de non-droit, pourrait faire des remous souterrains au Figaro. Pour le moment, mentionner explicitiment ce livre dans le Fig’, c’est comme prononcer le nom de Péan au Monde du temps d’Edwy Plénel et Colombani. Risquerait-on davantage qu’une amende ?

Kadhafi, en filigrane

Mais j’avais aussi « faux » : le reste de la presse n’allait pas si vite divulguer la teneur des bonnes feuilles du dernier Péan livrées par Fayard à Marianne. Donc, j’ai craqué et suis allé au kiosque acquérir ce numéro daté du 10 septembre (nº 751).
Moi non plus, je ne vais pas pomper sans vergogne Marianne, mais pas forcément pour les mêmes raisons (économiques, aussi, car pour mon compte, j’estime a posteriori que ce numéro vaut bien d’être acheté, faites-le donc).
Mais il n’est pas inadmissible de faire état d’informations puisées chez la « concurrence », en prenant des gants.

Péan « ambiance » un peu son récit. C’est la loi du genre. Il n’était pas présent au déjeuner du 3 juin 2004 au George-V quand Henri Proglio se fait remettre à sa place – de subalterne – par Al-Djouhri. Mais on s’y croirait. Proglio, ancien de la Générale des Eaux, pdg de Véolia puis d’EDF, n’a sans doute pas dû au seul Djouhri de voir sauver sa tête lorsque Messier, Jean « Maître du Monde », voulait la voir rouler.
Je ne sais non plus si Prioglio s’adressait à « Nicolas » (Sarkozy) de la sorte : « Tu as fumé la moquette ? ».

Et pourquoi pas « t’aurais p’têt un rail de trop dans le naze ? ». Cela étant, on veut bien croire que la jactance des voyous du cercle de Djouhri ait pu contaminer l’entourage proche, dont Prioglio, Sarkozy, d’autres, font sans doute plus ou moins encore partie.

Le « doigt dans le cul » de Villepin (rapporté par Bourgi au JDD) vaut bien le « croc de boucher » de Sarkozy.

Je ne vais pas non plus « me tourner cinq fois le doigt dans l’anus » avant de me risquer sur une hypothèse qui n’apparait pas telle dans le récit de Péan. Lequel relate les liens entre le Qatar et le Crédit suisse… ce même établissement qui a largement dilapidé les fonds du régime de Kadhafi. Péan (dans l’extrait de Marianne) n’établit pas le rapprochement, mais on en viendrait à se demander quand au juste le sort de Kadhafi s’est joué. L’augmentation du capital d’Areva remonte à fin juin 2009. De Kadhafi, il est plus largement question dans la suite de l’ouvrage (que je n’ai pas lu, pour cause, il sort le 14).

Incidemment, je relève que Péan mentionne Mediapart. Le renvoi d’ascenseur se fait attendre. On comprend un peu pourquoi en consultant le portrait de Péan, campé par Judith Perrignon, qui n’accule pas trop « son » personnage dans ses derniers retranchements, ni ne veut faire trop de peine à « l’ami » Plenel (de Mediapart).

Conan Doyle des affaires

Péan est l’un des Sherlock Holmes des affaires politico-industrielles françaises, mais ce n’est pas trop l’extrait publié par Marianne qui l’établit. En revanche, dans sa présentation liminaire du livre, Éric Conan, qui a dû en lire davantage, cire autant les pompes (et il n’y a pas de servilité à saluer un grand journaliste d’investigation) que Judith Perrignon, mais surtout soulève le voile, sans toutefois le tirer. Ainsi de l’histoire des infirmières bulgares, dont il (Éric Conan) ne dit pas que Sarkozy s’est enté dessus alors que la décision était acquise, et qu’il ne s’agissait pas que de se faire mousser. C’est clairement exprimé : c’était pour faire du pognon, de la fraîche, du grisbi, des pépettes. Guéant démentira dans Le Figaro.

J’ai relevé cela : avec Clearstream II (l’affaire Sarkozy-de Villepin, contrairement au volet un, soit l’enquête de Denis Robert), « Péan apporte du nouveau avec la découverte, parmi les 895 faux comptes, d’un vrai, qui a échappé aux juges. ».

Éric Conan et moi-même n’avons pas dû suivre les deux affaires Clearstream de la même manière, et j’ai pu me fourvoyer encore en assistant au procès d’appel du second volet. Pour moi, il y avait des vrais « faux-faux » comptes, quelques faux-vrais et vrais-faux, mais quand même, dans la masse, largement plus d’un compte véritable. Et tous on échappé aux juges dont la mission n’était pas d’aller fouiller dans tout l’ensemble, juste de prendre en considération ceux que les parties civiles dénonçaient en tant qu’affabulations, fournissant matière à faux et usage de faux. Donc à dénonciation calomnieuse.

Ce que je n’ai jamais vraiment compris tout à fait : si Clearstream est la chambre de compensation au-dessus de tout soupçon, pourquoi donc détenir un compte dans cet établissement serait-il entaché de suspicion ? Pourquoi donc s’offusquer qu’on vous prête des rapports avec lui ? Je rappelle aussi que tant que le délibéré de l’appel (attendu ce 14 septembre), n’est pas rendu, il est faux-vrai et vrai-faux d’écrire que Jean-Louis Gergorin a été condamné parce qu’accusé « d’être le corbeau ». Mais ne chipotons pas (il le fut en première instance).

Question de formulation, journalistique, donc, et il faudra lire La République des mallettes pour en savoir davantage sur ce compte en particulier. Si je sais lire entre les lignes, ce serait Djouhri qui aurait manipulé Lahoud ? J’ajouterai : en passant par-dessus la tête de Gergorin ? Ou comme l’exprimerait l’avocat d’Imad Lahoud, qui n’aurait été que l’exécutant de Gergorin, en passant au-dessus de qui, au juste ? De de Villepin aussi ?

Sa découverte, il l’a faite quand, Péan ? La veille de faire rouler les rotatives ? C’est quoi au juste la ligne de démarcation entre la déontologie journalistique, le respect de la confidentialité des sources, et la non-dénonciation de faits délictueux ?

Clearstream, jusqu’en mai 2012

J’en viens à me demander si les affaires Clearstream ne vont pas revenir sur le devant de la scène au-delà de mai 2012, jusqu’aux élections législatives.
Le livre de Péan sortira le 14, jour prévu pour le rendu du délibéré.
Je peux comprendre que Pierre Péan n’ait pas mis les magistrats au parfum auparavant (à moins qu’il l’ait fait, allez savoir) : on se retrouve si vite qualifié de corbeau de nos jours…
Ou traîné devant un tribunal, comme Denis Robert.

Le Monde remémore que Libération, Le Nouvel Observateur et Bakchich s’étaient intéressés à Djouhri et que Péan, de son propre aveu, a « fait chou blanc sur des points essentiels. ».
Mediapart, qui s’est de même intéressé à Djouhri, sans doute aussi.

 

La phrase exacte de Péan serait (rapportée par Le Monde) : « Il ne me semble pas absurde, conformément aux soupçons de Nicolas Sarkozy, d’envisager un possible rôle de Djouhri dans la machination. ».

 

On comparera avec la lecture d’Éric Conan, plus « vendeur » (ici, commercial, non délateur).

Ce ne serait pas Me Kiejman, époux de Broglie, qui aurait réglé le divorce de Nicolas et Cécilia Sarkozy, mais Djouhri. On comprendrait mieux pourquoi Kiejman a tant attendu ses honoraires. Germain Djouhri, fils d’Ahmed, lui, est époux Chemezov, et ami du gendre de Claude Guéant, Jean-Charles Charki. C’est insolite, cela m’évoque les rapports de Sébastien Proto (Woerthgate, dircab d’Éric Woerth, de nouveau actuel dircab’ à Bercy) et Antoine Arnault, beau-fils de Maistre, époux putatif Vodianova. Ah, ces histoires de famille !

Claude Guéant vient finalement de prendre les devants en fournissant des réponses évasives ou lénifiantes au Figaro. Il est question de Robert Bourgi, il est fait indirectement allusion au livre de Péan (sans le nommer, sans en citer le titre, voir aussi mes précédents articles), et hop, on passe à la délinquance « roumaine » (pour ne pas non plus citer les Rroms), aux prières dans la rue.
Sur les écoutes des journalistes, il conclut : « La justice dira le droit, moi je ne le ferai pas. ». Encore heureux…

Ah oui, au fait… DSK va parler, il parlera, c’est sûr. Une question sur Djouhri à Sarcelles, Monsieur Dominique Strauss-Kahn, une autre sur Djouhri et l’histoire de la Mnef, une troisième sur Djouhri et… ? Ah, non, on ne mélangera pas les genres. Parlons plutôt de famille, d’Anne Sinclair. Djouhri, parrain de l’enfant de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni ? Là, c’est plutôt mal parti. Parrain tout court.

Les gazettes disent aussi que de Villepin pourrait rejoindre la famille centriste, celle de Bayrou. Il n’est pas sûr que ce dernier se voit en filleul. Le joker Péan semble avoir brouillé les cartes du jeu des sept familles, politiques et autres.

P.-S. – ce n’est pas de leur faute si les truchements et intermédiaires du genre Djouhri sont domiciliés en Suisse. Imaginez un contrôle fiscal et les questions « niaises » de petits fonctionnaires. Bien sûr, il y a une cellule fiscale de haute volée. Mais deux précautions valent mieux qu’une.