Il s’appelle El Hadji Diouf, a des copains comme Anelka et les Khadafi, et considère qu’au final, en Libye, Allah départagera les siens. Il se nomme Bernard-Henri Lévy, fréquente les copains qu’on lui connait (François Pinault, de PPR, Carla Bruni, Alain Delon…), et il considère qu’à moyen terme, c’est plutôt ses tous nouveaux amis du Conseil national libyen qui emporteront la rencontre… Bref, faute d’objectifs clairement définis et fédérateurs, on compte les buts, marqués ou manqués…

Nicolas Sarkozy reçoit, ce mercredi 20 avril, Moustapha Abdel Jali, chef de file politique du Conseil national libyen, organisation reconnue par la France, le Qatar et désormais l’Italie. L’un, BHL, dans une tribune du Monde intitulée « Vous avez dit enlisement ? » conclut : « tout l’indique, la Libye libre, avec ses alliés, peut l’emporter sur le tyran ».
Il contredit ainsi nombre d’observateurs, dont Jacques Lévesque (UQÀM, Montréal, pour le groupe Cyberpresse), qui estime qu’il convient « moins de croire à une soudaine bonne volonté de Kadhafi ; comment peut-on envisager que, sans défaite militaire totale, il accepte un cessez-le-feu pour négocier son départ ? C’est le nouveau pari que l’on semble faire à Washington où on lui cherche un pays d’accueil… ».
Le troisième est un footballeur international sénégalais, El Hadji Diouf, qui ne sait pas « vraiment ce qui se passe en Libye » et indique incidemment, à la faveur d’un entretien-fleuve avec le journal sportif algérien Le Buteur, « moi je dis que, Inch’Allah, la victoire sera pour celui des deux qui a raison… ».

On ne sait pas vraiment de quelle « raison » raisonnée, raisonnable ou irraisonnée (celle du plus fort, du plus tenace, du mieux diplomatiquement ou militairement conforté ?) il peut s’agir. Mais c’est en tout cas, de la part d’un sportif africain qui fut très certainement sympathiquement reçu par le clan Kadhafi, parole de distingué politologue.
Finalement, Hillary Clinton ne dit guère autre chose. C’est elle, ou peut-être Obama, qui a fait savoir ce qui allait de soi : des contacts ont été pris avec des pays pouvant accueillir le clan Kadhafi. Le faire est une chose, le faire savoir une autre, obtenir que le clan Kadhafi convienne de se retirer, une troisième.

Cela conduisit peut-être quelques officiers supérieurs et subalternes libyens à gagner la Tunisie, avec une ou des destinations finales inconnues (Malte ? où beaucoup de Libyens ont investi, d’autres pays, en vue de pourparlers divers, ou Benghazi, ou le cabinet militaire futur d’un Moussa Koussa ou d’un autre ?).

Sur le terrain, les shababs ont peut-être été informés des inconvénients à moyen et long terme d’aller poser pour la postérité sur des chars détruits par des munitions à uranium appauvri, et les insurgés font grand cas de l’emploi de bombes à sous-munition de fabrication espagnole par les troupes loyalistes. On ne sait en revanche quelques munitions à fragmentation de type différent sont à l’occasion employées par les chasseurs-bombardiers des quelques cinq ou six pays « coalisés actifs ». De même ignore-t-on quelles cibles sont au juste visées dans ou à proximité des villes supposées à majorité loyaliste telle Syrte. À priori, il s’agirait d’infrastructures de communication, de dépôts de carburants ou d’armements. De même, alors que les avoirs de l’épouse de Kadhafi font à leur tour l’objet de sanctions, il est bien difficile de déterminer comment cela s’applique, si c’est productif ou contre-productif, et pour qui exactement.

Mais si l’on veut apporter crédit aux observations de Bernard-Henri Lévy, les choses sont nettes, l’objectif est bel et bien un changement de régime, et « le temps (…) joue pour le parti de la liberté. ». Ce n’est pas faux : il est extrêmement malaisé de prendre une ville en armes, défendue par des habitants déterminés, sauf à la raser en totalité, ou de la submerger massivement comme Budapest en 1956. Ce n’est pas minorer les succès des généraux Massu et Aussaresses lors de la bataille d’Alger (1957) que d’énoncer que sans l’appui des milices urbaines et l’infiltration des réseaux FLN par des éléments retournés, l’issue ne leur aurait pas été si favorable.

BHL rapporte, sans donner vraiment de détails, qu’il existait dans Benghazi « une cinquième colonne » kadhafiste. Vrais ou faux « mercenaires » (soit des Africains pris systématiquement pour des alliés de Tripoli), véritables ou supposés « agents doubles » ? Combien sont-ils à être ainsi emprisonnés, dans une seule « prison de fortune » ou plusieurs ? L’essentiel pour BHL, est que ceux qui lui ont été montrés « semblent honorables traités ». Tenant compte des recoupements avec les innombrables reportages de la presse internationale à Benghazi, on peut fort bien admettre que le fief insurgé restera inexpugnable, qu’il est farouchement opposé aux Kadhafi.

BHL a vu à Benghazi les prémisses d’une armée vaillante, performante et capable, selon les termes d’un officier instructeur, de prendre le relais des frappes aériennes. Cela commence à peu près à se voir autour et même dans Ajdabiya. Tout dépend de l’appréciation qu’on donne au terme « relais ». Pour La Voix de la Russie, cette future armée performante et capable attend surtout que les frappes aériennes facilitent encore longtemps son hésitante progression. Et si Kadhafi ne veut pas risquer le sort de Saddam Hussein ou de Slobodan Milosevic, il reste « virtuellement impossible » de trouver une issue à ce conflit alors qu’aucune « personnalité susceptible de devenir un leader national » n’émerge des rangs des insurgés ou de l’entourage de Kadhafi.

Je ne sais trop quel est le rôle de Mustapha Elsagelzi, un informaticien devenu commandant adjoint d’un camp d’entraînement de shababs auprès de Zacaria Bunkheila, présenté parfois comme un parachutiste, à d’autres en tant que pilote, mais BHL l’a rencontré, et le donne devenu en quelques semaines ou jours « le patron de l’armée des chabab ». Belle promotion, en tout cas. Je n’arrive pas encore à me persuader que tous les commandants de détachements de shababs prennent leurs ordres auprès de lui, ou même de tout (seul) autre…

BHL affirme avoir pu tout voir, il semble qu’il a pu aussi gober de belles histoires. Selon lui, quand les avions français et britanniques étaient engagés sans contrôle de l’Otan, entre le moment où « l’état-major de la Libye libre » communiquait « la position d’une pièce d’artillerie » et la frappe « il s’écoulait à peine une heure ». Admettons que les dits avions patrouillaient déjà au-dessus de Benghazi et n’étaient plus en alerte au sol à Solenzara ou ailleurs (soit à quatre-cinq heures des objectifs). « Avec le passage du commandement à l’Otan, le délai moyen devient de 7 heures ». C’est mieux que voici une semaine lorsque, selon des déclarations de pilotes coalisés, de militaires du Conseil national, il était de huit heures, voire davantage. Le problème est peut-être aussi que l’Otan compte plus sur des destructions hors zones de combats pour faire pression sur Kadhafi et son armée, ses troupes d’élites encore en réserve. Le tarissement logistique, la destruction des moyens de communication (dont des centraux téléphoniques) compte peut-être – aux yeux des généraux de l’Otan – davantage que le succès temporaire d’une attaque supplémentaire et réversible des insurgés de Benghazi.

Ce qui serait d’ailleurs logique si, en dépit de déclarations contradictoires, évoluant au jour le jour, il était bel et bien question d’envoyer un ou des détachements européens au sol, pour sécuriser des villes assiégées, et bien sûr en armer les défenseurs.

Il n’est guère imprudent de la part de BHL de décrire, ce que le pouvoir loyaliste ne cesse de proclamer, la manière dont des armements, « caisses d’armes de poing cachées sous des packs de lait en poudre » ou missile Milan filoguidé, ou lance-grenades antichar ex-soviétiques, sont acheminés à Misrata. De même, le Qatar fournit des gilets pare-balles colombiens par cargaisons entières. De ces RPG-7, BHL ne s’est pas trop inquiété de savoir quel type de charge, à fragmentation ou non (efficace contre des combattants équipés aussi de gilets pare-éclats), les accompagne. Certaines sont létales à dix mètres de rayon, davantage si employées en milieu confiné tel un bâtiment. C’est très efficace : une seule charge peut éliminer une dizaine de ces infirmières philippines ou ukrainiennes restées à leur poste tant à Syrte, côté loyaliste, qu’à Misrata. Par conséquent, certains navires de l’Otan ou de pays tiers participant aux opérations de contrôle de l’embargo pourraient s’en saisir, d’autres les laisser passer, selon les instructions données aux officiers du bord par leurs commandements respectifs.

Mais on peut comprendre (ce qui n’est pas forcément admettre) que Kadhafi ne tienne pas trop à voir s’instaurer des « couloirs humanitaires », maritimes ou terrestres. « Étonnamment », Benghazi dispose d’un (assurément) ou de plusieurs bâtiments de guerre et l’aviation coalisée ne s’en prend jamais aux frégates, corvettes (soviétiques et italiennes), patrouilleurs de la marine loyaliste. Peut-être veut-on les préserver en prévision de la reprise des patrouilles d’interception d’embarcations de clandestins voulant gagner l’Europe…

BHL a pu aussi assister à « un grand rassemblement des chefs ou représentants des 300 tribus de Libye ». On lui aurait indiqué « des représentants de tribus prétendument alliées au régime : Zawara, Nalout, Al Zentan… ». On ne sait si d’autres représentants des mêmes tribus sont consultés par les fils Kadhafi, mais on veut bien croire que beaucoup, comme l’attaquant des Rangers de Glasgow, El Hadji Diouf, considèrent qu’il faudra se ranger aux côtés de la « raison », donc de la « victoire ».

Pour le moment, une partition est de nouveau évoquée. Solution fragile à moyen terme, que personne n’est censé vouloir, même si, n’en déplaise à certains, nombre de politiciens et militaires de Benghazi, doutant des capacités, de l’efficacité voire des intentions de l’Otan, commencent à voir se profiler, au profit de certains coalisés qui pourraient, temporairement, s’en accommoder.

Cette éventualité, que les quelques 20 ou 30 « conseillers militaires » français et britanniques qui vont bientôt arriver à Benghazi pondèreront, parmi d’autres possibilités ou impossibilités, pourrait aussi conduire à ce qu’il n’y ait plus deux composantes (les pro et anti-Kadhafi) en Libye, mais trois. Avec de possibles renversements d’allégeances durables ou non, superficiels ou profonds, que Kadhafi se maintienne ou non au pouvoir. Une partition inavouable, qui s’imposerait de fait (à l’Otan, faute de moyens ; aux États-Unis, faute de réussir à imposer une négociation sur la base du départ aménagé de Kadhafi), profiterait sans doute aux intérêts économiques de la Chine et de la Russie, pays prompts à s’implanter de part et d’autre.

Plus le temps passe, plus la Chine et la Russie, et d’autres pays, vont plaider pour l’instauration d’un cessez le feu. Plus d’un mois d’interventions aériennes a certes permis d’épargner les populations de Benghazi et Tobrouk ; mais il devient bien incertain qu’un mois supplémentaire, ou deux, suffise à préserver les civils ailleurs qu’en Cyrénaïque. Hormis les chars ayant accompagné ceux détruits par erreur lors d’une opération aérienne coalisée, selon Al Jazeera, les blindés du Conseil national sont très majoritairement hors d’état de fonctionner. L’avancée vers Syrte semble fortement compromise tandis qu’il reste peu envisageable d’évacuer tous les civils de Misrata ou de les protéger dans des enclaves de regroupement.

La résolution 1970 a été obtenue le 26 février dernier par le Conseil de sécurité en misant que Kadhafi donnerait aux observateurs internationaux un accès immédiat en Libye, que le gel des avoirs de son clan et la menace d’une comparution devant la Cour pénale internationale le ferait fléchir de suite. Cela n’a pas suffi. La résolution 1973 a imposé une interdiction de survol, un embargo sur les armes (violé de part et d’autre), en exigeant un cessez le feu immédiat, en pariant sur un délitement rapide du régime libyen. Cette résolution souligne que le Conseil de sécurité « est disposé à revoir à tout moment les mesures imposées par la présente résolution et par la résolution 1970 (…)y compris à les renforcer, les suspendre ou les lever… ».

Pour le moment, le renforcement a consisté à geler les avoirs de Safiya Kadhafi, sa seconde épouse, et à mener des frappes au sol, insuffisantes, en zones urbaines, inexistantes. Ibrahim Dabbashi, ancien ambassadeur libyen aux Nations unies vient d’estimer que « si les opérations de l’Otan s’intensifient avec un retour des États-Unis, le départ de Kadhafi est une question de semaines. Mais si elles restent au même niveau, je pense que cela prendra des mois. ». Il n’est pas sûr que le Conseil de sécurité l’envisage du tout ainsi…

Sans trop s’avancer, Anthony Shadid, du New York Times, qui fut détenu à Tripoli puis libéré voici deux semaines, envisage un Conseil national divisé, hésitant, et une lutte pour le pouvoir opposant les fils de Kadhafi pour remplacer leur père : « mais cela peut prendre des années. ». De même estime-t-il qu’une intervention renforcée de la coalition « envenimerait plutôt les choses. ». Il présage, sans l’affirmer, « une violence endémique » durable. Si certains ne croient pas à l’enlisement, d’autres voient plutôt la situation empirer. El Hadji Diouf voit bien, au final, la raison l’emporter, mais il s’est bien préservé de dire quand… Mieux vaut, peut-être, penser la Libye « avec les pieds » qu’en agitant frénétiquement les mains. La guerre n’est jamais joyeuse, et son incertitude, particulièrement en Libye, n’a rien de glorieuse.