C’est un calme, très calme, ce jour, sans attente, une pause ou plutôt un ralenti.

 

Le temps s’étend, s’étire très doucement, sans hâte. Les bruits du quartier sont devenus rumeurs, chuchotements (whispers), une trame harmonique et légère. Les rares véhicules et même les deux roues semblent ressentir ce calme et s’y fondent doucement, attentifs semble-t-il à ne pas briser cet équilibre.

C’est un des ces moments parfaits.

Et je ne suis pas la seule à capter ce moment, je vois certains de mes voisins appuyés à leur balcon le vivre également de la même façon. Je le vois dans le port de leur tête, un peu vers le haut sans rien regarder vraiment, le laisser-aller de leurs épaules et de leurs avant-bras appuyés sur la rambarde, la manière dont ils tiennent leur tasse à café ou leur cigarette. On a l’impression tout à coup de s’arrêter et de sentir physiquement la texture du moment, du temps, de la vie (existe-t-il un mot pour cela ?).

C’est une conjonction d’éléments, le paroxysme du calme comme il existe le paroxysme de la tempête.

Lorsque j’habitais New York, en plein Manhattan, sur la 110e rue, j’ai connu quelques calmes de différentes qualités. Certains comme celui d’aujourd’hui lorsque la ville venait de se recouvrir de neige, un calme de conte d’enfant, bruits feutrés, étonnement, émerveillement qu’on tentait pudiquement de cacher aux autres.

Les calmes à New York n’étaient pas des moments «naturels». Certains étaient chargés d’appréhension, d’inquiétude, de questionnement : un drame se déroulait, le feu dans l’immeuble voisin et l’activité silencieuse des pompiers au cœur de la nuit. Ces calmes réveillaient par leur incongruité ou figeait l’activité dans la journée comme un arrêt sur image.

Un calme reste en ma mémoire, souvenir très vif. C’était un calme inhumain et pourtant provoqué par l’esprit humain. Un calme de stupéfaction à l’état premier : ahurissement – effarement, au delà de la peur, de la compréhension.

C’était le Jour du 11 Septembre 2001. J’avais assisté au déroulement des évènements de la catastrophe, comme tant de personnes en direct à la télévision, et tenté de supporter cet empilement d’images et de descriptions de plus en plus lourdes au fil des heures. Il était impossible de parler, de communiquer avec les autres (quoi dire !). J’étais devenue incapable de réagir à ce que je voyais et et je me sentais dans un brouillard de plus en plus pesant. Je me demande encore pourquoi nous avons fini notre journée de travail, peut-être étions nous un peu comme abrutis.

Je travaillais à une quarantaine de km de Manhattan. En rentrant, je garais mon véhicule dans le Bronx près d’une station de métro car il était impossible de pénétrer dans Manhattan, les routes et ponts étant coupés. Je pus prendre un métro avant que le réseau ne soit complètement stoppé et je débarquais sur Broadway, à la 106e rue.

Là, une chape de silence, un calme irréel, une immobilité tangible, je me trouvais dans un autre monde. Il était composé de la substance de toutes les hébétudes des humains se trouvant là. Je marchais dans les rues, j’étais seule et pourtant je sentais autour de moi, dans les immeubles, toutes ces présences pétrifiées dans leur abasourdissement. Je réalise maintenant que je m’attendais à des scènes de catastrophes, de sirènes, de hurlements mais c’était le calme, le silence.

Pas la tranquillité non, une atmosphère palpable, une attente indéfinissable : la stupeur à l’état pur, quelque chose de solide, de concret, de définitif…………..